mercredi 4 avril 2012
La bibliophilie au Sénégal...
L'exploit démocratique du Sénégal m'a rappelé un gentil courrier envoyé par Jean-Michel après un petit périple africain. Je lui avais demandé de me tenir au courant des perspectives d'installation d'une librairie ancienne dans ce pays. Vous comprendrez qu'après son courrier, j'ai préféré m'installer à Tarascon !
" Dans un pays où les griots, sortes de troubadours des sables, ne peuvent être enterrés car ils ne méritent pas une terre qu’ils n’ont pas travaillée et finissent de blanchir leurs os dans les troncs creux des baobabs, dans ce pays les amateurs de livres semblent rares parce que les livres y sont absents. Cela se comprend un peu car la vie s’y déroule au jour le jour et la survie est difficile, mais ça n’empêche personne de sourire et la désinvolture semble y être obligatoire pour conserver une raison de vivre. Les gestes ne sont pas dolents par hasard ; la « misère moins pénible au soleil » s’est chantée de toutes les façons.
L’artisanat est approximatif, tout comme la calligraphie des enseignes dont le fait le plus remarquable est de n’avoir jamais aucune prospective. La première lettre est bien tracée, mais les autres suivent tant bien que mal selon son modèle, si bien que le nom entier a souvent du mal à tenir dans les limites de la pancarte ou du linteau et se termine comme il peut ou ne se termine pas. La rigueur n’est d’ailleurs de mise dans aucun domaine et les rendez-vous que donnent les Sénégalais le sont en général en « heures CFA » comme ils le disent plaisamment eux-mêmes, et donc hautement sujets à marchandage.
Mais l’Européen a mal compris cette nonchalance. Il a importé la méridienne, cette sieste pâteuse du midi de fournaise, sans remarquer l’activité intense qui règne encore à ces heures brûlantes dans les centres des villes. Kaolack à midi, c’est la chaleur qui est reçue comme une gifle dans les odeurs mélangées d’arachide, de sel et de gasoil et le toubab y est ballotté comme la floche d’un manège sur lequel tournent les taxis brinquebalants noirs et jaunes et les scooters rapiécés venus en droite ligne des années soixante.
Et puis un jour on se retrouve par hasard traversant à pied le village de N’gaparou à l’heure de la sortie de l’école. Mille cris et mille bêtises faits par des chenapans, qui sont les mêmes partout. Des maraudeurs, des chipeurs allant à la picorée. Seul l’objet de la maraude change, et là-bas ce sont les mangues qu’ils tentent en bande de dégommer à l’aide de morceaux de briques, car les cailloux sont absents. Comme les vignes les plus précieuses du Médoc, ces vergers sont ceints de murs faits des briques grisâtres, moitié sable moitié ciment, que l’on trouve partout et qui donnent cet aspect si particulier de terrain vague à toutes les zones urbanisées du pays, et par-dessus ces murs quelques branches ploient sous la charge des lourdes mangues presque mûres. Elles attirent autant la convoitise que, chez nous, les cerises du voisin, et semblent narguer autant que les calaos moqueurs qui y sont perchés.
Quelle idée aussi de construire une école à côté d’un verger de manguiers ! Mais à l’écart est une petite fille – jolie comme un cœur et souriante comme une oasis, ainsi qu’elles le sont toutes – toute fière de montrer un « Boule et Bill », cadeau sans doute de quelque association française, avec ses planches en couleurs.
En couleurs ! Fraîches, rutilantes, gaies, comme les couleurs de ses habits. L’aspect seul du livre semble l’avoir sinon subjuguée au moins conquise, puisqu’elle le montre à l’envers, prouvant que même là-bas il n’est pas besoin de savoir lire pour aimer les livres. "
Si ça ce n’est pas de la bibliophilie !...
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2 commentaires:
Quand on demande un rapport circonstancié à Jean-Michel, il ne le fait pas dans le plus pur style administratif. Et c'est tant mieux ;-)) Pierre
Les illustrations sont bien choisies !
Il peut être utile de préciser, pour l'une d'entre elles, que Cheick Ahmadou Bamba n'est pas le nom du libraire-imprimeur mais celui du plus célèbre religieux du pays, un abbé Pierre à la puissance dix, et que son effigie est sur tous les murs et au fronton de toutes les échoppes, comme un gage de qualité surajoutée au produit proposé, quel qu'il soit.
Jean-Michel
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