lundi 5 décembre 2011

Causerie du lundi de Philippe Gandillet : Mémoire du poisson rouge.

Qui aurait pu imaginer que ma présence hebdomadaire au côté de Pierre devienne, un jour, le tremplin qui permette à de jeunes talents de se hisser au seuil d'une gloire éphémère en glissant leur prose sous la porte, encore close, de la librairie ? Parmi les nombreuses lettres reçues ce matin, une seule a, aujourd'hui, retenu mon attention. Mais quelle lettre ! Et quelle nouvelle ! Je ne résiste pas au plaisir de vous faire découvrir La mémoire du poisson rouge.


Ce matin, le soleil s’est éclairé brusquement. Trois clignotements comme s’il hésitait et puis sa lumière blanche s’est déchirée d’un coup.
J’ai commencé ma ronde. Le ciel est habité de gros nuages difformes oranges et bleus qui se déplacent avec lenteur dans un cliquetis de ferraille et de poterie malmenée. Mais je sais que ces bruits préludent à l’averse de manne qui s’éparpille à la limite du monde et je sais aussi que tant que j’obéirai aux lois de l’Eau, les Dieux seront favorables et continueront d’approvisionner régulièrement, car cela est écrit en lettres de sable sur les profondeurs inconnues du monde originel, ce monde que les impies nient en ironisant d’une façon si inconséquente.
En passant devant le bateau échoué qui n’en finit pas de vider sa cargaison de bulles, le ciel s’est fait brusquement menaçant en même temps que j’ai pressenti un grondement sourd et que deux grosses boules ovoïdes et brillantes sont apparues comme des maléfices attachés à un anathème dont on ignore tout mais qui est inscrit dans nos gênes.
Un coup de tonnerre a précipité ma fuite vers l’arrière du monde alors qu’une ombre gigantesque faisait vibrer l’atmosphère entière ; C’était un tremblement d’eau comme il en arrive parfois, imprévisible, et qui brise les ouïes en créant une panique irraisonnée.
En revenant doucement et précautionneusement par l’autre côté j’ai vu deux nuages oranges et bleus, immobiles, qui m’ont rappelé quelque chose. Sans doute les avais-je déjà vus il y a longtemps.
Alors j’ai commencé ma ronde en allant vers ce bateau échoué qui n’en finit pas de vider sa cargaison de bulles et j’ai décidé d’aller explorer l’arrière du monde, vers ces confins où je n’ai jamais osé m’aventurer.
Mais quels sont ces nuages oranges et bleus qui se meuvent en se déformant ? Un jour il faudra que j’écrive ma mémoire, je ne dis pas mes mémoires, il m’est si difficile d’en posséder une seule, minuscule...

Joli… Non ? Voici la réponse toute en simplicité que j'envoie à l'auteur puisqu'il a eu la délicatesse de m'indiquer son adresse postale :

Si je me permets, jeune poète, de vous adresser par voie de blog mon épître au lieu de la jeter à la poste, c'est, vous vous en doutez, que je désire qu'elle soit lue aussi par d'autres que par vous. Votre fantaisie puissante et subtile n'a pas besoin de mon commentaire pour se mettre en valeur elle-même ; mais vos lecteurs, éblouis par mon illustre renommée et le prestige de mes affirmations péremptoires éprouveront peut-être quelque soulagement à apprendre qu'ils peuvent continuer à vous admirer et à vous aimer puisque, moi-même, je.


La nouvelle que vous avez présentée est bonne, construite de main d'ouvrier, avec ce métier consciencieux et cette sympathie enveloppante que je me suis plu à admirer. Elle est, de plus, très émouvante car nous sommes aussi, vous le saviez, un peu des poissons rouges… Un siècle après Alphonse Allais qui amenait dans ses chroniques cette charmante dérision et ce sérieux imperturbable qui nous réjouissaient, nous assistons ici à l'épanouissement de la littérature dilettante. Vous nous réjouissez de cet événement et votre joie maintenant avertie augmente la notre en la justifiant.


Je me propose, jeune poète, de présenter régulièrement vos billets ainsi que ceux de votre charmante camarade sur le blog de Pierre. Il a beaucoup de lecteurs, parait-il, et certains lui achètent même des livres quand l'horizon est clair. Nul doute qu'une souscription sera envisagée pour un recueil complet - protestez tant que vous voudrez - quand le moment sera venu de publier et je ne manquerai pas, alors, de demander pour vous un prix auprès de mes confrères de l'Académie. Les éloges suivront. Peut-être même dès aujourd'hui… Votre dévoué. Philippe Gandillet

3 commentaires:

Anonyme a dit…

Quel rogaton ! J'en parlerai à mes amis du Figarooow ! On n’écrit plus comme cela depuis Chateaubriant...qui disait : « Rompre avec les choses réelles, ce n'est rien; mais avec les souvenirs! Le coeur se brise à la séparation des songes, tant il y a peu de réalité dans l'homme ».

Textor

Pierre CHALMIN a dit…

Bravo à l'auteur de cette fantaisie piscicole. Un esprit chagrin lui opposerait que les poissons rouges sont doués d'une mémoire dont la capacité s'arrête à embrasser un passé vieux de trois secondes, laquelle leur interdirait naturellement les considérations du héros. (Cette mémoire limitée est aussi la raison pour laquelle les poissons rouges ne souffrent pas de tourner en rond, et paraissent toujours si passionnés d'explorer sans cesse leur habitat.) Mais nous ne sommes pas un esprit chagrin.

Pierre a dit…

Les cautions intellectuelles de Pierre et de Textor sont bienvenues. Le petit texte sur la visite médicale devrait leur plaire ;-)) Pierre