" Les nouvelles en vers dont ce livre fait part au public, et dont l'une est tirée de l'Arioste, l'autre de Boccace, quoique d'un style bien différent, sont toutefois d'une même main. L'auteur a voulu éprouver lequel caractère est le plus propre pour rimer des contes. Il a cru que les vers irréguliers ayant un air qui tient beaucoup de la prose, cette manière pourrait sembler la plus naturelle, et par conséquent la meilleure ".
En 1671, La Fontaine reçoit les
premiers exemplaires de son troisième tome de contes libertins, dont son
imprimeur a achevé l'impression. Chut ! Ne le répétez pas aux enfants, mais
dans le fabuliste sommeille un sacré cochon. Il ne se contente pas d'écrire des
fables mettant en scène des animaux pour l'instruction du dauphin, il rédige
également des contes licencieux sous prétexte de dénoncer l'hypocrisie de son
siècle. Surtout celle des gens d'Église qui baisent allégrement malgré leurs
voeux de chasteté. Comme à son habitude, il pioche son inspiration dans les
auteurs anciens, Boccace et bien d'autres. Il pille à l'envi le licencieux
recueil des Cent nouvelles nouvelles (fabliaux du XVe siècle). Entre 1664 et
1666, il publie ses premiers Contes et nouvelles en vers libertins rassemblés
en deux tomes. Puis il enchaîne en 1668 avec la publication de 128 fables
animalières de la plus haute décence.
Ce n'est pas cependant l'Enfer du livre… Le subtil La
Fontaine manie sa plume avec légèreté, il trousse les vers avec délicatesse.
Point de propos graveleux, point de pornographie. Rien qui pourrait effaroucher
Frigide Barjot. Un lecteur non averti n'y verrait que du feu. Il faut
"dire sans dire". C'est le prince de la métaphore pour contourner les
mots condamnés par la bienséance. Pour évoquer le pénis, il fait appel au
serpent. Et pour que son lecteur comprenne bien la métaphore, il ajoute
l'adjectif "maudit", lui signifiant ainsi que le mot
"serpent" est "mal dit". La Fontaine n'utilise pas la
triviale expression "faire l'amour", mais "le diable en
enfer". Le "diable" remplace "le sexe masculin", et
"l'enfer", bien entendu, le "sexe féminin". Ainsi
voile-t-il chaque mot trop explicite d'une gaze tantôt opaque, tantôt
transparente...
Les histoires de cocuage constituent son fonds de
commerce. Ainsi, le conte de "La mandragore" met en scène Callimaque
amoureux de Lucrèce, l'épouse du Florentin Nicia Calfucci. Pour mettre son
diable en enfer, alors que la principale concernée veut rester fidèle à son
mari, Callimaque élabore un stratagème machiavélique. Adroitement conseillé par
Sarko (je ne l'invente pas
!), qui possède une grande expérience en matière de cocufiage, il fait croire
au mari qu'il connaît un remède secret pour que sa femme lui donne enfin
l'enfant espéré. Il faut lui faire boire du jus de mandragore. Mais le fourbe
prévient : le premier homme qui caressera Lucrèce après l'absorption de la potion
tombera raide mort. Le mari doit donc trouver une bonne âme pour essuyer les
plâtres. La suite, on la devine : Callimaque se déguise en meunier pour se
glisser dans le lit de la belle vertueuse avec la bénédiction du mari. Comme on
le voit, il n'y a pas là de quoi fouetter une chatte, fût-elle celle de Clara
Morgane…
En 1674, La Fontaine se lâche complètement. Il publie sa
dernière série de contes, où les termes se font plus précis. Les métaphores
volent au ras des "toisons", au point qu'une ordonnance du chef de la
police Gabriel Nicolas de La Reynie en interdit la vente.
La mandragore |
Il est un jeu
divertissant sur tous.
Jeu dont l'ardeur souvent se renouvelle:
Il divertit & la laide & la belle.
Soit jour, soit nuit, à toute heure il est doux ;
Devinez donc comment ce jeu s'appelle...
Jeu dont l'ardeur souvent se renouvelle:
Il divertit & la laide & la belle.
Soit jour, soit nuit, à toute heure il est doux ;
Devinez donc comment ce jeu s'appelle...
Le beau du jeu
n'est connu que de l'époux ;
C'est chez l'Amant que ce plaisir excelle :
De regardant pour y juger des coups,
Il n'en faut point, jamais on ne s'y querelle.
Devinez donc comment ce jeu s'appelle…
De regardant pour y juger des coups,
Il n'en faut point, jamais on ne s'y querelle.
Devinez donc comment ce jeu s'appelle…
En 1693, deux ans avant sa mort, La Fontaine renie ses
contes licencieux. Devant une délégation de l'Académie, il promet de ne plus
rédiger que des "ouvrages de piété". Mais il s'est bien amusé, en
attendant… Le repentir a du bon ! Pierre
Contes de La
Fontaine. Édition illustrée de 180 vignettes dans le
texte par Tony Johannot, C. Boulanger, Roqueplan, Fragonard père, etc. et de
nouveaux dessins hors texte par Staal. Précédée d'une introduction par M. Louis
Moland. Un volume grand et fort in-4 (28/20cm). Paris, Garnier Frères, sd (vers
1880). Reliure demi chagrin rouge. Dos à 4 nerfs, titre doré, caissons
fleuronnés. 589 pages. Intérieur frais sans rousseurs. Édition augmentée par
rapport à celle de 1870. Bel état général. 145 € + port
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