lundi 16 septembre 2013

Causerie du lundi de Philippe Gandillet. Eloge du métier de libraire d'ouvrages anciens…


Je n'ai pu être présent au salon du livre ancien de Tarascon organisé par Pierre ce dimanche, retenu à Paris par des mondanités auxquelles je me plie de bonne grâce, vous le savez… Exténué par cette entreprise qui dépasse parfois ses compétences, il me demande de consacrer un peu de mon illustre temps lundical pour faire un éloge appuyé des confrères qui ont accepté, par amitié, de participer à cette manifestation sans oublier tous ceux qui auraient aimé venir mais qui n'ont pas pu. Alors complimentons ! Certains vont encore dire que j'exagère… Que penserait-on d'un homme que l'horreur entière du mensonge obligerait à dire toujours la vérité ?  D'un homme d'esprit qui ne saurait complimentir ? Il tournerait à la misanthropie la plus hypocondre en peu de temps si les petits défauts les plus utiles et les plus nécessaires que nous possédons ne finissaient pas par faire de nous des gens tout à fait présentables ! Voici donc un point de vue tout à fait réjouissant du rôle du libraire dans la société. Vous trouverez à loisir, de la mauvaise foi, une mansuétude coupable pour les membres de cette profession, une grande amabilité pour ses représentants les plus influents et un portrait à peine caricatural des vertus qu'il faut posséder pour la pratiquer.


" Malgré les sombres prévisions économiques, les bibliophiles n'ont pas renoncé à l'idée de s'offrir de beaux ouvrages, du moins si l'on en juge par l'affluence de ce dimanche au salon du Livre ancien de Tarascon. Et c'est tant mieux. Un cadeau pour soi même, c'est un signe d'amour tangible. Malgré Internet et les sites d'achat en ligne, le chaland a encore répondu présent aux exposants qui s'étaient déplacés pour présenter leur luxueux matériel. Encore une fois, tant mieux !


Outre qu'il répond à des goûts personnels, l'achat de livres anciens a une utilité sociale : il permet à des libraires de vivre, à tout le moins de survivre, et il préserve un très grand nombre d'emplois dans nos cités. En ces temps incertains, pousser la porte de leur boutique ou acheter dans les salons qu'ils organisent c'est participer modestement à la relance de l'économie nationale.


La vie précaire à laquelle s'astreignent ces bons apôtres de la culture pour le plaisir des bibliophiles est un exemple à suivre. Quand ils ne sont pas en représentation devant de lumineuses vitrines où brillent leurs luxueux ouvrages, la plupart vivent chichement, lavant leur linge à l'eau froide et se levant à l'aube pour faire leur pain. Cette simplicité volontaire, favorisée de la crise financière, est cependant dans leur nature et s'ils se soumettent aux lois du commerce, c'est par respect de la tradition. 


Car le commerce n'a pas été inventé par de vilains capitalistes étasuniens. Il existe depuis la nuit des temps. Le commerce, loin d'être une activité déshonorante, a même été à la source de la plus belle invention de l'Homme : l'écriture. Les tout premiers manuscrits trouvés en Mésopotamie, qui datent d'environ quatre millénaires avant notre ère, n'étaient pas des poèmes. C'étaient des contrats et des bilans comptables dressés par des commerçants ! De ces signes tracés sur des boules de glaise naquit l'écriture cunéiforme qui allait donner quelques siècles plus tard naissance à l'imprimerie et aux magnifiques ouvrages conservés par des générations et des générations de libraires… Car l'activité de libraire d'ouvrages anciens, si elle parait être une activité comme les autres, cache la plus belle entreprise que l'homme ait jamais enclenchée : la conservation du patrimoine intellectuel et artistique du monde entier.


On l'aura compris, j'ai de la sympathie pour ces petits libraires qui font le charme et le caractère des villes mais qui sont les éternels laissés-pour-compte de la société parce que leur dévouement est discret, parce que leurs plaintes sont muettes et que leur travail ne sert que le bien de la communauté. Quand la grêle détruit les récoltes ou qu'une épidémie attaque le bétail, les gouvernements s'empressent d'éponger les dettes des agriculteurs. Mais quand le pavé glissant de l'hiver fait fuir le chaland, quand une grève des transports fige nos centres-villes qui donc a jamais dédommagé ces petits libraires qui viennent à pied ouvrir leur boutique ? Personne, évidemment.


Ce n'est pas prôner le commerce de luxe que de faire l'éloge de ces professionnels méritants. Les achats des bibliophiles sont rarement extravagants. Entièrement dominés par le souci de l'autre, par le désir de rendre leurs proches heureux, ils poussent la porte de ces modestes échoppes pour s'offrir quelque beau livre illustré, quelque rare édition sur papier japon dont on sait qu'ils sont le meilleur placement qu'un père puisse faire pour sa famille. Que sont ces heures passées chez les libraires d'ouvrages anciens, sinon des expéditions amoureuses destinées à faire le bonheur de leurs enfants ?


Des rabats-joie vous diront qu'un enfant n'a pas besoin de rayonnages alourdis par de magnifiques maroquins aux Armes... C'est vrai, en principe. Mais alors, selon le même principe monastique, on n'a pas non plus besoin de bijoux, de parfums ou de vins fins… S'il fallait ne s'en tenir qu'aux objets de première nécessité, nous cheminerions dans la vie comme des robots, sans plaisir, sans émotion, sans s'offrir à l'occasion ces petits bouts de patrimoine qui s'inscrivent dans le désir très humain de marquer notre éphémère passage sur la terre. Les libraires d'ouvrages anciens, modestes relais de ces plaisirs fugaces peuvent donc être, à juste titre, considérés comme des bienfaiteurs de l'humanité. On n'est pas obligé de leur vouer une vénération sans borne mais on peut les saluer en passant devant leur boutique…"

Leur serviteur. Philippe Gandillet

2 commentaires:

Jean-Paul Fontaine, dit Le Bibliophile Rhemus a dit…

Libraires d'anciens, je vous salue !
P.S. Entre Auxerre et Tarascon, ce 15 septembre, avais-je le choix ?...La prochaine fois, je serai Tarasconnais.

Pierre a dit…

Merci, Jean-Paul, pour ce gentil témoignage de soutien !

Les journées du patrimoine démontrent que c'est toute la France qui est attachée à son patrimoine. Quel succès ! Par contre, on ne peut se diviser pour faire plaisir à tous ses amis ;-))

C'est partie remise. Pierre