lundi 18 juillet 2011

Causerie du lundi de Philippe Gandillet. Un truc pour faire aimer la lecture à la jeunesse…


Réponse au courrier d'un lecteur suite à ma dernière causerie [voir lundi dernier] :

Mon cher ami,

Vous m'en croirez si vous voulez, mais si je n'ai pas répondu plus tôt à votre lettre, c'est que depuis que vous me l'avez adressée, je ne cesse d'y réfléchir. Je vous ai écrit vingt fois de longues épîtres inachevées, mais votre lettre m'est une si bonne occasion de préciser pour moi certaines idées, que j'ai attendu pour vous les communiquer qu'elles soient tout à fait au point. Je résume votre propos aux lecteurs qui nous suivent depuis leur villégiature estivale : " Les enfants ont grandi, et la "petite" dernière vient de passer son bac. Nous ne nous étendrons pas sur son avenir. Elle fait partie de cette génération qui ignore l'existence même des livres…"

Le mal n'est pas nouveau, cher ami. Je connais ceci depuis longtemps et j'ai plusieurs fois été tenté de renoncer à mes habitudes d'intellectuel pour me couler dans cette société en mouvement ; "Un intellectuel assis va moins loin qu'un con qui marche" disait Michel Audiard. J'en ai fait mon credo.


J'ai été longtemps - et malheureusement, je peux encore le paraître en début de semaine – un intellectuel dédaigneux. Je méprisais les gens de sport et le monde des affaires, les avocats et les médecins, les savants et les industriels. Alors que j'ignorais tout de la vie, je n'imaginais pas d'autres joies que celle que l'on trouve dans le songe obscur et vain des livres…

Et puis, j'ai compris que mes formules étaient insuffisantes et mes théories trop étroites. J'ai cessé de croire à la valeur des mots et j'ai compris que la vie, celle où allait entrer nos enfants, se moquait des subtilités livresques et des obscurités dogmatiques. J'ai compris que le réel ne se pliait pas à l'idée mais qu'il fallait que l'idée s'ajuste au réel à charge, pour l'équilibre de nos enfants, que l'idée perde aussi de sa pureté native et de son intégrité.


Pour qu'une idée ait de l'efficace et rejoigne la vie, il faut qu'elle consente à des compromis, à des concessions - à des compromissions diront certains - , de même que l'or, pour servir de monnaie, doit entrer dans un alliage, et perde en valeur intrinsèque ce qu'il gagne en utilité. Il faut donc admettre le désamour de la jeunesse pour le livre en demeurant, par ailleurs, les derniers dépositaires de son utilité future…


Comment pouvons faire comprendre à cette jeunesse que c'est dans l'inaction et au sein d'une bibliothèque sombre que nous exaltons la vie et la lumière ? De là vient notre désarroi et notre inquiétude... Parce que les jeunes prennent franchement la vie telle qu'elle est ; parce qu'ils voyagent ; parce qu'ils sont actifs, ils ont peu à faire des livres qui racontent. Orgueil candide des méditatifs que nous sommes ! L'eau, l'amour, le feu, la jalousie, la douleur, l'angoisse, la forêt qui vibre, et le chant des oiseaux, l'héroïsme et toutes les belles choses du monde leurs seront révélés sans avoir à tourner les pages des grands classiques que nous leur conseillons.


Les jeunes ne sont ni meilleurs, ni pires que nous, mon cher ami. Il leur manque simplement un petit "Truc" qui va les aider à affronter l'avenir. Sur l'insistance de Pierre, notre libraire, j'ai pensé que nous pouvions leur en fournir un !

Excuse l'obscurité un peu fiévreuse de cette lettre. Il fait très chaud ici et je n'ai plus ni la lucidité du style ni le sang-froid de l'esprit qui accompagnent mes causeries ordinaires.

Ton dévoué. Philippe Gandillet



TRUC (Gonzague). Histoire illustrée des littératures. Paris, Plon. Editions d'histoire et d'art. Grand in-8 broché à couverture illustrée de 317pp. Nombreuses illustrations. Bel état. 24 € + port

11 commentaires:

pascalmarty a dit…

Bigre, voilà que maître G. s'emporte au point de tutoyer un lecteur qu'il avait commencé par vouvoyer !
Pour ma part, je ne crois pas un seul instant que la lecture puisse être en danger dans la jeunesse. L'orthographe, peut-être. Et encore faudrait-il être vraiment sûr qu'elle ne l'a pas toujours été, chez les vieux comme chez les jeunes. Que ce n'est pas même dans son essence profonde. Qu'elle n'est pas fondamentalement trace d'instabilité et d'insécurité plutôt que momie déssèchée et accusatrice.
Mais les jeunes d'aujourd'hui lisent sûrement beaucoup plus que ne le faisaient leurs parents au même âge. L'iPad c'est pas fait pour les chiens… Mais bien sûr, ce ne sont plus forcément des livres imprimés sur du papier.
Quant à savoir si passer du temps à lire, voire à écrire, empêche de profiter du réel dans ce qu'il a de plus réel, qu'en pensaient par exemple un Malraux, un Hemingway ou même un Jules César, tiens ? pour ne citer que les premiers noms qui me passent par la tête.
Non, non, mon cher Maître. Ils ne vont rien perdre, parce que de toutes façons tout est encore devant eux. Pouvons-nous, hélas, en dire autant ?

Nadia a dit…

Merci à pascalmarty de nous rappeler que nous avons un certain âge... je venais de l'oublier 5 minutes, entre mon arthrose et mes cheveux blancs.
Je crois l'avoir déjà dit un jour dans un précédent billet : beaucoup de jeunes lisent. Leurs supports sont parfois différents. Dans les temps anciens, est-ce qu'ils lisaient plus, finalement ? avec le travail qui les prenait tôt, à la terre ou à l'usine locale, on les envoyait jouer dehors ensuite. Jouer, oui, ça, ils le faisaient. Maintenant, ils se momifient à l'ombre des plantes en pot devant leurs ordinateurs.

Anonyme a dit…

Il semblerait en effet que, pris dans un élan d'enthousiasme débridé, j'en arrive à tutoyer des lecteurs au lieu de les vousoyer ;-)) Ph Gandillet

Pierre a dit…

Merci à Pascal et Nadia pour leurs commentaires pertinents. Les jeunes lisent moins de livres, c'est vraisemblable mais utilisent plus le langage écrit que nos aïeuls, texto oblige [Avec les dérives orthographiques que l'on sait !]

C'est moins la dysorthographie qui me gène que l'effet délétère qu'elle entraine sur le sens des phrases avec, en bout de neurone, des contresens fréquents. Pierre

Anonyme a dit…

Oui, oui, les contresens sont fréquents, parfois dramatiques, parfois amusants. Je viens d'en rencontrer un attendrissant. Je le livre sans aucune volonté de moquerie, qui serait malvenue, inutile et présomptueuse ; simplement je trouve que ça casse un peu l'effet désiré, comme une jolie fille qui louche :

"envie de crier mes pensées,
a celui qui est concerné,
mais hélas si je le fessai,
un autre s'en irai."

Jean-Michel

Pierre a dit…

Aussi drôle qu'un contrepet... Pierre

Anonyme a dit…

Enfants ou pas, on n'a pas fini de gloser sur la lecture, "Ce vice impuni" que Valéry Larbaud aurait emprunté à Logan Pearsall Smith pour qui la lecture était un "vice raffiné et impuni" et une "égoïste, sereine et durable ivresse".

Rhemus

Pierre a dit…

Bienvenue à Normand Trudel qui s'est inscrit comme membre honoraire ;-)) Ceux qui ne le connaissent pas encore peuvent aller sur son excellent site (canadzien !!) Pierre

Anonyme a dit…

Pour en revenir au sujet,je garde l'espoir de voir nos (mes) enfants se mettre à lire (des livres)un peu plus. Adolescent, bien que sans PC ou MAC, ni téléphone portable qui n'existaient pas, je ne lisais pas beaucoup ; cela faisait partie du travail scolaire, donc point trop n'en fallait.Mais il arriva qu'en feuilletant par curiosité le Gustave Lanson, dans son édition in-4° de 1923, chez mon grand-père, je trouvais beau l'ouvrage, belles les illustrations (de livres anciens) et intéressant le texte !
Donc, ayons un peu de patience et favorisons le hasard en suivant le conseil, pourquoi pas le Truc, de Philippe.

Rhemus

calamar a dit…

Le Lagarde et Michard avait bien des défauts, mais au moins (à mes yeux) une qualité : ses illustrations étaient des mauvaises reproductions de gravures anciennes, qui ne pouvaient que faire naître le désir de les avoir "en vrai"...

Pierre a dit…

J'aime la formule de Jean-Paul : Favorisons le hasard !

Notre utilité, si utilité il y a, est de donner envie de lire et de découvrir les livres à travers les éditions anciennes que nous présentons. Pierre

Nb : Le lagarde et Michard est une référence et je le propose à la boutique...