vendredi 11 avril 2014

Poésies de Mademoiselle Deshoulières chez Jean Villette, 1732.



Quand Marguerite Yourcenar entra à l'Académie française, l'institution fut placée devant un problème majeur : les toilettes de l'Institut n'étaient pas mixtes, et pour cause ! Jean D'Ormesson, dont on connait le caractère facétieux, demanda à ce qu'on sépare les lieux d'aisance en deux parties. Une porte marquée d'un petit bonhomme indiquerait "toilettes hommes". Sur l'autre porte serait simplement mentionné : "Marguerite Yourcenar"…


A ceci près que la première femme académicienne ne fut pas Marguerite Yourcenar mais Madame Deshoulières (1634-1694) !


Aujourd’hui, Mme Deshoulières est à la fois un auteur connu et méconnu. Les historiens de la littérature ne lui accordent, de nos jours, que quelques lignes dédaigneuses. Antoinette du Ligier de la Garde, qui était belle, instruite et douée, ne se souciait, en fait, que de vivre à sa guise, de satisfaire son appétit de savoir et de plaisir. Elle connaissait le latin, l’espagnol et l’italien, dansait à ravir et pratiquait le golf et l’équitation.


Elle passa peu de temps avec son époux, Guillaume Deshoulières, gentilhomme ordinaire de Condé, mais le rejoignit pourtant à Bruxelles lorsqu’il fut exilé. Elle se fit même emprisonner pour avoir réclamé avec trop de véhémence aux Espagnols la pension qui était due à son conjoint.

 
En 1657, on la retrouve à Paris. Sa maison, rue de l’Homme-Armé, au Marais, située dans le voisinage de celles de Mlle de Scudéry et de Mme de Sévigné, accueillait les plus hautes personnalités. Elle ne fut pas éditée de son vivant et l'on doit à sa fille l'excellente publication que je vous propose aujourd'hui à la vente. Sa poésie est très simple, mais son élégance la rend éternelle et intemporelle ; une espèce de ronronnement intérieur qui s’articule autour des événements – quelquefois anodins - de sa vie. Madame de Sévigné écrivait des lettres quand Madame Deshoulières faisait de la poésie…


Il parait que les amateurs de poésie connaissent son Idylle des Moutons ; je l'ai découverte. Il s'agit d'une touchante allégorie où elle déplore, en beaux vers, le sort de ses enfants. J'ai trouvé, en feuilletant ses vers, plus original, plus animalier, l'ensemble étant faussement dilettante mais plus profond qu'il n'y parait :

La mauvaise réputation : tous sauf moi...
Si pour vous épargner des pleurs
Ma raison n'est pas suffisante
Regardez ce que représente
Le serpent caché sous les fleurs,
Il nous dit : tremblez Amarante
Tous les hommes sont des trompeurs !

Un (auto) portrait d'Elisabeth-Sophie Chéron ?
La savante Cheron par son divin pinceau
Me redonne un éclat nouveau
Elle force aujourd'hui les grâces
Dont mes cruels ennuis & mes longues douleurs
Laissent sur mon visage à peine quelques traces …
Par son art, la race future
Connaitra les présents que me fit la nature.

La cigarette après l'amour...
Que la fin d'une tendre ardeur
Laisse de vide dans la vie.
Rien remplace t-il le bonheur
Dont la douce union des amants est suivie ?
Non, il n'appartient qu'à l'amour
De mettre les mortels au comble de la joie.
A ses brulants transports, lorsqu'on est plus en proie
Qu'un cœur vers la raison fait un triste retour !


Ça sent le vécu ! Pierre

DESHOULIÈRES (Antoinette). Poésies de Mademoiselle Deshoulières, nouvelle édition augmentées dans cette dernière édition d'une infinité de pièces qui ont été trouvées chez ses amis. Paris, chez Jean Villette, 1732. Deux tomes petit in-8 (19/12,5). Reliure plein veau jaspé, dos à nerfs, caissons fleuronnés avec roulettes et filets, titre et tomaison en lettres dorées, toutes tranches rouges, gardes colorées. Tome I : [2ff],297pp, [4ff table], [1fbl]. Tome II : 284pp, [8ff table - privilège], [1fbl]. Des défauts aux coiffes, intérieur parfait. Très bel ensemble. 185 € + port

2 commentaires:

Anonyme a dit…

La présentation est un peu retorse en ceci qu'elle pourrait laisser à entendre qu'Antoinette Deshoulières fit partie de l'Académie française. Ceci est dû d'une part au nombre très élevé d'académies - il est d'ailleurs facile d'en créer une si on en pressent le manque - et au fait que nommer l'Académie sans rien préciser d'autre implique qu'il s'agit de l'Académie française.

Jean-Michel

Pierre a dit…

J'avais laissé planer un doute pour solliciter l'esprit des lecteurs.

Madame Deshoulières fut, en effet, la première femme élue à l'Académie... des Ricovrati en 1684 et à l'Académie d'Arles en 1689 !

Si on analyse un peu l'article, on comprendra qu'elle ne pratiquait pas le golf, non plus ;-)) Pierre