lundi 30 avril 2012

Salon du livre ancien de Paris. A l'attention des absents pour qu'ils puissent en parler quand même...

Évidemment, les parisiens sont très forts… Ce Grand Palais est l'endroit le plus inespéré pour présenter de beaux livres anciens. Je pense que ce fut un succès, s'il faut accorder de la valeur au son des quelques bouteilles de champagne qui ont "pété" pour clore ce salon et si j'en crois les commentaires satisfaits que j'ai vus sur les feuilles remises aux organisateurs par les tenants des stands. Les sondeurs, qui ne se trompent pas, vous diront que c'était un peu mou dans le XVIIe et le XVIIIe, que le XVIe résiste bien, que le XIXe reste une valeur sûre et que l'incunable ou le manuscrit enluminé n'intéressent personne, comme d'habitude… La grande tendance reste néanmoins le texte moderne avec une prédilection pour les éditions originales et les autographes.


Une constatation, cependant : Le stand le plus achalandé - et celui où il arrivait même de faire la queue - reste celui des toilettes. Les prostates vieillissantes qui sont légion chez les bibliophiles augmentent considérablement le temps et la fréquence de passage dans ce haut lieu de la méditation bibliophile, il faut l'admettre. On ne peut clore cette pertinente analyse urinaire sans toutefois noter que les femmes étaient très présentes à ce salon, tant au niveau des stands que du public. Certains y verront le juste équilibre crée par l'acceptation de l'égalité de l'homme et de la femme face au droit à la connaissance. D'autres y percevront une dérive inéluctable qui verra les hommes perdre, encore et toujours, les derniers domaines de compétences qui leur étaient réservés…

Je vous emmène faire un petit tour avec moi. Comme à mon habitude, j'ai dû oublier l'essentiel…












Il n'est pas fréquent de voir un manuscrit enluminé du XVe siècle s'emboîter parfaitement dans une reliure d'or et de pierre précieuse, évidée, de la même époque. Ce confrère a fait exactement ce que j'aurais fait à sa place si l'occasion s'était présentée à moi. Il les a associés pour nous proposer, à l'achat, ce magnifique ouvrage accessible avec n'importe quelle carte de crédit à gros débit.

Si l'on aimait les ouvrages anciens, on pouvait aussi se rabattre sur cette première édition incunable de planches botaniques aquarellées de Leonhart Fuchs dans une jolie reliure bâloise. On peut cependant regretter que l'invention de la serpente n'ait pas suivi de près l'invention de l'imprimerie… Au fait, de quand datent Les premières serpentes ?












Passons au siècle suivant avec le traité de dressage du cheval de Pluvinel. Saviez-vous que ce traité est très courant ? C'est à pleurer… Toutes mes certitudes tombent comme les feuilles mortes, à l'automne. J'ai vu trois exemplaires proposés à la vente, à ce salon ! Quant à l'ouvrage in folio de La Guérinière, n'en parlons même pas, c'est d'un commun ! J'en ai même vu un, colorisé. On ne devrait pas laisser les enfants dessiner dans les livres…

On ne trouvait pas que des livres au Grand Palais, bien évidemment. Témoin, ce joli portrait de la petite fille de George Sand, peint par elle-même, dernier souvenir du destin malheureux d'une enfant écartelée entre ses parents. Le père, Augustin Clesinger, n'en avait même pas fait la sculpture ! Pourquoi la vie des artistes n'est-elle jamais exemplaire ?


Restons dans les destins tragiques avec ce petit opuscule de poésies imprimé par Rimbaud, en Belgique, alors qu'il avait 19 ans. On croyait le recueil introuvable car l'imprimeur n'ayant pas été payé (sale gosse, ce Rimbaud !) avait soustrait les exemplaires au poète. Et puis un jour… dans le débarras d'un imprimeur, un brocanteur trouve tout ce lot dans un sac ! Il les vend, bien sûr, les uns après les autres et c'est pourquoi ce recueil est aujourd'hui proposé à la vente à un tarif de misère…


Parlons justement argent ! Savez-vous que l'équilibre financier de la France tient dans un postulat tout simple ? Pour assainir nos finances, il suffit de demander à ce que, seuls les riches soient astreints à rembourser leurs dettes car les pauvres, en ne les payant pas, contribuent à empêcher la flambée des prix. Il s'agit là, bien évidemment, d'une impression sur papier Hollande…


Je termine cette petite visite par un arrêt de rigueur au stand du Barreau de Paris, magistralement commenté par l'archiviste de la bibliothèque (garanti sans conservateur !). Vous auriez pu vous perdre, comme moi, dans la Salle des Pas Perdus, où étaient établis les libraires de l'époque - Gabriel Quinet avait ses tréteaux à l'entrée de la salle des prisonniers sous la statue de l'Ange Gabriel quand il vendait ses "plaideurs" au nez de la magistrature – mais c'est le procès Caillaux qui a retenu mon attention, vous vous en doutez bien ! Acquitter une femme d'un meurtre, pour le motif qu'elle voulait naïvement laver l'honneur de son mari qui n'en avait pas est la mesure la plus misogyne qui soit, à mon avis. Et vous savez que dans ce domaine, je suis intraitable…


Je sais que certains vont regretter de ne pas m'avoir croisé, en tant qu'exposant sur un stand. C'est que je manque encore de courage, d'expérience et de matériel pour me lancer dans l'aventure ! Erik Zink, jeune reconverti comme moi (jeune), l'a fait avec talent. Je salue à cette occasion, Bergamote sa charmante assistante. Disons, 2014 ? Le congrès de la librairie ancienne se tiendra à Paris à la même période. Ce sera, assurément, une opportunité pour développer ma clientèle. Il reste à définir mes orientations pour l'avenir. Le pire serait de ne pas être en adéquation avec mes compétences et pour tout dire avec mes acheteurs… Je crains, par-dessus tout, la frustration du client, incapable d'assouvir sa passion pour des raisons financières.

Un client mécontent en fait dix. Pierre


(Je profite de cette occasion pour vous donner des nouvelles de Philippe Gandillet : Il va bien. Entre deux mots du dictionnaire à l'Institut, il a bien voulu m'accompagner dans les travées pendant quelques courts instants. Il bloque, en ce moment, sur le mot "aménorrhées" auquel il a proposé l'adjonction d'un deuxième "m", en hommage aux femmes qui n'en sont plus à une complication près, la première étant de nous aimer, malgré tout…)

11 commentaires:

Librairie L'amour qui bouquine Livres Rares | Rare Books a dit…

Beau compte-rendu Pierre, je vois qu'on a à peu près vu les mêmes choses.

Avez-vous craqué pour quelque belle pièce ?

B.

Pierre a dit…

Je suis dans une période cartonnage romantique à plaque et plats historiés. J'ai, dans un tel salon, un choix qui ne m'est proposé nul part ailleurs. Les prix son ceux du marché et il suffit d'une négociation heureuse et élégante pour ramener quelques belles choses peu fréquentes à un tarif raisonnable. J'ai ramené aussi un petit traité vétérinaire avec une belle illustration, mais là c'était pour le plaisir.

J'ai pris contact avec un confrère qui ferme une boutique, pour un lot. Nous verrons... Et puis, j'ai eu en main le fameux exemplaire de Tartarin de Tarascon illustré par Dufy dans une reliure mosaïquée de toute beauté !

Tiens, je vous la mets en fin d'article ! Je lance une souscription pour que vous m'en fassiez cadeau ;-)) Pierre

Alain Marchiset, Libraire a dit…

Très bon compte-rendu, très amusant et très complet...
A.M.

Unknown a dit…

Merci beaucoup Pierre pour les absents ... dont je fus !!! Un compte-rendu vraiment très agréable. :)
Amitiés,
....à tous ....
Françoise

Anonyme a dit…

oui, oui, On a l'impression d'y être allée.
S.

Pierre Chalmin a dit…

Merci, cher Pierre, c'est vivant, enlevé, alléchant. Il me semble qu'on m'avait raconté cette découverte du lot Rimbaud un peu différemment : il y a vingt ans, un bûcher dans un jardin, on venait de vider le grenier, Rimbaud tiré des flammes, dont le nom avait accroché l'œil d'un des chiffonniers… (Assommante cette si récurrente coquille au prénom de Mademoiselle Sand.)
P.C.

Pierre a dit…

Coutume fait loi, cher Pierre. Mais je veux bien enlever, par amitié, ce "s" qui vous assomme. Sand pour "Sandeau", on comprend mais Georges sans "s", cela frise l'esprit de contradiction ;-)) Pierre

Lauverjat a dit…

Merci Pierre, pour ce point de vue original et alerte.

Lauverjat
(La reliure d'orfèvrerie était me semble-t-il postérieure au manuscrit)

Pierre a dit…

Je le pense aussi, Lauverjat. On peine a imaginer le prix d'un tel ouvrage quand on sait le prix de l'or et des pierres, aujourd'hui ;-))

Quand l'inutile est beau, on peut tout lui pardonner. Pierre

calamar a dit…

je suis trop jaloux... tout le monde a trouvé le temps d'y aller, à ce salon ! et apparemment d'y faire de bonnes trouvailles. Je m'imaginais que les prix étaient largement au dessus de mes moyens. Visiblement, si je veux me ruiner, c'est possible. Mais il semble que des ouvrages intéressants ET abordables y soient aussi présentés ?

Pierre a dit…

En effet, calamar, et je l'ai découvert à cette occasion. J'ai, pour ma part, acheté un petit traité vétérinaire illustré de la fin du XIXe, fort bien relié et propre à 36 € !

Ce qui fait l’intérêt d'un tel salon reste néanmoins le choix. J'aurais dû faire plusieurs salons pour trouver l'équivalent. Et même si beaucoup d'exemplaires ne sont pas dans nos budgets, l’œil s'exerce et en cela c'est essentiel pour un bibliophile ! Pierre