vendredi 12 octobre 2012

Génération spontanée : Ce que disent les livres anciens...


On disait autrefois qu'il suffisait de laisser dans son grenier un vieux sac à grains poussiéreux ou des vieux chiffons et miracle… la vie apparaissait spontanément sous forme d'une nichée de souris, alors que, bien sûr, il n’y avait jamais aucune souris dans le grenier auparavant !  On appelait cette apparition venue du néant  la "génération spontanée", c’est-à-dire : réunissez des conditions de vie favorable et la vie apparaîtra... Certains réfutent cette croyance en disant que pour faire la première poule il a fallu un premier œuf et que pour faire le premier œuf, il a fallu aussi une première poule… J’ai donc demandé à René Nicolle (notre patriarche érudit) d’aller chercher dans sa bibliothèque quelques ouvrages pour nous expliquer tout cela !


« Dans son "Mundus Subterraneus", Athanasius Kircher nous explique d'où les serpents venimeux, les monstres et autres animaux imparfaits tirent leur origine :


"L'expérience quotidienne nous montre que les vers apparaissent à partir de la terre. Les limaces pourpres tirent aussi leur beauté d'un bourbier, les anguilles naissent sans semence de la boue et des peaux mortes annuelles accrochées aux pierres. J'ai aussi constaté ce miracle, que dans un lieu où il n'existe ni source d'eau ni fontaine, mais seulement l'humidité apportée par la pluie, on trouvait rapidement diverses sortes de poissons ; j'ai aussi vu un trou que le Cardinal Ursin avait fait creuser près de la mer, qui avait été comblé par la pluie, se remplir en quelques mois de toutes sortes de poissons sans qu'on y en mis aucun. De même, si on étale du sable sous la pluie, il se formera des grenouilles en quantité."


La théorie de la génération spontanée aussi appelée spontéparité, hétérogénéité, abiogenèse, prétend que des êtres vivants peuvent se former à partir de la matière inanimée.


Pour les philosophes grecs, la vie est une propriété de la matière ; elle apparaît spontanément chaque fois que les conditions sont propices. Ces idées se retrouvent dans les écrits de Thalès,  Démocrite, Platon, Épicure, Lucrèce.


On a longtemps cru à la génération spontanée, parce que c'est un fait qui paraît évident. D'une part, on savait que les animaux d’élevage  ne se reproduisaient que par accouplement : les brebis ne donnaient pas d’agneaux sans bélier, mais Aristote voit des souris naître spontanément d’un tas de chiffons, des asticots d’un morceau de viande et des moisissures apparaître sur les aliments. Athanasius Kircher (1601-1680)  assure que les monstres, les serpents venimeux et les "animaux imparfaits" naissent de la boue ou des matières en décomposition. Van Helmont (1579-1644) obtient des souris à partir de grains de blé en contact avec une chemise souillée de sueur humaine...


Aux XVIIe et XVIIIe siècles, à côté de Descartes (1596-1650) et  John Needham (1713-1781) -  observations au microscope - qui persistent dans cette opinion, on trouve Francesco Redi (1626-1697) et son traité Esperienze Intorno alla Generazione degl’Insetti et plus tard Lazzaro Spallanzani (1729-1799), qui étudient et réfutent la génération spontanée. Les expériences prouvent que les  germes à l’origine des formes de vie jugées inférieures, comme les mouches ou les animalcules,  sont véhiculés par l'air et sont tués par une ébullition  prolongée qui stérilise la préparation. Le moteur de cette recherche est spirituel car certains expérimentateurs réfutent l’idée selon laquelle la vie pourrait s’organiser sans suivre un plan divin préétabli. Au début du XIXe siècle, la théorie est encore soutenue par Geoffroy Saint-Hilaire et Lamarck qui assuraient que les formes de vie élémentaire, comme les infusoires, pouvaient apparaître par génération spontanée. Antoine Béchamp (1816-1908) montre avec ses microzimas une certaine forme d'apparition spontanée de la vie.


Le physiologiste allemand Théodor Schwann (1810-1882), un des pionniers de la Théorie cellulaire, montre en 1837 que si l'air est stérilisé (chauffé puis refroidi) avant d'agir sur les préparations, la vie n'apparaît pas.  L’école allemande d’histologie, l’œil vissé au microscope,  combat fermement l’idée de la génération spontanée : Omnia cellula e cellula. Rudolph Virchow, père de la théorie cellulaire, proclame en 1858 que toute cellule provient d’une cellule préexistante.


Ces travaux remettent en cause  l'hétérogénie qui ne sera totalement abandonnée que plus tard grâce à Louis Pasteur (expériences des ballons à col de cygne) et John Tyndall (démontrant l'importance des poussières et de la lumière sur l'apparition d'organismes vivants), mais après  bien des péripéties et contestations diverses. En 1859, quand éclate à l’Académie des sciences la controverse entre Louis Pasteur et Félix-Archimède Pouchet, auteur d’Hétérogénie ou Traité de la génération spontanée, celle-ci est déjà rejetée par l’Académie des sciences. Pouchet restera sur ses positions jusqu’à sa mort, poursuivant avec acharnement sa polémique avec Pasteur. [Il n'y a pas de pire inquisition que celle que les savants exercent les uns sur les autres - Robert Halleux, Historien des Sciences].


Les expériences ont clairement établi que dans tous les cas supposés de génération spontanée, il y avait en fait des germes à l’origine des êtres vivants apparus. Dans un milieu clos convenablement stérilisé, la vie n’apparaît pas spontanément. Cette découverte capitale est à l'origine de nos notions d’hygiène et d’asepsie et d'antisepsie. 


L’hypothèse de la génération spontanée a aujourd’hui perdu tout crédit scientifique - les choux et les roses conservent seuls la créance d’engendrer l’espèce humaine selon un déterminisme sexuel strict non élucidé. Cependant on trouve toujours des détracteurs, parmi lesquels certains adeptes des médecines parallèles. Il n'est pas contestable que les êtres vivants d’aujourd’hui ont évolué à partir de formes primitives unicellulaires ; cependant, sous les aspects de cellule et plasmide, l'individualité cellulaire demeure en question. On retrouve le débat entre continu et  discontinu. On peut penser que, touchant la structure des organismes, on s'achemine vers une fusion analogue à celle de la mécanique ondulatoire entre  les concepts apparemment contradictoires d'onde et de corpuscule.


Reste aussi la question de l'apparition de la vie sur la terre et de la panspermie, un sujet de préoccupation majeure, comme en témoigne la toute récente expédition sur la planète Mars. A la liste déjà longue des protagonistes de cette quête, il faut ajouter de nombreux contributeurs : Antoni van Leeuwenhoek (1632-1723) - Louis Joblot (1645-1723) - Buffon (1707-1788) -  Nicolas Appert (1749-1841) - René Dutrochet (médecin français 1776-1847)  - Charles Darwin (1809-1882) - Ignace Semmelweis (1818-1865) et bien d'autres encore. René Nisolle »


Merci, René, pour cet article étayé. Reste le problème de l’apparition de la « première vie » sur terre, comme tu le rappelles fort justement. Après cette démonstration, je n’ose proposer la genèse en 8 jours ;-))  Pierre

24 commentaires:

Pierre a dit…

On m'indique dans une missive envoyée par chaise à porteur que la multiplication des cons pourrait éventuellement procéder d'un processus de "génération spontanée". Peut-être l’exception qui confirme la règle ;-)) Pierre

Pierre a dit…

Un grand merci à René pour sa contribution et à Raphaël pour la correction. On rêve de posséder certains ouvrages présentés sur les clichés... Pierre

sebV a dit…

Oui notamment le Redi ! :)
Certaines expériences en microbiologie actuellement pourrait s'apparenter à de la génération spontanée, mais la soupe est autre ment plus complexe qu'un tas de chiffons ;). Je pense au labo de craig venter qui cherche la plus petite combinaison de gènes pouvant produire une bactérie vivante. Il est descendu 215 gènes si je me souviens bien.
J'avoue ne pas bien saisir ce passage :
"cependant, sous les aspects de cellule et plasmide, l'individualité cellulaire demeure en question. On retrouve le débat entre continu et discontinu."

Anonyme a dit…

Intéressant.
Nous vivons dans le domaine "moderne" de la science expérimentale qui, pour chaque phénomène, constate, explique et reproduit à l'envi, dont les négationnistes explorent les bords flous (c'est facile pour eux, il leur suffit d'instruire le doute en convainquant que prouver quelque chose ne suffit pas, il faut également prouver que le contraire est faux : il neige quand il fait froid, mais comment être sûr qu'en aucun cas il ne puisse neiger s'il fait doux ?)
Il y a toujours eu des négationnistes, quel que soit le domaine, mais c'est tant mieux pour l'avancée des connaissances que d'avoir à convaincre des incrédules ; les expériences de Pasteur en sont l'exemple-type.
D'ailleurs toutes les expériences visant à réfuter la génération spontanée ont pris un mauvais pli, propre à ne pas satisfaire un homme de mauvaise foi, en s'attachant à confondre spontanée et instantanée.

Jean-Michel

Pierre a dit…

Intéressant.

Bel hommage à Pasteur, Jean-Michel, dont je conseille la visite de la maison familiale à Arbois. Pierre

Anonyme a dit…

Je n'ai pas visité la Maison familiale à Arbois mais la Maison natale à Dole. On y voit toujours, dans l'entresol, les cuves de la tannerie qu'on a prit la précaution de remplir de copeaux pour éviter que les cons, nés par génération spontanée, n'aillent y tomber.

René

Anonyme a dit…

Merci à René de m 'avoir offert la primeur de son texte sur un sujet qui nous avait fait déjà bien échanger et qui se trouve ici bien mis en page.

Le Redi ? J'en connais un bien au chaud à l'abri des animalcules.

Raphaël

Bernard a dit…

La génération spontanée a fait couler beaucoup d'encre. Merci à Pasteur d'avoir montré que les êtres vivants se reproduisent et ne naissent pas uniquement de "circonstances favorables". Un conseil: visiter les appartements privés de Pasteur à l'Institut Pasteur de Paris. Ils ont été restaurés et sont meublés comme ils l'étaient à la mort de Pasteur. Une salle contient les appareils utilisés par Pasteur. Le mausolée se visite également.
Merci René.

Pierre a dit…

René,

Les cuves de la tannerie, c'est à Arbois !! Son père était, en effet tanneur dans la ville et une rivière traverse le rez de chaussée de la maison. Arbois c'est aussi la ville de Henri Maire, le fameux vin dont on disait " plus on en boit, plus on va droit..." . Ceci explique cela. Pour aller à Dole c'est tout droit ;-)) Pierre

Pierre a dit…

Raphaël a un Redi ? Comme c'est étrange ;-)) Pierre

Pierre a dit…

Merci à Bernard pour le tuyau. J'irai, sans faute, visiter les appartements de Pasteur à Paris. Il faut dire que les vétos ont une réelle admiration pour Pasteur, rage oblige... (bon ! Pour le pinard, on dit " respect " tout de même !) Pierre

Anonyme a dit…

Pierre, je confirme bien l'existence de cuves de tannerie à Dole, et comme je ne suis jamais allé à Arbois le doute n'est pas possible. Le père de Pasteur a repris ses activité après leur déménagement à Arbois, où il y est normal de trouver le même genre d'installation.
Question amusante : y fabriquait-on des cuirs pour la reliure ?

René

Anonyme a dit…

Pierre, si les vétos ont de l'admiration pour Pasteur ce n'est pas forcément pour ses travaux sur le développement d'un vaccin antirabique mais surtout à cause de sa démarche d'esprit rigoureuse.
Pour la rage il a repris les travaux d'un authentique vétérinaire, Pierre-Victor Galtier au sujet duquel on trouve d'ailleurs cette perle en consultant Wikipédia : "Il décède en 1908, un peu avant d'apprendre que le prix Nobel de physiologie et de médecine allait lui être attribué pour ses travaux sur la rage". Il y a de quoi se retourner dans la tombe !

Jean-Michel

Pierre a dit…

Bien vu René ! J'aurai dû vérifier. Je crois même avoir visité les deux maisons mais j'ai fait un amalgame. Trop de vins d'Arbois, peut-être ?

Le jura est une région de vaches. Ces cuirs ne sont pas utilisés pour la reliure mais je serai incapable de dire pourquoi (surement trop épais ?) Pierre

Pierre a dit…

Galtier l'a, bien évidemment, su dans l'eau delà, Jean-Michel ! Wikipédia ne se trompe jamais. C'est une bible ;-)) Pierre

Nadia a dit…

Et il se trouve que je connais les descendants de P.V Galtier ; cette histoire m'a été racontée quand j'ai fait leur connaissance près de Lyon.

pascalmarty a dit…

Ben, avant d'être une vache, une vache est bien un veau, non ? Or, pour la reliure, quoi de plus beau que le veau ? (J'aime pas les peaux à grains, mais ça n'engage que moi…)

Pierre a dit…

C'était l'au-delà, bien sûr, Jean-Michel... Seule l'aquaphobie rabique peut expliquer " l'eau delà " !

Il faut que je me relise et que j'aie aussi un peu plus d'égard au conditionnel dans la précipitation ;-)) Pierre

Pierre a dit…

Mais c'est bien sûr, Pascal ! On peut même tout à fait imaginer que Papa Pasteur ait fourni les plus grands relieurs de l'époque. Je dois avouer que je n'ai pas le souvenir de jolies reliures quand j'ai visité la maison de Pasteur. Plutôt du genre austère le bonhomme... Pierre

Textor a dit…

Passionnant ce sujet sur la génération spontanée. Merci René ! (je rattrape de la lecture en retard, désolé).
Vous croyez que si je laisse macérer quelques vieux papiers avec des lambeaux de peau de chèvre, j’aurais les œuvres complètes de La Fontaine en maroquin d’époque ?

Textor

Pierre a dit…

Vous aurez, au mieux, des rats de bibliothèque, Textor... Pierre

Textor a dit…

:))

Anonyme a dit…

Mon rêve serait de voir naître un De Revolutionibus, que je ne pourrai jamais acquérir autrement. On peut toujours essayer, ça ne coûte rien.

René

Pierre a dit…

Pour les lambeaux de papier, le plus sûr, dans ce cas, est quand même de prendre directement l'ouvrage de Copernic... Pierre