lundi 4 juillet 2011

Causerie du lundi de Philippe Gandillet : Afin de promouvoir les livres illustrés…


La semaine qui vient de se terminer a vu Pierre nous présenter une série de livres illustrés de la moitié du XXe siècle. Sans que cela puisse atteindre son moral, ni mettre en péril l'équilibre financier de son commerce dont j'assure en grande partie les revenus, notre humble boutiquier s'est étonné du manque d'enthousiasme pour ces derniers ouvrages. Bien illustrés, bien présentés, abordables, il semble aujourd'hui que le désamour des acheteurs puisse s'expliquer par la méconnaissance [due en partie à l'évolution trop rapide des techniques] des procédés utilisés par les artistes, les éditeurs et les imprimeurs de l'époque.

Il me demande donc de vous éclairer. J'y souscris de bonne grâce, d'autant plus aisément que j'avais écrit pour un ami en manque d'inspiration (appelons-le Maurice Robert pour le laisser dans l'anonymat) un petit article sur le sujet, il y a quelques années… Nous savons que le procédé à choisir doit permettre de réaliser l'accord, aussi parfait que possible, entre le génie de l'auteur et celui de l'illustrateur.


Mais il peut arriver que ce dernier ne soit pas un technicien des procédés artisanaux d'illustration : Gravure sur bois, sur cuivre, eau-forte, lithographie ; ou qu'il refuse de s'y soumettre. Le rôle de l'éditeur dans ce cas est d'abord de le laisser librement s'exprimer, suivant les moyens habituels, et ensuite de traduire son œuvre par un procédé mécanique.

Pendant un certain temps, il y a quelques années, l'opinion décrétait périodiquement que seuls avaient de l'intérêt les livres accompagnés d'eaux-fortes. Puis c'était au tour de la lithographie d'avoir la vogue, ensuite on voyait remonter la cote du bois de bout ou de fil. Ces retours alternatifs du goût nécessitaient l'intervention, dans bien des cas, d'habiles graveurs de reproduction qui répondaient alors à la tradition des bibliophiles…


Simplement, ces derniers oubliaient ou méconnaissaient l'évolution des techniques modernes telles la phototypie, l'héliogravure, l'offset ou la modeste photogravure. En fait ces méthodes sont parfaites. Elles permettent à un artiste qui ne sait dessiner que sur le papier, au crayon, à la plume, au pinceau ou au charbon de bois de voir son trait strictement reproduit tel qu'il est, sans déformation.


Je n'entrerai pas dans le détail des procédés mécaniques. Il faut les voir mis en œuvre pour les comprendre. Il faut même, à notre époque, posséder quelques notions d'informatique que je laisse aux professionnels. Tous sont à base de photographie.

Les uns comme la photogravure, utilisent le zinc et le cuivre gravés en relief, après photographie du sujet, par une morsure à l'acide. Ils s'impriment sur les plus beaux papiers comme sur les plus communs.

Dans d'autres, comme l'offset, le cliché de photogravure a besoin d'un intermédiaire en caoutchouc pour l'impression. C'est un procédé d'une exactitude scrupuleuse pour les petits tirages et d'un coût modique pour les grands quotidiens.


La phototypie est une photographie sur verre épais dans laquelle la gélatine durcie s'encre et impressionne directement le papier. C'est, en principe, le plus fidèle de tous les procédés mécaniques, puisque nécessitant le moins d'opérations ou reports intermédiaires. On peut l'employer sur tous les papiers à condition qu'ils soient collés, c'est-à-dire assez réfractaires à l'eau.


L'héliogravure se sert de la photographie pour reporter en creux sur une plaque ou un cylindre de cuivre les valeurs du dessin. C'est un procédé très sensible aux nuances. On voit donc que l'éditeur a, depuis la moitié du XXe siècle, des procédés photomécaniques variés et de qualités pour illustrer ses ouvrages. Bien entendu, il ne s'agit pas d'enterrer les procédés anciens. Leurs vertus sont immortelles !


Il faut donc vivre avec son temps et permettre aux artistes qui ne possèdent pas de compétences en gravure de proposer aux lecteurs de nouvelles formes d'art. Les bibliophiles ne doivent pas s'y tromper. Le livre de luxe ne représente pas seulement un plaisir ancré dans le temps avec ses archaïsmes. Gutemberg aurait souscrit, sans nul doute, à ces progrès s'il l'avait pu. Le bibliophile se doit de connaître et de promouvoir les ouvrages illustrés modernes. Il en va de la pérennité des grandes œuvres de la littérature. Il en va de la pérennité de la librairie ancienne. Il en va de la pérennité de la boutique de Pierre…

Votre dévoué. Philippe Gandillet.


A cette occasion, je vous propose un chef d'œuvre de la littérature française illustré par un dessinateur : Raoul Serres.

PREVOST Antoine François dit abbé Prévost. Histoire de Manon Lescaut et du chevalier des Grieux. Paris, aux éditions Arc-en-ciel, 1946, grand in 8 (23,5 x 18,5 ), 227 pages, Illustrations de 25 gravures originales en couleur d'après dessins (dont frontispice, les autres étant dans le texte) par Raoul Serres. Broché, couverture rempliée illustrée. Tirage limité à 2000 exemplaires : Un des 750 exemplaires sur Vélin Luxe numérotés de 1251 à 2000 (1571), Raoul Serres (1881-1971) est un graveur illustrateur français qui utilisa aussi le pseudonyme de Schem pour ses illustrations érotique et licencieuses. Très bon état couverture et intérieur. 45 €

9 commentaires:

pascalmarty a dit…

Fichtre ! Je conseillerais bien à notre ami Gandillet de mettre à jour sa bibliothèque technique, ou d'y jeter un coup d'œil plus approfondi. Opposer par exemple, parmi les techniques de reproduction, offset et photogravure ne montre que trop que certaines choses relèvent encore pour lui plus de la magie que de la mécanique…
Mais ça n'enlève bien sûr rien à ses autres qualités. ; )

Anonyme a dit…

Ai-je fais une erreur en écrivant que l'offset a besoin d'un intermédiaire en caoutchouc pour l'impression ?

Mes erreurs, si erreurs il y a, montrent alors que les procédés mécaniques méritent qu'on s'y intéresse un peu plus ;-)) Ph Gandillet

Anonyme a dit…

La phototypie est certes un des plus fidèles parmi les procédés opto-mécaniques de reproduction d'images photographiques ; cependant la Photoglyptie ou Woodburytypie procure (ou plutôt procurait) un résultat bien supérieur au point de le confondre avec les procédés purement photographiques.
Où se trouve la limite de l'action créatrice entre la "gravure" et la photographie ? Notamment les tirages à l'huile (bromoïl) et le pictorialisme.

René de BLC

pascalmarty a dit…

Non, cher Maître, vous avez raison : en offset, l'impression se fait par l'intermédiaire d'un blanchet en caoutchouc. Mais ce blanchet a été encré par une plaque en alu, laquelle plaque a été gravée chimiquement au travers d'un film, lequel film a été obtenu par le procédé nommé photogravure. Vous embrouillez donc un peu les étapes.
Aujourd'hui, l'offset qui, sauf en CTP (computer to plate), ne saurait se passer d'une phase préalable de photogravure, est le procédé d'impression employé pour sans doute 99,9 % des tirages et n'est certainement plus réservé à celui des journaux.
Quant à la photogravure, si elle a apporté une grande simplification dans la gravure, elle n'est effectivement pas le procédé le plus fidèle possible puisqu'elle fait obligatoirement appel à un procédé de tramage, bien visible au compte-fils.

pascalmarty a dit…

Pour résumer, l'offset est un procédé d'impression (comme la typo ou l'hélio), la photogravure est, comme son nom l'indique, un procédé photographique qui permet, dans un deuxième temps, d'obtenir une gravure. On ne peut donc pas les mettre au même niveau. On n'a jamais imprimé quoi que ce soit avec une photogravure.
Il y a de moins en moins de photograveurs aujourd'hui, remplacés qu'ils ont été par des flasheuses électroniques. Mais aucun d'eux n'a jamais produit la moindre plaque ni le moindre cliché. Leur truc c'était de réaliser des films, le reste (la gravure chimique proprement dite) se faisait chez l'imprimeur.

Anonyme a dit…

Cher Pascal, vous êtes un émérite professionnel à n'en pas douter, et à ce titre vos éclaircissements nous sont utiles.

Si vous reconnaissez que l'espace qui est dévolu à ma causerie m'oblige à des approximations que je regrette, alors je veux bien avouer que ces approximations sont la conséquence d'une méconnaissance profonde du sujet de ma part ;-))


J'en profite pour m'excuser d'une faute d'inattention car j'ai trébuché sur "Ai-je Fait ?" dans un commentaire précédent.

Ces ouvrages illustrés du XXe siècle méritent bien qu'on s'y attarde, sommes-nous bien d'accord ? Ph Gandillet

Pierre a dit…

Nous sommes dépassés par les progrès de la technique [ qui devient quelquefois obsolète avant que d'être comprise], René, et c'est pourquoi ces ouvrages ne trouvent plus leur public bibliophile.

Qui est capable de reconnaitre la technique utilisée ? Quel éditeur mentionne cette technique dans ses ouvrages ? Pierre

pascalmarty a dit…

J'aime à croire que si vous mettez sous les yeux d'un bibliophile un ouvrage imprimé à la dégueu et un autre où les illustrations sont de toute beauté, il saura faire la différence, même s'il ne sait pas d'où elle vient techniquement.
Si les éditeurs tout venant ne mentionnent plus la technique utilisée aujourd'hui c'est que tout est imprimé en offset, voire en numérique. Mais il me semble que c'est une information que continuent à fournir les éditeurs à petit tirage. Je me souviens avoir vu sur un stand du salon Pages des illustrations à la manière noire qui m'avaient laissé béat d'admiration, alors que je n'avais aucune idée à l'époque de ce qu'est la manière noire.
Laissons-nous donc subjuguer par la beauté. Et pour ce qui est de mes connaissances techniques, je vous assure qu'elles tiennent sur un très petit nombre de pages.

Anonyme a dit…

Le manque d'intêret est général en ce moment pour tout ce qui concerne le livre. Confirmation par les autres corps de métier avec lesquels je travaille : doreur, marbreur, autre relieur,
ça va passer.
tout n'est qu'éternel recommencement.
Bien à vous.
Sandrine.