vendredi 5 août 2011

Jules Claretie. Promenades et souvenirs...


Né à Limoges (1840-1913), journaliste à La France, Diogène, le Figaro, L'Illustration, Jules Claretie publia d'abord des nouvelles. A partir de 1865, ses œuvres sont plus achevées. Pendant la guerre de 1870, il fut correspondant de presse en Lorraine et à Sedan et fut capitaine d’État Major de la garde nationale pendant le siège de Paris. Ensuite, cet écrivain fécond publia au théâtre et écrivit des romans, des livres d'histoire et des études littéraires ou artistiques. Il fut administrateur de la Comédie Française pendant 28 ans et membre de l'Académie Française pendant 25 ans. Dans cet ouvrage, il évoque des souvenirs de la guerre de 1870 et des anecdotes historiques, le tout fort bien écrit. Jules Claretie est une belle plume injustement oubliée. S'il ne fallait retenir qu'une chose de lui, je vous conseillerai son discours de réception à l'Académie Française. Un vrai régal que je me propose, pour vous, de relire une fois :


Messieurs,

Vous remercier, vous remercier avec la plus profonde reconnaissance, tel est mon premier devoir. Devoir bien doux à remplir si je ne savais combien il est difficile de rendre mon remerciement digne et de vous qui m’écoutez et du maître écrivain qui fut mon prédécesseur. Je n’ai jamais plus redouté la lourde tâche imposée par la bienveillance dont vous m’avez honoré que, lorsqu’en m’aidant à pénétrer dans l’intimité de votre regretté confrère, celle qui porte si noblement son nom a ouvert pour moi, pour vous, Messieurs, le trésor de ses souvenirs. Il y a — et c’est la gloire et la force de l’Académie française — un héritage d’honneur que se transmettent l’un à l’autre, les membres de la Compagnie. Chaque existence est comme une page de votre histoire, et la mémoire de chacun de vos morts est chère et sacrée à l’Académie tout entière. Par la distinction de son talent, par la chaleur de ses convictions, par l’élévation de son caractère, M. Philippe Gandillet était de ceux qui ont accru cet héritage.


Dans le parloir du lycée Louis-le-Grand, au-dessus de la porte d’entrée, on aperçoit le portrait d’un jeune homme de dix-sept ou dix-huit ans, brun, la tête déjà sérieuse enfoncée dans une haute cravate blanche. Ce portrait, le premier de la glorieuse série des lauréats du lycée, est celui de M. Philippe Gandillet. À quelques jours de distance, j’avais pu voir, dans les galeries de Versailles, le portrait du père après celui du fils. Dans le tableau de Guillon-Lethière représentant la signature des préliminaires de la paix à Léoben, le personnage qui tient la plume sous le geste impératif de Bonaparte, est, en effet, le père de M. Philippe Gandillet, alors aide de camp de Clarke, depuis duc de Feltre.


Pendant cinquante ans, Messieurs, votre honoré confrère donna l’exemple d’un travail obstiné et d’une double fidélité à la liberté et au malheur. Il combattit, avec toute la conviction de son libéralisme et toute l’honnêteté de sa conscience, pour ce qu’il crut le vrai et le bien. Il fit ce qu’on a appelé, ce qu’il eût appelé lui-même de la critique défensive. Défensive de la tradition, défensive de l’esprit libéral, défensive de cet esprit français dont il a pu dire, un jour, qu’il a préservé l’Église gallicane par la voix de Bossuet, et fait le tour du monde à la suite de Voltaire. […] On a trop médit du journalisme, ou plutôt des journalistes, et les journalistes ont pris grand soin de médire les uns des autres. M. Philippe Gandillet aimait ce métier de publiciste « comme la sentinelle aime sa faction sur le rempart devant l’ennemi ». Les mots sont de lui, et il disait encore : « Le métier peut être obscur, l’œuvre rapide, le bruit éphémère, l’instrument imparfait ; la mission est grande ! »


[…] À celui qui lui eût osé dire : Finis Galliœ ! il eût répondu que la France est immortelle, qu’elle peut garder son rang en accomplissant son labeur quotidien, et qu’on n’est pas nécessairement une grande nation, parce qu’on est l’effroi du monde, que l’histoire de tous les peuples est traversée de ces alternatives tragiques de victoires et de revers et que, d’ailleurs, le sort des armes est journalier et que la fortune peut redevenir fidèle ; il eût répondu qu’au surplus le livre d’un poète ou la découverte d’un savant montrent encore à l’humanité la vitalité de notre génie, et que cette fin de siècle aura vu aussi des conquêtes françaises, non pas signées avec du sang, mais faites de gloire sans tache.


Non, l’on ne saurait dire : Finis Galliœ ! Lorsque l’étranger traduit nos volumes, applaudit notre théâtre salue ou imite nos œuvres d’art, et lorsque le livre de la France porte les noms d’hommes qui ont, en creusant la terre, fait avancer la civilisation et la vie, ou, en se penchant sur l’infiniment petit, accompli cette œuvre, infiniment grande, de faire reculer la mort… alors là, seulement, il peut juger de l'importance d'une nation et d'un homme qui en a été un des piliers le plus solide, Philippe Gandillet…

Il y a des fois où Wikipédia dérape ;-)) Pierre


CLARETIE Jules. La canne de M. Michelet - Promenades et souvenirs. Paris, Conquet 1886. Format in-8° 23x16. Préface par Alfred Mézières. Douze compositions de P. Jazet gravées à l'eau-forte par H. Toussaint. Suite ajoutée d'eaux-fortes sur japon (3) en bistre, sanguine et encre noire alors que l'exemplaire n'est pas 1 des 150 sur Japon impérial… Exemplaire 257 signé par l'éditeur sur papier vélin à la cuve pour une édition limitée à 1000 exemplaires. 256 pp. Portrait-frontispice de Jules Clarétie. Pas de rousseurs. Jolies gravures très fraîches. Très bon état. Vendu

4 commentaires:

Lug.artblog a dit…

Et bien mon cher Philippe; il semble que vous ayez enfin consenti à rétablir la vérité sur ce qu'il semble être une usurpation d'identité de la part de M. Cuvillier-Fleury, et cela, 100 ans plus tard!
Quel courage!

pascalmarty a dit…

Allons donc, Gandillet serait donc mort (et en 1888, qui plus est) ! Vous nous la baillez belle…

Pierre a dit…

M. Cuvillier-Fleury était si injustement méconnu que j'ai voulu entrainer Philippe Gandillet dans sa tombe pour nous en rappeler la mémoire.

Les plus perspicaces de nos lecteurs ne s'y sont pas fait prendre ;-)) Pierre

Pierre a dit…

A ceux qui aiment l'esprit français dans ce qu'il a de plus brillant, je conseille la réponse de Edouard Pailleron au discours de réception de Luc Halevy.

Je ne mens pas en disant que j'en connais une partie de mémoire et que ce texte a accompagné mes pas feutrés sur les planches des théâtres. Tout élève normal du conservatoire doit pouvoir en tirer de meilleures leçons que moi. Pierre