mercredi 7 mars 2012

Étudiants et Grisettes romantiques par Paul Jarry. Un autre monde...

Autrefois on appelait Grisette la simple casaque grise que portaient les femmes du peuple. Bientôt la rhétorique s'en mêla. Les femmes furent appelées comme leur habit. C'était le contenant pour le contenu. Les grisettes ne se doutent guère que leur nom est une métonymie. Mais voyez un peu ce que deviennent les étymologies et les grisettes ! La grisette n'est pas même vêtue de gris. Sa robe est rose l’été, bleue l'hiver. L'été, c'est de la percaline ; l’hiver, du mérinos.


La grisette n'est plus exclusivement une femme dite du peuple. Il y a des grisettes qui sortent de bon lieu. Elles l'assurent du moins. Je ne sais à quoi cela tient, peut-être à la lecture des romans, mais d'habitude, si la grisette est née en province, elle a failli épouser le fils du sous-préfet de sa petite ville, le fils du maire de son village, quelquefois le maire lui-même. Si Paris fut son berceau, elle eut pour père un vieux capitaine en retraite ; ses bans ont été publiés à la mairie du onzième arrondissement ; son futur était sous-lieutenant ou auteur de mélodrames : le mariage a manqué par suite d'un quiproquo. En général, la grisette a eu des malheurs ; malheurs de famille, mais le plus souvent malheurs d'amour. Toute grisette est nubile.


On reconnaît une grisette à sa démarche, au travail qui l'occupe, à ses amours, à son âge, et enfin à sa mise. La grisette marche de l'orteil, se dandine sur ses hanches, rentre l'estomac, baisse les yeux, vacille légèrement de la tête, et, pour tacher de boue ses fins bas blancs, attend presque toujours le soir.


Elle travaille chez elle, loge en boutique ou va en ville. Elle est brunisseuse, brocheuse, plieuse de journaux, chamoiseuse, chamarreuse, blanchisseuse, gantière, passementière, teinturière, tapissière, mercière, bimbelotière, culottière, giletière, lingère, fleuriste ; elle confectionne des casquettes, coud les coiffes de chapeau, colorie les pains à cacheter et les étiquettes du marchand d'eau de Cologne ; brode en or, en argent, en soie, borde les chaussures, dévide le coton, l'arrondit en pelotes, découpe les rubans, façonne la cire ou la baleine en bouquets de fleurs, enchaîne les perles au tissu soyeux d'une bourse, polit l'argent, lustre les étoffes ; elle manie l'aiguille, les ciseaux, le poinçon, la lime, le battoir, le pinceau, la pierre sanguine, et dans une foule de travaux obscurs que les gens du monde ne connaissent pas même de nom, la pauvre grisette use péniblement sa jeunesse à gagner trente sous par jour… Dans le cas probable où cette somme ne suffirait pas, c'est le monsieur qui paie les dettes. Elle l'estime à cause de son âge et de ses procédés. L'ami de raison a cinquante ans, et n'est pas jaloux. Il fut épicier, ou bien marchand de drap en gros.


Il faut signaler un autre payeur : c'est l'ami des dimanches, le jeune homme, l'étudiant dépeint dans le livre du jour... La grisette l'adore tout juste une fois par semaine. Ses fonctions qui se continuent parfois jusqu'au lundi matin, se résument en deux mots : procurer de l'agrément à la grisette. C'est lui qui mène dîner à la campagne, qui mène danser à la Chaumière ou au bal du Saumon ; c'est lui qui régale du spectacle.


L'âge de l'ami des dimanches est de dix-huit à trente ans. Il est peintre en portraits ou en bâtiments, étudiant en droit, en médecine, en pharmacie, ou en musique ; vaudevilliste honoraire ou figurant à la Gaîté ; commis ou clerc ; blond ou brun, préférablement brun ; car la grisette est souvent blonde. Elle adore les contrastes… La grisette a un âge fixe. C'est-à-dire qu'une grisette ne saurait avoir ni moins de seize ans, ni plus de trente. Avant seize ans, c'est une petite fille ; après trente ans, c'est une femme. Le nom de grisette ne lui est applicable que dans l'intervalle qui sépare ces deux âges ! (texte d'après Ernest Desprez)


L'ouvrage que je vous propose aujourd'hui à la vente relate ceci et encore plus… Il est richement illustré par des lithographies ou des gravures sur bois de bout où vous reconnaîtrez, à défaut de signature, le style de Gavarni, Daumier, Cham, de Beaumont, Berr et Charles Vernier. Il s'agit d'un tirage numéroté sur pur fil Lafuma. Après cette agréable lecture, comme moi, vous pourrez fredonner ce refrain bien connu de Véronique de Messager : Une grisette mignonne est une aimable personne…

Les grisettes n'existent plus, n'est-ce pas ? Pierre


JARRY (Paul). Étudiants et Grisettes romantiques. Paris, Le Goupy éditeur, 1927. Grand in-8 broché de 156 pages finement illustré de gravures hors texte et in texte. Exemplaire numéroté sur vélin pur fil Lafuma. Très bel état. 45 € + port

2 commentaires:

calamar a dit…

dommage que l'auteur ait fait disparaître les légendes des illustrations...

Pierre a dit…

Les noms des illustrateurs ne sont pas mentionnés et les légendes absentes. L'auteur a été aveuglé par les grisettes... Pierre