mardi 12 juillet 2011

Jean Moréas. Edition originale dédicacée. Le symbolisme.


A la fin du XIXe siècle, la presse parisienne s'est beaucoup occupée d'une école de poètes et de prosateurs dits "décadents". Le poète des Syrtes,, M. Jean Moréas, un des plus en vue parmi ces révolutionnaires des lettres, a formulé, à cette époque, les principes fondamentaux de cette nouvelle manifestation d'art. Je vous en livre quelques extraits…


Comme tous les arts, la littérature évolue : Évolution cyclique avec des retours strictement déterminés et qui se compliquent des diverses modifications apportées par la marche du temps et les bouleversements des milieux. Il serait superflu de faire observer que chaque nouvelle phase évolutive de l'art correspond exactement à la décrépitude sénile, à l'inéluctable fin de l'école immédiatement antérieure. Deux exemples suffiront : Ronsard triomphe de l'impuissance des derniers imitateurs de Marot, le romantisme éploie ses oriflammes sur les décombres classiques mal gardés par Casimir Delavigne. C'est que toute manifestation d'art arrive fatalement à s'appauvrir, à s'épuiser ; alors, de copie en copie, d'imitation en imitation, ce qui fut plein de sève et de fraîcheur se dessèche et se recroqueville ; ce qui fut le neuf et le spontané devient le poncif et le lieu commun.


Ainsi le romantisme, après avoir sonné tous les tumultueux tocsins de la révolte, après avoir eu ses jours de gloire et de bataille, perdit de sa force et de sa grâce, abdiqua ses audaces héroïques, se fit rangé, sceptique et plein de bon sens ; dans l'honorable et mesquine tentative des Parnassiens, il espéra de fallacieux renouveaux, puis finalement, tel un monarque tombé en enfance, il se laissa déposer par le naturalisme auquel on ne peut accorder sérieusement qu'une valeur de protestation, légitime mais mal avisée, contre les fadeurs de quelques romanciers alors à la mode.


Une nouvelle manifestation d'art était donc attendue, nécessaire, inévitable. Cette manifestation, couvée depuis longtemps, vient d'éclore. Et toutes les anodines facéties des joyeux de la presse, toutes les inquiétudes des critiques graves, toute la mauvaise humeur du public surpris dans ses nonchalances moutonnières ne font qu'affirmer chaque jour davantage la vitalité de l'évolution actuelle dans les lettres françaises, cette évolution que des juges pressés notèrent, par une incroyable antinomie, de décadence […] . Nous avons déjà proposé la dénomination de symbolisme comme la seule capable de désigner raisonnablement la tendance actuelle de l'esprit créateur en art.


Disons que Charles Baudelaire doit être considéré comme le véritable précurseur du mouvement actuel ; M. Stéphane Mallarmé le lotit du sens du mystère et de l'ineffable ; M. Paul Verlaine brisa en son honneur les cruelles entraves du vers que les doigts prestigieux de M. Théodore de Banville avaient assoupli auparavant. Cependant le Suprême enchantement n'est pas encore consommé : un labeur opiniâtre et jaloux sollicite les nouveaux venus. […]. L'accusation d'obscurité lancée contre une telle esthétique par des lecteurs à bâtons rompus n'a rien qui puisse surprendre. Mais qu'y faire ? Les Pythiques de Pindare, l’Hamlet de Shakespeare, la Vita Nuova de Dante, le Second Faust de Goethe, la Tentation de Saint-Antoine de Flaubert ne furent-ils pas aussi taxés d'ambiguïté ?


Pour la traduction exacte de sa synthèse, il faut au symbolisme un style archétype et complexe ; d'impollués vocables, la période qui s'arc-boute alternant avec la période aux défaillances ondulées, les pléonasmes significatifs, les mystérieuses ellipses, l'anacoluthe en suspens, tout trop hardi et multiforme ; enfin la bonne langue – instaurée et modernisée –, la bonne et luxuriante et fringante langue française d'avant les Vaugelas et les Boileau-Despréaux, la langue de François Rabelais et de Philippe de Commines, de Villon, de Ruteboeuf et de tant d'autres écrivains libres et dardant le terme acut du langage, tels des Toxotes de Thrace leurs flèches sinueuses […]. Ainsi dédaigneux de la méthode puérile du naturalisme, le roman symbolique édifiera son oeuvre de déformation subjective, fort de cet axiome : "Que l’art ne saurait chercher en l’objectif qu’un simple point de départ extrêmement succinct". Jean Moréas.

Évidemment, dit comme ça, c'est clair comme de l'eau de roche ! Pierre


MOREAS Jean. Poésies (1886-1896). Bibliothèque Artistique et Littéraire, Société Anonyme "La Plume", Paris 1898. Format in-8. 237 pages. Contient "le Pélerin passionné, Enone au clair visage & Sylves, Eriphyle & Sylves nouvelles". Edition, en partie, originale, le Pélerin ayant paru en 1891. Reliure demi-veau glacé havane, Filets entre les nerfs et roulettes, pièce de titre en maroquin avec lettres dorées. Plats marbrés, contre-plats et pages de garde marbrés, couvertures de l'ouvrage conservées. Belle dédicace de Jean Moréas à son ami Camille de Sainte Croix (avec lequel il a fondé cette même année, une revue "Le Symboliste"). Bel Ex-libris. 135 € + port

4 commentaires:

Pierre a dit…

Il fallait la faire : Moréas est considéré à juste titre comme le texte-symbol de ce mouvement littéraire...

Après ça, tout commentaire est inutile ;-)) Pierre

Anonyme a dit…

De passage et ne sachant pas de quoi cela parle... j'ai juste lu que tout commentaire était inutile. Alors je me manifeste quand même. je prendrai un peu plus de temps ce soir pour lire les billets.
C'est juste une preuve intempestive que je continue de lire sans toujours me manifester.
bien à vous;
sandrine.

Pierre a dit…

Je voulais dire que tout commentaire sur ma blague à deux euros était inutile ;-))

Je suis au regret de constater que les lecteurs de Moréas sont néanmoins rares. J'en fait partie. A quoi cela tient ? Au fait que tout mouvement à la mode passe avec cette mode... Un amateur bibliophile aura donc un large choix d'ouvrages bien reliés, dédicacés et en EO pour un tarif très raisonnable. Pierre

Anonyme a dit…

Il faut dire que le passage cité, est, je trouve, peu accessible aux lecteurs de l'été, pour ne pas citer de nom et être désagréable.
;-))
S.