Vous ai-je dit que Pierre, notre libraire de Tarascon, était revenu de sa semaine de congés sur les rives du lac d'Annecy ? Enfin, "revenu", c'est un bien grand mot puisqu'il me confie sa chronique, aujourd'hui !
Je crois qu'il est un peu angoissé à l'idée de la mise en place des derniers détails de son salon du livre du 17 et 18 septembre et de l'exposition sur le livre ancien qui s'y adosse. Pourquoi se stresser ? Les affiches sont belles, les exposants ont tous réservé leur place, les acheteurs sont la main au portefeuille et il y aura du Kir à l'apéritif du samedi soir pour l'inauguration de la rétrospective sur la merveilleuse histoire du livre.
Il me demande d'en faire une présentation qu'il pourrait laisser à l'accueil. Je ne suis pas sûr que cela soit une bonne idée mais j'ai décidé de ne pas le contrarier, ce matin !
La merveilleuse histoire du livre est un ouvrage dont le chapitre le plus brillant est le premier parce que le mystère qui l'enveloppe sollicite l'imagination. On sait que les manuscrits eurent longtemps la forme de rouleaux, en latin volumen, dont nous avons tiré "volume" pour désigner un livre de bibliothèque. Ces manuscrits étaient cousus bout à bout dont beaucoup ne nous sont parvenus aujourd'hui que sous la forme imprimée. Puis les éditeurs proposèrent à leurs clients une présentation beaucoup plus pratique de ces manuscrits, sous forme de feuilles que l'on pouvait tourner avec le doigt. Le livre était né !
Pour l'écriture, il faut avouer que vous pouvez éprouver quelques surprises et une amère déception si l'envie vous prenait d'en connaître le contenu. Il faut revenir à l'école et apprendre au moins les rudiments d'une science très rébarbative qu'on appelle paléographie pour en déchiffrer une ligne ! La vérité est que ces manuscrits ne sont pas faits pour être lus mais qu'il nous reste le plaisir de les admirer comme des objets d'art, comme des "choses de beauté".
Les manuscrits et leurs magnifiques enluminures devinrent inutiles aux riches lecteurs avec l'invention de l'imprimerie. Lorsqu'on proposa les premiers livres, on essaya sans doute de leur conserver l'aspect des manuscrits d'hier, et pour faire illusion, par un luxe trompeur, on les orna encore de miniatures puis de gravures, mais c'en était fini des beaux manuscrits… Ils entraient dans le domaine de l'information privée alors que le livre imprimé entrait dans le domaine public.
En fait, Gutenberg n'a pas inventé l'imprimerie !!! Il a perfectionné une invention qui existait déjà et qui était la presse, celle-ci permettant de fabriquer des gravures sur bois (la xylogravure). L'invention de Gutenberg, c'est d'avoir associé le texte à la gravure. Pour ce faire, il a crée des caractères en métal encrés et que l'on pressait sur la feuille comme la gravure.
Les premiers livres s'appellent des incunables, mot qui veut dire "le berceau de l'imprimerie"et qui sont des ouvrages publiés entre 1450 et 1500. On pense qu'il y a eu 40 000 titres qui ont été imprimés pendant ces cinquante années. Mais vous savez… avec les guerres, les inondations, le feu et les souris… C'est à peine si on sait combien il en reste ! Presque 50% des incunables étaient des livres de religion et plus de 75% étaient en latin. Ils sont donc réservés à des amateurs avertis ou à des investisseurs initiés.
Au 17eme siècle, la présentation des livres évolue. Ils prennent un aspect qui nous est encore connu avec notamment l'apparition des paragraphes avec des lignes sautées, des pages beaucoup plus aérées, des interlignes, des espaces… On n'a moins peur de gaspiller le papier, il faut dire. Parallèlement, le nombre des lecteurs augmente même s'il reste quand même marginal. Le gros des lecteurs est toujours formé par le clergé mais on voit apparaître d'autres catégories : Le Roi et sa cour, la noblesse et le bourgeois gentilhomme…
Le 18eme siècle voit l'apparition de nombreux ouvrages de science et de philosophie. Nous sommes au siècle des lumières. L'impression de l'Encyclopédie a, par exemple, marqué l'imprimerie en France. 17 volumes de textes, 11 volumes de planches…le tout en folio illustrent bien cet esprit des Lumières où le savoir est classifié, organisé et diffusé.
La période de plus grande mutation pour l'histoire du livre est l'ère de l'industrialisation et de l'alphabétisation du 19eme siècle. Le livre entre, lui aussi, dans la production industrielle avec toutes ses évolutions possibles. Son prix de revient s'abaisse. La linotype apparaît en 1880 et permet de fondre à la demande des lignes entières avec une sorte de machine à écrire. Le résultat ne se fait pas attendre. En 1832, plus de 50 % des hommes ne savent pas lire. En 1914, moins de 4 % des hommes ne savent pas lire. Il faudra attendre le début du 21eme siècle pour voir s'inverser cette tendance…
Ce qui caractérise le 20ème siècle, c'est une relative continuité avec le siècle précédent jusque vers les années 1960. L'alphabétisation massive va permettre l'accès à la lecture pour un plus grand nombre de personnes ; presque la totalité, en fait. Les tirages deviennent très importants et on voit l'apparition de nouveaux genres de lectures : Romans de gare, bande dessinées… Une étude faite en 1967 montre, qu'à l'époque, les étudiants du supérieur lisaient tous au moins un livre par mois. Aujourd'hui, seulement un étudiant sur trois lit au moins un livre par mois. Mais que fait donc la jeunesse ?
C'est qu'au 21eme siècle est apparu Internet... C'est la 3ème révolution du livre que vivent nos enfants ! Cette révolution est aussi importante que l'invention de l'imprimerie. Elle va bouleverser la façon de percevoir les connaissances pour cette génération. Seul bémol, avec Internet, on semble revivre à l'inverse le passage du codex (livre) au volumen présenté en début de causerie. On retrouve un peu, en effet, le système du rouleau… Il suffit de faire défiler le texte sur l'écran comme avec le volumen. Quel progrès !
Votre dévoué, Philippe Gandillet, qui vous demande, une fois n'est pas coutume, votre avis…
HERMANT (Abel). L'écriture à travers les âges. Paris, édition. Gold Starry , s.d. Édité vers 1940. Broché illustré, couverture rempliée. 8 Illustrations couleurs h.t, dont frontispice, sous serpentes de Maximilien Vox et dessins in.t de Burlet-Viennay. 60p. Bon exemplaire. 32 € + port
CARLIER A. Histoire du papier. Bibliothèque de travail. N° 16. 7 € + port
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23 commentaires:
Quelques remarques, donc :
On s'accorde en général pour dire que l'invention de Gutemberg c'est le caractère mobile en plomb, lequel n'est d'ailleurs pas vraiment imbibé d'encre.
Si incunable a bien à voir avec berceau, ça ne signifie pas franchement berceau de l'imprimerie.
Il serait sans doute plus prudent de ne rien dire à propos de la Linotype (au demeurant plus destinée à la presse qu'à l'édition de livres), plutôt que d'écrire qu'elle permet de composer la forme du texte avec une sorte de machine à écrire qui aligne les poinçons. « Composer la forme du texte » n'est pas très heureux et ce qu'elle aligne ce sont des moules, qu'elle récupère (à grand fracas) quand la ligne a été fondue, pas des poinçons.
Et, est-ce les vacances qui ont laissé des traces ? mais maître Gandillet n'est pas toujours d'une grande rigueur orthographique (le roi et sa cours), ou définitionnelle (les lignes sautées), ce qui est quand même un comble pour un académicien… ;-)
Je viens de corriger une faute d'orthographe (tiré sans S). Merci Pierre Chalmin !
Un autre truc : je ne sais pas si les images qui servent ici serviront là-bas, mais les lettres sous le paragraphe consacré à Gutemberg ne sont pas destinées à l'impression. Ce sont des poinçons destinés à la fabrication du moule de fonte.
Mais bon, c'que j'en dis c'est parce qu'on demande… ;-)
Pascal a raison. La précipitation est mauvaise conseillère et entraine l'approximation ; les fautes d'orthographe étant imputables au clavier, bien sûr !
Il me faut néanmoins éviter le recours au principe de précaution qui m’amènerait fatalement à la page blanche ;-)) Je dois reconnaitre que imbiber des caractères de plomb n'est sûrement pas le terme à utiliser et je compte sur la nuit pour trouver le mot juste.
A me relire, je vois encore des modifications à apporter au texte. Par contre, j'aime bien la définition tronquée de la linotype qui est parlante à défaut d'être correcte ; la beauté des femmes peintes par Ingres ne s’accommodait pas de rigueur anatomique... Ph Gandillet
À défaut d'être imbibées, les lettres sont tout bonnement encrées. (Je ne voudrais pas que Philippe Gandillet passât une nuit blanche).
Ce qui est un peu gênant dans la définition de la Lino n'est pas tant qu'elle soit tronquée mais qu'elle soit – vraiment – fausse. Je vous assure qu'il n'entre pas le moindre poinçon dans cette bécane…
;-D
Quitte à passer pour un pinailleur, je me permets d'insister un peu pour plus de précision. Sinon, pourquoi vouloir expliquer, même vite ? La Lino, pour la presse (et la Monotype, pour les livres, qui fond des lignes de lettres séparées), permet de fondre à la demande des lignes entières (à partir d'une sorte de machine à écrire, ok). Sûrement pas de composer la forme du texte (on n'obtient que du texte justifié).
Au reste, composer et forme ont des sens bien précis en imprimerie (qui ne sont pas ceux-ci…).
J'avais enlevé les poinçons, Pascal, vous me déchirez le cœur ;-))
Maintenant, je modifie la tournure de la phrase en prenant la votre qui me semble bien fondre à la demande des lignes entières !
Mais ne me demandez pas de raser ma moustache... Ph Gandillet
Ma foi, ce n'est pas sur votre moustache que vous nous avez demandé un avis…
:-D
Je concède ;-))
Merci aux messages en externe qui vont améliorer la version finale. Demain, je récupère une partie du matériel à mettre en vitrine. La salle, les panneaux, les vitrines seront à ma disposition en fin de semaine. Je suis impatient de voir l'expo en place... Pierre
La fin du XIXe a bien été marquée par l'apparition des machines à composées chaudes , linotypes et autres monotypes, tant presse que labeur. La linotype utilise des matrices en creux qui appelées par un clavier tombent dans un composteur. Cette composition présentée devant une roue-moule permet de fondre des lignes-bloc en relief. Elle est plus rapide que la composition typographique manuelle, ne nécessite pas de distribution, le plomb est refondu, et n'immobilise ni matrices ni caractères, mais utilise exactement les mêmes machines d'impression que la composition typo mobile.
La dernière révolution de l'imprimerie se vit depuis 30 ans avec la succession effréné des méthodes photo numériques qui dans les grandes lignes se sont tuées mutuellement les unes après les autres et ont eu raison de l'imprimerie traditionnelle.
Lauverjat
Voilà qui est très clair. Si j'ai un linotypeur à la retraite qui passe visiter l'expo, je suis blindé ;-)) Merci, Lauverjat et Pascal ! Je reste persuadé que bon nombre de bibliophiles sont curieux de ces méthodes mécaniques de transcription du texte car elles sont identifiables par un amateur. Ce qui n'est pas toujours le cas avec l'informatique. Pierre
Dieu sait que j'aime bien la précision (et surtout savoir de quoi je parle) en matière de techniques d'impression, mais pour le coup je ne jurerais pas qu'un amateur, même très éclairé, soit à même de faire la différence, au simple vu du résultat, entre de la lettre levée à la main et de la Lino, et a fortiori entre de la lettre levée à la main et de la Mono. D'autant que je connais des typographes qui ont rempli leurs casses de fontes Mono (somme toute la seule différence est dans la forme du cran), faute de trouver encore des vrais fondeurs.
Euh… mais c'est linotypiste… ;-)
Suis-je bête ! Comme le coiffiste ;-)) Amicalement. Pierre
Pinailleur à autre pinailleur : Gutenberg n'a jamais eu de "m" dans son nom ! ;-)
et l'invention de Gutenberg n'est pas le caractère mobile métallique, mais le caractère mobile métallique ET la presse à imprimer : c'est l'utilisation simultanée de ces deux éléments qui constitue l'événement fondamental qui marque la naissance de l'imprimerie.
Pascal et Jean-Paul, vous n'êtes pas des pinailleurs mais des gens précis dans vos définitions ! Et comme c'est commenté avec gentillesse, j'appelle ça de l'information ;-)) Pierre
Merci Pierre,posé et indulgent, comme d'habitude.
Bon, l'orthographe des noms propres, surtout étrangers, a mis du temps à se fixer. Dans son Traité de l'imprimerie (Paris, an VII), Bertrand Quinquet, par exemple, écrit Guttemberg avec un m et deux t; et Henri Fournier fait pareil dans le sien… Je suis à peu près sûr d'avoir vu écrit Gutemberg du temps de ma lointaine jeunesse, mais le fait est que je serais incapable de dire où et que je reconnais que cet usage semble s'être perdu.
Pour ce qui est de la presse, on dit aussi que c'était un bidouillage à partir d'un pressoir à vin. Et comme il y a déjà un moment qu'on imprimait des gravures sur bois, allez donc savoir s'il n'y avait pas déjà eu un petit malin pour y penser avant. En fait, tous les historiens semblent s'accorder sur le fait qu'on manque passablement d'infos sur les débuts de la chose.
Mais bon, ce que j'en dis (surtout à un an de distance)…
;-)
P. S. c'est vrai que les gribouillis anti spam sont quand même difficiles à déchiffrer.
vive l'ortografe !
si vous avez eu la curiosité de regarder votre arbre généalogique, vous savez qu'il n'est pas nécessaire de remonter si loin pour trouver des orthographes variables sur les patronymes... jusques vers 1920 c'est le grand n'importe quoi, du moins en ce qui concerne ma région. Particulièrement illettrée peut-être ? en tout cas l'état-civil était phonétique au sens large (en prenant en compte l'accent).
Les gribouillis anti spam sont provisoires, le temps que la renommée du blog revienne à des scores rationnels, Pascal... Mais qui peut donc acheter des médicaments sur Internet alors que tout le monde sait que l'arnaque est fréquente ? Par moment, j'ai du mal à admettre la crédulité humaine et à côté de ça, il m'arrive d'être d'une naïveté désarmante ;-)) Pierre
J'avais déjà vu Gutenberg avec un "m", c'est pourquoi je n'avais pas été surpris. Calamar a raison de préciser que l’orthographe des noms propres est très fluctuante avec le temps. Je ne sais jamais, par exemple, si on doit écrire Matthieu avec deux "m" ! Pierre Bouillon sur son blog nous a d'ailleurs présenté des noms qui ont changé de sens et d'écriture avec le temps. Pierre
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