lundi 22 juillet 2013

Causerie du lundi de Philippe Gandillet : Dieu vous garde des femmes...


Un lecteur, attentif à ma dernière causerie, me demande par courriel ce que peut bien faire Monsieur quand Madame va à la plage… Très bonne question à laquelle je me fais un plaisir de répondre tout en sachant pertinemment qu’elle était sur les lèvres de tous les autres ! Dans une société dominée par des femmes qui vont à la plage, les hommes ont fini par créer des sociétés séparées où ils se réunissent pour converser, généralement sous forme de dissertations philosophiques, de discussions politiques, économiques ou commerciales. La pipe, le cigare, la bière, le thé et le vin mêlent alors leurs excitations aux forts mouvements de leur esprit et de leur imagination. Les âmes les plus sensibles y partagent leurs effusions, les esprits les plus affinés y apportent leur délicatesse.


Là, tous les sujets se prêtent aux règles que la conversation impose ; les matières les plus abstraites s'y présentent sous des formes sensibles et animées ; les plus compliquées avec simplicité, les plus graves et les plus sérieuses avec une certaine familiarité, les plus sèches et les plus froides avec aménité et douceur, les plus épineuses avec dextérité et finesse, toutes réduites à la plus simple expression, toutes riches de substance et surtout nettes de pédanterie et de doctrine… Tout cela a été rendu nécessaire dans un monde où les femmes ont imposé leurs propres usages, rangé sous leur loi les sciences et les savants et voulu les hommes pour unique témoin de leurs babillages balnéaires.


Vous me demanderez où se trouvent ces clubs où l'élégance intellectuelle est restée une des valeurs jalousement gardée par ses membres ? Et bien, derrière de sombres vitrines populaires où ils interprètent les caricatures dans lesquelles on a voulu les enfermer ! Sur des boulodromes aux fanfaronnades forcées, dans des stades de football remplis de leurres acéphales, aux zincs des cafés dont les conversations de comptoir sont devenues le ferment de la philosophie de demain…


Évidemment, Monsieur dit à Madame qu’il va à la pêche ! Il court les musées de la région. Bien sûr qu’elle l’imagine jouant aux cartes ou aux dés ! Il visite les églises romanes dont ses amis lui ont parlé. Elle jurerait qu’elle l’a vu faire du vélo ! Il écumait les librairies anciennes aux alentours… Je peux bien vous l’avouer puisque j’officie le lundi à la librairie de Pierre. Quand Madame va à la plage, Monsieur achète des livres ! C’est d’ailleurs une des raisons de l’aisance financière des bouquinistes de Provence.


Depuis quelques années, grâce aux publications des blogs bibliophiles, l’attrait pour le beau livre revit et se propage. Tout en restant le régal des collectionneurs, il n’est plus uniquement réservé à ces amateurs mais reprend, de plus en plus, sur les rayonnages des bibliothèques la place qu’il n’aurait jamais dû perdre. Et quel loisir peut, en effet, mieux et plus discrètement s’associer à l’élégance d’une salle de lecture, à la clarté des tentures, base de la bonne conception d’une telle pièce ? En outre, les reliures, tout en égayant nos yeux, nous suggèrent, par le talent des auteurs qu’ils contiennent, des sensations d’art qui comblent le genre masculin et provoquent chez lui des émotions subtiles dans lesquelles se complaît son âme…


Il est évident que je vous demande la plus grande discrétion sur l’information que je viens de vous livrer. Il y a souvent un grand conflit dans le cœur de l’homme, de l’homme moderne dirais-je, entre le devoir et la passion. Quel devoir ? Le plus grand, le plus rude, celui de répondre à l’appel de la connaissance et d’être le moteur du progrès intellectuel. Quelle passion ? Celle qu’il a pour Madame… Pour résoudre ce conflit exceptionnel, il a choisi une action exceptionnelle et cependant admirable : il cache sa véritable valeur. On me dira que cette vision est celle d’un sociétaire du Jockey-club dans un mauvais jour ! Et on aura bien raison. Votre dévoué. Philippe Gandillet


SAINT-PIERRE (Michel de). Dieu vous garde des femmes. Paris, Éditions Denoël, 1955. 1 volume in-8 de 224 pages. Broché. Édition originale. Il a été tiré de cet ouvrage 30 exemplaires sur Crèvecœur et 100 exemplaires sur pur fil Lafuma Navarre, le notre deuxième tirage de tête n° 48. Parfait état. 75 € + port

3 commentaires:

Pierre a dit…

On reste sans voix... Par moment, on se demande si notre académicien ne serait pas un petit peu misogyne.

Pierre

calamar a dit…

mais non... mais je me demande si je me fais des idées, soit sur la réalité des bistrots, soit sur les académiciens.

Pierre a dit…

Pour les bistrots, je ne peux pas assurer que tout est vrai ! Pierre