lundi 3 août 2015

Causerie du lundi de Philippe Gandillet : lettre de recommandation pour un bibliophile…


La nouvelle de mon arrivée à Tarascon pour mon traditionnel séjour estival a vite fait le tour de la cité, semble t-il ! Alors que je m'apprêtais à classer le courrier déposé à mon intention, ce matin, je trouvais une lettre de notre infortuné libraire mêlée aux autres… Qu'avait-il donc oublié de me demander en me donnant les clés, hier au soir ?

Cher maître. Nous sommes tous deux bibliophiles : moi, par intérêt, vous par goût. J'ai mis à votre attention, et à celle des lecteurs qui suivent assidument vos causeries, un ouvrage qui devrait vous plaire si vous ne le connaissez pas déjà. Il est l'œuvre d'un de vos honorés confrères en Académie, Jules Janin. Il aborde le thème de l'amour des beaux livres, des livres rares et précieux dirait-on aujourd'hui. J'ai pensé que si, par malheur, ce livre ne trouvait pas preneur, il pourrait également plaire à notre remarquable ministre de la Culture, Fleur Pellerin. J'ai même pensé – mais vous me direz si j'abuse – qu'une lettre de recommandation en ma faveur pour l'attribution d'une croix de chevalier des arts et lettres pourrait accompagner l'ouvrage.  Ce n'est pas pour me vanter mais je crois, moi aussi, avoir contribué au rayonnement des arts et des lettres en France et dans le monde, non ? Pierre 

Je vous livre ici la teneur de ma requête ministérielle. Non pas que celle-ci soit d'un grand intérêt pour mes biographes mais je voulais témoigner de la profonde reconnaissance que j'ai pour les artisans de la culture et en particulier pour les libraires d'ouvrages anciens : Libri sunt magistri qui nos instruunt sine virgis et ferula…

Madame le Ministre, c'est encore moi. On me croit du crédit. Du diable si je sais pourquoi. Mais vous qui faites de la politique, vous savez bien que l'on ne gagne rien à contredire les gens coiffés d'une idée biscornue. Je me résigne à la bonne opinion que l'on a de mon influence. Voici donc la chose : Monsieur Pierre Brillard, libraire d'ouvrages anciens à Tarascon, en Provence, sollicite la croix. Il a toutes sortes de titres, de diplômes et on apprécie en haut lieu son engagement pour la bonne littérature. 

Je vous avouerai que pour moi, ce qui m'a induit à vous le recommander, c'est qu'il a la même passion que moi, une passion noble et charmante, celle des beaux livres. C'est un bibliophile. J'allais dire un bibliomane. Seulement, maintenant, il en a fait un métier et il peut se passer des fantaisies qui me sont interdites et que j'envie ! Vous me direz que ce n'est pas une raison parce qu'on possède une librairie riche d'ouvrages rares et précieux, pour avoir la croix. Non, sans doute ! Mais j'ai un faible pour les gens qui ont le goût délicat des lettres et cultivent le bel art de la reliure, qui s'en va se perdant en France. En France et partout ! Ah ! Qu'il a de belles reliures ! Et comme il sait les apprécier !... Je reste, Madame le Ministre, votre plus fervent admirateur. Ph Gandillet.


Jules Janin écrivait : " Les livres ont toujours été la passion des honnêtes gens ! " Une aimable passion dont le charme est toujours nouveau ; variée, inépuisable, élégante, mais il est rare qu'elle soit le partage de la jeunesse. Ordinairement elle arrive à l'homme heureux, quand cet homme heureux touche aux premières limites de l'âge sévère, à l'heure où, revenu de toutes les passions stériles, il songe à préparer les armes de sa vieillesse, les petits bonheurs de son toit domestique, et sa fête innocente de chaque jour ".


Pour les critiques littéraires, notamment Baudelaire en 1865, le nom de Jules Janin était cependant synonyme de négligence et d'opportunisme dans l'exercice du métier d'homme de lettres. La mort empêcha ce dernier de terminer sa lettre à Jules Janin qui commençait ainsi : " Vous êtes un homme heureux. Je vous plains, Monsieur d'être si facilement heureux. Faut-il qu'un homme soit tombé bas pour se croire heureux…"


Ce bavard, aimé du public, passait à l'époque pour brillant et plein d'humour. Il reste célèbre chez les bibliophiles pour être un grand amateur de belles éditions reliées par les artistes à la mode mais, à sa mort en 1874, sa bibliothèque va être vendue à l'ençan et dispersée comme tant d'autres, cette bibliothèque qui, selon la pensée de son créateur, devait se conserver intacte dans un dépôt de l'État, et que sa veuve n’eut pas le temps de défendre contre le fatal coup de marteau du commissaire-priseur ! 


Paul Lacroix (le bibliophile Jacob) qui écrivit, avant la vente en 1877, un ouvrage en petit nombre intitulé " La bibliothèque de Jules Janin " disait : Avant un mois, il ne restera plus de cette charmante et aimable bibliothèque qu'un bon et correct catalogue, dû aux soins pieux du savant libraire et bibliophile M. Potier. A vous dégouter de mourir… Le livre que je propose aujourd'hui à la vente fut publié en 1870 chez Plon quatre années après une mince plaquette L’amour des livres qui traite, elle aussi, du même sujet : un sujet de conversation inépuisable entre bibliophiles… Votre dévoué. Ph Gandillet


JANIN (Jules). Le livre. Paris, Plon, 1870. Un volume grand in-8 (24,5/16,5). Reliure demi-chagrin rouge, tranche supérieure dorée. XXXI, 404 pages. Très rares rousseurs. Bel état. Vendu

8 commentaires:

Pierre a dit…

Le dossier avance à grands pas. Pierre Bergé vient de m'envoyer un gentil petit mot pour me proposer une remise de croix dans le cadre de son ancienne bibliothèque reconvertie en salle de réception. Pierre

calamar a dit…

la différence entre la croix et le prix Nobel, c'est que la croix, si on ne l'a pas de son vivant, on l'a sur sa tombe, pour peu qu'on soit de la religion qui va bien.

Jean-Paul Fontaine, dit Le Bibliophile Rhemus a dit…

Le Bibliophile Rhemus appuiera avec joie la demande, mais craint ne pas avoir l'oreille de Madame le ministre de la Culture ...

Pierre a dit…

C'est vrai qu'on dit "la croix" pour les arts et lettres, "les palmes" pour l'éducation, "le mérite" pour l'agriculture et "la légion" pour l'honneur... La seule croix qui me fera de l'ombre sera cependant celle de ma stèle : il faut faire des concessions dans un tel lieu, Calamar ;-))

Je prends note de votre appui, Jean-Paul. Si Pierre Bergé n'est pas dispo, je vous contacte pour l'allocution ? Pierre

Patrick a dit…

Vanitas vanitatum omnia vanitas !

Bonnes vacances quand même. Apparemment Ph. Gandillet est aussi un bon vendeur et la boutique est en bonnes mains.

Patrick C.

Pierre a dit…

Faut-il accepter les honneurs avec le risque de flatter notre vanité ? J'en accepte l'augure d'autant plus facilement que je sais jouer aisément de la fausse modestie... ;-))

Et n'y a t-il pas le risque de blesser celui qui a fait cette demande pour nous. N'est-ce pas un désaveu de sa clairvoyance ? Pierre

Patrick a dit…

Il est vrai qu'une décoration ne se demande pas, ne se refuse pas, ( ça c'est le comble de la vanité surtout quand on le fait savoir urbi et orbi) et ne se porte pas.

'espère qu'on aura droit au champagne et aux petits fours ...... virtuels lors de la cérémonie de remise de ladite croix avec le discours classique : " Vous avez été beaucoup trop élogieux à mon égard, je ne la mérite pas, je la dédie à tous mes collaborateurs, ce sont eux qui sont ainsi récompensés etc etc.
Discours entendu cent fois sauf une ou un récipiendaire de ma connaissance avait commencé en disant: " contrairement à l'habitude, j'estime que j'ai bien mérité cette Légion d'Honneur ...." au moins il n'était pas faux cul !
Patrick C.

Pierre a dit…

C'est un préambule, en forme de starting-joke - qui me convient parfaitement, Patrick. J'étais, il y a très peu de temps, à une remise de la légion d'honneur et je trouve que ce qui manquait le plus, ce n'était pas pas l'humilité mais le détachement... Pierre