Ce matin, neuf heures trente, première permanence d’été à la librairie pour un lundi où le soleil de Provence est revenu de sa pause dominicale. Après les réveils paisibles des premiers jours de vacances, après les instructions au petit personnel qui m’accompagne, après les midis tout ensommeillés, après les journées d'alanguissement en des peignoirs lâches et disgracieux, après quelques obligations mondaines, voici venu le temps de redevenir le sponsor de Pierre...
J’ai actionné le rideau électrique, allumé quelques
lumières ; tout est bien rangé dans la boutique. Pierre a posé sur le
bureau, comme à son habitude, un ouvrage susceptible d’être vendu par ses soins
grâce à mon intercession auprès des lecteurs. Deux, plus exactement. Qui lit
encore des oraisons funèbres à notre époque ? Et qui lisait des oraisons
funèbres aux siècles passés ? On est surpris de constater que ces ouvrages présentent
souvent, d’ailleurs, des signes d’usage qui démontrent que la pratique était autrefois
fréquente.
Vous savez que l'oraison funèbre est un discours solennel
prononcé pour honorer la mémoire d’un défunt illustre. Les "Bossuet", les "Fléchier"
sont malheureusement rares aujourd’hui et la plus élémentaire précaution, si
vous voulez qu’on fasse de vous un éloge un peu classieux au cours d’une
liturgie bien menée, est encore d’écrire votre propre oraison si, comme moi,
vous avez quelques talents pour l’écriture… Reste à trouver un Evêque ou un
Cardinal à l’élocution claire pour honorer votre mémoire !
En ce jour de l'an de grâce ... [date à préciser], en notre
Collégiale de Tarascon, une foule
compacte se presse aujourd’hui pour entendre l'éloge funèbre de Philippe
Gandillet :
L’épithète d’Académicien est celle que l’on entend le
plus fréquemment accolée au nom du maitre. Idole de milliers de jeunes gens et
de quelques lecteurs d’un blog bibliophile, il fit plus pour l’Académie qu’elle
ne fit pour lui. Ainsi était la pensée
de Philippe Gandillet. Douée de raison, sans doute. D’intelligence, bien sûr.
Mais, mieux encore, de passion domptée pleine de la douleur, de la tendresse,
de l’orgueil et de la rage qui bouillonnaient en son cœur.
Mais ce n’est pas son empire, profond et chaque jour plus
étendu, sur la pensée d’aujourd’hui et de demain qu’il faudrait évoquer en
premier. Il était né athlète. Et il était né chanteur. Qui ne se rappelle qu’à
l’aurore, quand sa journée était terminée et son mot du jour offert au dictionnaire,
on le voyait parcourir des kilomètres et des kilomètres de bitume, pouvant
dépasser les meilleurs coureurs kenyans en vitesse et en accélération sur des
parcours où, malheureusement, on en trouvait pas ? Qui ne sait qu’à peine
adolescent, il s’était épris d’un beau feu pour une des plus belles voix du
répertoire français ; Alain Barrière ? C’est ainsi qu’au collège,
dans la salle d’études commune, il troublait le recueillement prescrit en
accompagnant ses devoirs de sa voix puissante, esquisse d’approbations
passionnées et de succès d'estime…
Ce sont cependant les aspects de son génie littéraire qui
nous rassemblent aujourd’hui. La première chose qui
frappait ses interlocuteurs c'était la clarté d'esprit de Philippe Gandillet.
Dès que les premières paroles fusaient sur ses
lèvres, immédiatement, on devinait où il voulait en
venir, on comprenait le cheminement de sa pensée ; après vous être entretenu
avec lui du sujet qui vous tenait à cœur, vous vous sentiez comme oint d'un baume
apaisant qui vous faisait oublier même, le contenu de votre propre questionnement.
Si le livre sacré nous
enseigne : "Beati pauperes spiritu", ou pour les profanes :
"Heureux les pauvres en esprit", alors, en vérité je vous le dis, Philippe
Gandillet a dû être très malheureux,
lui qui avait l'esprit si fécond… Ceux qui
pensent que son activité dévorante pouvaient le faire négliger les plus simples
choses sont-ils bien
sûrs que la gymnastique de l’article quotidien qu’il s’imposait n’était pas un
entrainement utile et point fatiguant pour un esprit de cette vigueur ?
Nous en avons assez dit pour montrer que cet écrivain marquera
de son empreinte les temps à venir. Si nous sommes passés sur son rôle glorieux
pendant son service militaire à Saint-Cyr Coetquidan, c’est sans doute parce
que son prestige n’en avait pas besoin, cette dernière louange pouvant ternir toutes
les autres par son éclat. Une grande voix crie du fond de la France orpheline et surtout de
notre siècle : Pourquoi lui, le meilleur d'entres nous ? Le malheur a voulu que
Philippe Gandillet soit Académicien devant la mort. Mais Immortel, il le sera, pour
la vie…
Voilà, c'est aussi simple que ça ! On peut lire, aussi, les
belles oraisons de mes deux voisins de siège, Esprit Fléchier et Jacques-Bénigne Bossuet dans les deux
ouvrages que Pierre propose à la vente, aujourd'hui. C'est remarquable. Votre dévoué. Philippe
Gandillet
Recueil des oraisons funèbres prononcées par messire Esprit
Flechier, évêque de Nismes. Nouvelle édition, dans laquelle on a ajouté un
précis de la vie de l'auteur. Paris, Jean Desaint, 1741. Un volume
in-12. Reliure pleine basane fauve, dos lisse, caissons fleuronnés,
pièce de titre maroquinée, gardes
colorées. Xviij, [1f table], 256pp. Signes
de restauration. Bel état.Vendu
Recueil des oraisons funèbres prononcées par messire Jacques-Benigne
Bossuet, évêque de meaux. Nouvelle édition, dans laquelle on a ajouté un précis
de la vie de l'auteur. Paris, Jean Desaint, 1741. Un volume
in-12. Reliure pleine basane fauve, dos lisse, caissons fleuronnés,
pièce de titre maroquinée, gardes
colorées. 11, [1f table], 250pp. Signes de
restauration. Bel état. Vendu
1 commentaire:
Je suis rassuré : j'ai eu peur de faire de l'ombre à mes deux coreligionnaires... Leurs oraisons vont remonter le Rhône par le chemin du halage. Ph Gandillet
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