lundi 19 juillet 2010

Causeries du lundi de Philippe Gandillet : Les aventures du Roi Pausole de Pierre Louÿs…


Des lecteurs du "Bibliomane moderne" en manque de frivolités littéraires et de bibliofilles en petite tenue se sont tournés vers moi pour me demander de me substituer à leur animateur préféré pendant les vacances estivales. J'avais proposé à Pierre, une fois n'est pas coutume, de délaisser la présentation de ses ouvrages Académiques pour faire une parenthèse guillerette avec une œuvre plus légère mais sa réponse sous la forme d'une sentence latine "Semel in hebdomada" m'a fait comprendre qu'il m'en laissait la responsabilité ! J'ai choisi de vous présenter les Aventures du Roi Pausole de Pierre Louÿs. J'y ai mis un peu de panache en vous proposant ce beau texte illustré par Jacques Touchet dans une reliure signée qui devrait séduire les bibliopégimanes…


Pour un roman publié en 1900, Les Aventures du roi Pausole gardent un ton très XVIIIème : Il s'agit d'un conte à portée philosophique, dont l'intrigue se résume en deux lignes et qui fournit le prétexte à des digressions et autres conversations livrées d'un ton léger et badin, quand ce n'est pas un peu polisson ... On se croirait parfois chez Voltaire. Cependant, Pausole se présente comme un ouvrage contemporain, le roi du pays de Tryphème est contemporain et voisin d'Emile Loubet, président français de l'époque. C'est juste que son pays ne figure pas sur les cartes ; il est trop prospère pour ça. Cela pourrait attirer les touristes ... Alors les géographes ont préféré laisser ce pays en bleu, dans la Méditerranée ! Et à Tryphème règne un roi débonnaire en proie au démon de l'incertitude. C'est pour cela qu'il a 366 femmes : Une pour chaque jour de l'année, et une prévue pour les années bissextiles. Cela lui évite de se confronter à la perspective d'un choix ... Souverain double, Pausole accorde et recommande une grande liberté de moeurs à tous ses sujets, et le code pénal de Tryphème se résume à deux articles : "Ne nuis pas à ton voisin. Cela étant bien compris, fais ce qu'il te plaît !" On ne fait pas plus simple.


En cela, le personnage du roi illustre bien les problèmes complexe que sous-tendent ces déclarations : Tandis que les Tryphémoises se promènent avec pour tout vêtement un mouchoir sur la tête et des mules aux pieds, il interdit la nudité à sa fille. De même, alors que mariage et monogamie ne sont pas particulièrement recommandés dans son pays, il est interdit aux femmes de son propre harem de voir des hommes, hormis la seule nuit par an qu'elles passent en compagnie du roi. Cependant, Pausole règne sans se questionner, faisant justice sous un cerisier plutôt que sous un chêne " parce que cet arbre fait autant d'ombre qu'un autre et qu'en plus, il donne de bons fruits " jusqu'à ce que son petit monde s'écroule.


Sa fille, la princesse Aline prend, un jour, la poudre d'escampette, fuyant sa prison dorée en compagnie d'une belle danseuse. Après bien des hésitations, Pausole part à sa recherche, monté sur sa mule, accompagné de deux conseillers hauts en couleurs. On ne fait pas plus opposé. D'un côté, le libertin évoquant toute la lignée des valets de comédie, de l'autre le chrétien protestant et professeur d'arithmétique incarnant ordre et rigueur et arrivant toujours mal à propos dans l'atmosphère joyeuse et délicieusement légère du pays de Tryphème.


Ce voyage mené par cet improbable trio apparaît alors comme le prétexte à mille petites aventures, sans grande conséquence et qui, bien loin d'amener à la conclusion, prolongent bien plus volontiers les pauses et les escales. L'épilogue du roman se clôt à peu près sur ces termes : "Ci finit l'aventure extraordinaire du Roi Pausole qui, pour retrouver sa fille, alla jusqu'à parcourir sept kilomètres à dos de mule, de son palais à sa grand'ville."


Mais si ce n'est pas réellement l'intrigue qui retient le lecteur… Que trouve-t-on tout au long des 350 pages de ce roman ? Regardez les illustrations ! Les aventures du roi Pausole baignent dans un érotisme ambiant, du début à la fin. Léger, souvent bien plus suggestif que descriptif, mais bien là. En passant, l'auteur développe un des thèmes qui semblent lui être assez chers : celui du saphisme, à travers la fuite de la princesse Aline avec Mirabelle, qui devient son initiatrice. Au-delà de ça, Tryphème apparaît comme le lieu des plaisirs décomplexés, et l'amour y est décrit comme quelque chose de naturel et allant de soi. Et derrière un ton apparemment léger se cachent des réflexions sur l'amour, la nudité, la sexualité et la morale.


C'est donc bien un conte à connotation érotique que l'on trouve sur la plume de Pierre Louÿs, mais ce serait énormément appauvrir le texte de n'y voir que cela. Avec espièglerie et légèreté, l'auteur livre également une satire, contre la pruderie certes mais aussi contre les institutions… Votre dévoué. Philippe Gandillet qui s'est adjoint pour l'occasion les yeux de fréneuse…


LOUYS Pierre. Les aventures du Roi Pausole. Paris, H. Piazza, 1939. In-8. Reliure mosaïquée demi-chagrin noire, dos à 4 nerfs présentant 3 motifs ciselés polychromes, pièces de titre, nom de l'auteur et année en lettres dorées. Contreplat et page de garde en papier coloré. Couverture et dos conservés. 4ff, 350pp, 4ff. Très nombreuses illustrations de Jacques Touchet mises en couleurs à la main au pochoir. Exemplaire numéroté 206. Reliure signée par un maître-relieur de l'époque, Léon Lapersonne. Tranche supérieure dorée. Je trouve personnellement cette reliure très flatteuse. Vendu

10 commentaires:

Anonyme a dit…

L'erotisme vu comme ça évidemment aurait pour ainsi dire droit de cité dans le plus reculé des scriptorium des monastères de la chrétienté. Avec ce billet vous venez de mettre en tête la scène du cellier des moines dans le film Le nom de la Rose....Allez savoir pourquoi ce genre de scène erotico-mystique vous vient en tête pendant les vacances???... A bientôt Bertrand le Bibliomane moderne

Anonyme a dit…

Je ne doutais pas un instant que ce roman présenté de façon torride allait exacerber votre libido estivale ainsi que celle des lecteurs qui nous suivent ;-)) Philippe Gandillet

Textor a dit…

Moi, j’dis qui vaut mieux être en proie au démon de l’incertitude qu’au démon de midi !

Devoir de vacances : Combien d’années de cotisation seront-elles nécessaires à la 366ème avant qu’elle puisse partir avec une retraite en années pleines ?? ;-))

Textor, l’ami des bibliophilles.

Pierre a dit…

Je confirme textor que la commodité de l'incertitude est préférable à l'incommodité du péché... Surtout si on se fait prendre !

Si mes progrès en latin sont avérés, une année bissextile est bien une année où il faut faire l'amour, deux fois le 29 février ? C'est ça ?

Donc sachant que les années bissextiles ont lieu tous les quatre ans, grosso-modo, et que le Roi Pausole doit honorer sa maitresse une seule fois dans la nuit, il faudra deux fois plus de temps à cette dame pour pouvoir escompter une retraite à temps plein ;-)) Pierre

Textor a dit…

Bissextiles!! Vous apprenez le latin dans les lupanars de Pompéi ?!!

Je suis en train de vous concocter un petit article sur la représentation scénique au 16ème siècle dans l’Héautontimorumenos de Térence (A ne pas confondre avec l’otorhinolaryngolomenos…) De quoi calmer vos ardeurs estivales, grave ! :-(

T

Pierre a dit…

Le latin avec Terence, cela reste quand même joyeux !

Vous aviez raison : l'étymologie proposée pour bissextile semble erronée. Je retourne au Gaffiot Pierre

Père plus tellement déoseuvré a dit…

Mon cher Pierre
il me semble que vous minimisez la nature érotique de cet ouvrage n'en témoigne les petites mains métalliques (mais comment diable appelle-t-on ça en Français ?) qui servent à tenir le livre ouvert permettant ainsi d'avoir les mains libres pour d'autres occupations (ces objets sont très utilisés en cuisine, permettant d'avoir le livre de cuisine ouvert, pendant que l'on fait monter la sauce. Ce qui permet aussi de se tenir à une distance raisonnable du livre éviter de balancer la sauce sur le livre au risque de coller les plus belles pages entre elles).
En tout cas j'aurais aimé disposer de ce genre d'accessoires à mon adolescence afin de pratiquer (pour reprendre le regretté Desproges) la masturbation à deux mains...s'il vous le voulez bien.

Pierre a dit…

Je n'avais jamais pensé à mettre en avant cet argument commercial qui m'ouvre les portes d'une clientèle jeune et bimane !

On est pas loin du sexetoy, en effet, et son utilisation en cuisine me permet même d'envisager mon avenir financier avec le sourire.

Hier encore, j'appelais cet instrument un presse-papier. Que pensez-vous de "kit mains-libres " ?

Pierre ;-))

Père plus tellement déoseuvré a dit…

Votre idée me semble effectivement très bonne, le vendre comme un instrument multi-usage, à bien rincer après chaque utilisation.
Je me disais bien aussi que vous étiez un obsédé.

Li-An a dit…

Dommage que l'on ne puisse pas voir toutes les illustrations. C'est vraiment la croix et la bannière pour découvrir l'oeuvre des illustrateurs français...