vendredi 9 septembre 2011

Pour faire suite aux judicieux commentaires de Pascal et Lauverjat sur la linotype…

Il fallait compléter le billet du 5 septembre.

Le hasard a fait que j'ai rencontré, ce matin, un des derniers linotypistes à la retraite qui ne soit pas encore mort de saturnisme ou du temps qui passe. Il collectionne les cartes postales et quand j'ai un joli lot, je lui téléphone pour qu'il passe. Pendant qu'il triait ses cartes et que je triais mes livres, ce matin, nous avons évoqué ses souvenirs…

" La linotype ? On ne peut pas s'imaginer la taille de la machine… Au moins deux mètres sur deux mètres cinquante d'encombrement. Il fallait se lever à quatre heures du matin pour la mettre en marche, ou plutôt la mettre en chauffe… car il fallait que le plomb soit en fusion pour remplir les matrices. J'étais jeune et c'est mon collègue expérimenté qui en était le seul maître…

Le souvenir le plus marquant ? L'odeur ! L'odeur acre du plomb qui vous remplissait les narines et creusait les poumons des anciens ouvriers. Et puis le bruit… le cliquetis incessant des mouvements mécaniques de la machine. Vous voyez une machine à écrire ancienne ? Vous entendez son bruit de frappe ? Et bien le bruit était amplifié par dix !

Mon Dieu qu'il faisait chaud aussi ! Je travaillais à C*** et le soleil ajouté au bouillon de plomb fondu vous tirait tout l'eau du corps, en été !


Il a, bien sûr, raison votre lecteur… C'est pas des caractères qui tombaient comme par enchantement dans les casses. La machine entraînait la juxtaposition de matrices qui étaient alors remplies mécaniquement par du plomb en fusion. J'en ai gardé quelques lignes à la maison. Je vous en amènerai pour votre expo !

C'est bien que vous expliquiez ça aux jeunes et aux amoureux des livres ! C'est promis, je viendrai à votre expo avec ma femme… Moi, j'ai eu de la chance. La machine, ils l'ont mis à la casse peu de temps après que je sois rentré comme apprenti ! Alors, mes poumons… Mais elle était belle la linotype !!!

Pierre

15 commentaires:

pascalmarty a dit…

Oui, sacré métier, lino. Le plomb fond à plus de 300 °C, et la fondeuse se trouvait à peu près à la même distance qu'un écran d'ordinateur. Plus le raffut des moules dégrigolant des hauteurs de leur magasin puis récupérés et remontés par des chaînes sans fin pour pouvoir reservir aussitôt. Il devait falloir avoir des nerfs solides. Les opérateurs de Monotype s'en sortaient mieux, qui n'avaient de contact qu'avec le clavier (qui ne faisait que perforer une bande de papier), moules et fondeuse pouvant se trouver dans une autre pièce.
C'est très bien si ce monsieur peut vous amener quelques lignes de Lino pour l'expo. Je suis curieux de savoir si cette bécane pouvait sortir des caps accentuées (a priori je crois que non). Si jamais vous y pensez, merci de lui poser la question.

Pierre a dit…

Un bonheur ne vient jamais seul...

J'avais demandé à un client hollandais à la retraite en France, ancien imprimeur, de me fournir en matériel. Il est passé aujourd'hui avec des trésors... Des caractères de plomb, de bois, de très vieux caractères chinois en bois, des plaques de cuivre, le plus petit monotype du monde (une prière entière est gravée sur un module de 6mm2), des plaques anciennes sur bois de bout...

Petit à petit, l’enthousiasme fait place à l'appréhension. Pierre

Anonyme a dit…

De quand date la fin des linotypes ? Votre photo des enfants au travail n’a pas l’air récente.
Dans la rue de mon enfance il existait une imprimerie, je m’en souviens car les machines étaient au sous-sol et ma hauteur permettait de voir très commodément l’ouvrier au travail par la fenêtre du soupirail. Il me faisait un coucou amical. Dans mon souvenir l’endroit était très bruyant et très chaud mais je me demande quel type de machine s’y trouvait.
Textor

Pierre a dit…

Je pense que la province et les petits imprimeurs de journaux locaux ont été les derniers à utiliser ce type de matériel dont les premières machines datent de 1880. Seule une loi contraignante sur les émanations toxiques de plomb a pu mettre à la casse les dernières machines dans les années 60 ?

Le client m'a amené des lignes de caractères, ce matin. Ça y est ! J'ai enfin tout compris sur la linotype. Pierre

Lauverjat a dit…

Les capitales accentuées existent dans les polices Lino (pas habituellement dans les polices d'anglaises cependant). Ces capitales accentuées sont plus petites que les autres car il est impossible de déborder du gabarit de la ligne bloc. Elles apparaissent un peu comme des petites capitales. N'étant pas dans le magasin, elles ne sont pas habituellement appelées au clavier, l'opérateur les ajoute directement dans le composteur. Elle tombent ensuite tout au bout de la barre de distribution dans un petit tube en forme de toboggan qui les rejettent au casseau. (Sorte de petite casse à main droite de l'opérateur).
Des machines lino travaillaient toujours dans des imprimeries de ville en 1994. Il se peut que quelques unes tournent encore en dehors des imprimeries-musées.
Les types de machines à fondre les lignes-blocs sont nombreux linotype, intertype, typograph...
et que dire de la fotosetter (1950) qui avait l'apparence d'une lino mais utilsait non plus du plomb mais une composition photographique!

Lauverjat

Lauverjat a dit…

sans les fautes:
"Elles tombent ensuite tout au bout de la barre de distribution dans un petit tube en forme de toboggan qui les rejette...."

Lauverjat

pascalmarty a dit…

Merci Lauverjat pour la précision sur les caps accentuées des Lino. Il me semblait effectivement impossible techniquement d'y obtenir des lettres crénées.
C'est effectivement l'avénement de la photocompo(sition) qui a sonné le glas du plomb sous toutes ses formes, et on peut dater sa généralisation des années 70.

pascalmarty a dit…

Mais évidemment (autant pour moi), la mort du plomb ça a surtout été l'offset ! (La photocompo n'aurait pas servi à grand chose avant…)

Anonyme a dit…

J'ai compris, Lauverjat a été embauché comme linotypiste quand il était petit !!
Textor

Anonyme a dit…

Dans les années 70, l'imprimerie de l'Aurore rue de Richelieu à Paris était encore équipée de linotypes qui, tout comme les rotatives, dataient d'une autre époque. Je pense que ce matériel a fonctionné jusqu'à la fin de ce journal.

Pierre a dit…

La fulgurance du progrès m'inquiète. Il y a 40 ans, l'Aurore en était à la linotype et aujourd'hui, on apprend que France-Soir sortira sous forme virtuelle...

On enlève les machines, puis on enlève le papier. Prochaine étape ? Pierre

pascalmarty a dit…

Allons, Pierre, pas de défaitisme ! Si France-Soir doit sortir sous une forme autre que papier, il sortira très concrètement… sur écran. Rien de virtuel là-dedans.
Et puis, le cinéma a-t-il jamais tué le théâtre ? L'écran peut faire des choses que ne peut pas faire le papier. Mais pour emmener à la plage, je préférerai toujours un vrai bouquin à mon iPad (et d'ailleurs j'ai même pas d'iPad…).

Pierre a dit…

Bonne analyse comme d'hab ! Mais le cinéma a quand même un peu tué le théâtre, non ? Pierre

pascalmarty a dit…

Ben, sérieusement, je suis pas sûr. Et c'est pas de la démagogie ou du plaidage pour ma paroisse. Le fait est que le public de théâtre n'a jamais été énorme, et je ne jurerais pas qu'il ait diminué du fait de l'apparition du cinéma. (Et si jamais je craque pour un iPad, je sais bien que je ne renoncerai pas pour autant aux livres de papier et de carton – voire de cuir.)

Anonyme a dit…

Bonne nouvelle. C'est merveilleux de lire des commentaires qui vont dans l'autre sens, celui de la défaite inexorable du papier. On est bien obligé de s'y faire: Pour préserver la respiration de la planéte, il faudra arrêter de faire du papier. les industries papetiéres cherchent à faire du papier en plastique...un bouquin qui se lave et qui ne craint pas le sable.
C'est déjà demain.
Bien à vous,
Sandrine.