lundi 3 octobre 2011

Causerie du lundi de Philippe Gandillet : Traité des plus belles bibliothèques de l'Europe au 17eme siècle par Le Gallois. Rare !

On va encore dire que je suis misogyne…

C'est, en effet, un jolie lettre que j'ai trouvée sous la porte en entrant dans la librairie, ce matin, qui m'oblige à une réponse qui ne va pas faire l'unanimité au sein de la communauté féminine.

Cher Maître,

J'ai la chance de posséder une très forte somme d'argent, honnêtement gagnée après la procédure de divorce que j'ai engagée contre mon ex-mari, industriel besogneux mais infidèle. Je vis, depuis cette triste séparation, avec un jeune homme plein de talent qui finit ses études de lettres et qui veut écrire des livres. Je souhaiterais lui offrir, pour ses vingt cinq ans, une bibliothèque à sa mesure.

Je n'ai malheureusement aucune compétence en bibliophilie car mes longues séances de photographies pour les magazines et mes incessants passages sur les podium des maisons de couture ne m'ont jamais laissé le temps, au cours de ma jeunesse, de m'y intéresser. On dit que vous êtes de bon conseil. Où pourrais-je trouver une bibliothèque toute faite et bien faite ?

Passons sur la formule de politesse qui retrace, en quelques mots élogieux, ma carrière littéraire et abordons le sujet sans ambages !


Le temps des grandes bibliothèques, chère Madame, est passé sans retour. Est-ce un progrès ? Est-ce une décadence ? Je n'ai pas à résoudre une question que je n'entends pas poser ici. Toujours est-il que les grandes bibliothèques, comme celles de De Thou, de Colbert, de Falconnet, de D'Estrée, du Cardinal Dubois, de La Valliere, etc… ne sont plus à refaire et ne se referont plus jamais. Les gros livres encombrants, les collections volumineuses, les ouvrages écrits en latin, les conciles, les Pères de l'Eglise, la vieille science, la vieille médecine, les innombrables historiens de tous les temps, de tous les pays, de toutes les villes et de toutes les églises, tout cela est à jamais banni des bibliothèques d'amateurs et relégué dans les bibliothèques publiques, sous la sauvegarde d'une poussière séculaire, n'en doutons pas…


Les bibliothèques publiques, voilà le refuge des livres qu'on ne lit plus et qu'on ne lira peut-être jamais ! Quant aux bibliothèques privées, comme celle tout faite que vous recherchez aujourd'hui, elles ne sont pas légion.


Ce qu'on ne dit pas, ce qu'on ignore, c'est que la bibliothèque nécessaire à un jeune, et j'espère talentueux, écrivain tel que semble être votre jeune compagnon est assez rare à dénicher. La plupart des bibliophiles du siècle dernier se préoccupaient surtout d'avoir beaucoup de livres et de remplir de manière esthétique leurs rayonnages. Pourvu que les livres fussent propres et de bel aspect sur les étagères de leur bibliothèque, c'était assez et l'on ne demandait pas autre chose.


Il y avait dans chaque hôtel de la nomenclatura industrielle ou politique de l'époque, une belle salle ou une vaste galerie dédiée à la bibliothèque ; celle-ci était souvent ornée de sculptures, de marqueteries, de tableaux et d'ornements décoratifs en cuivre ; tantôt fermée hermétiquement par des portes vitrées, aux livres tantôt exposés aux rayons lumineux derrière un grillage à la mode. Il suffisait d'avoir des livres pour avoir une bibliothèque, c'était là l'indispensable, le nécessaire chez un homme d'affaires s'il voulait être considéré, non comme un lettré mais comme un homme bien élevé et de bonne compagnie.


Cette bibliothèque existait, telle qu'un libraire l'avait formée à sa guise, moyennant un prix convenu d'avance. Ce fut d'ailleurs le cas de beaucoup de bibliothèques de femmes au XVIIeme siècle, le saviez-vous ? Je vous parle de ceci car j'ai trouvé sur les rayonnages de notre libraire tarasconnais un petit ouvrage qui pourra, à lui seul, vous indiquer les critères communément admis pour remplir au mieux vos étagères. Il s'agit d'un traité des plus belles bibliothèques de l'Europe et d'un texte sur la meilleure façon de dresser la vôtre.


Ces bibliothèques de femmes n'étaient certes pas à dédaigner. C'était celles de la Comtesse de Verrue, de Mme de Pompadour, et de la Comtesse du Barry. Le libraire, une fois le prix convenu et débattu, avait fait la bibliothèque selon le goût de ses clientes. Les deux premières lisaient essentiellement des romans comme le font beaucoup de femmes aujourd'hui, la troisième qui lisait peu, et qui à cette époque savait lire à peine, ne désigna aucune espèce de livres et le libraire fit pour le mieux… Certains exemplaires étaient donc tachés, mouillés, même incomplets mais ces ouvrages étaient ensuite superbement reliés aux Armes de ces dames.


Je vous ai cité ces faits anciens, chère Madame, pour vous mettre en garde contre l'achat d'une bibliothèque toute faite qui peut être source de grande déception pour son acquéreur. Et si votre jeune compagnon aime les livres, je vous invite à le faire rencontrer des libraires installés sur la place, des boutiquiers comme Pierre, en somme - et même plutôt lui qu'un autre - qui lui permettront de voir, de sentir, de toucher et même de feuilleter les ouvrages convoités avant que vous ne les lui offriez. Voilà mon sage conseil !

Votre dévoué. Philippe Gandillet


GALLOIS (Le), Sieur De Grimarest. Traité des plus Belles Bibliothèques De l'Europe. Des premiers Livres qui ont été faits. De l'invention de l'Imprimerie. Des Imprimeurs. De plusieurs livres qui ont été perdus & recouvrez par les soins des Sçavans. Avec une méthode pour dresser une Bibliothèque. À Paris, Chez Estienne Michallet, 1685. Suivant la copie (contrefaçon?). Reliure plein veau, dos à 5 nerfs, caissons ornés de motifs dorés, titre en lettres dorées, dentelle sur les coupes. Format in-12. [1f blanc], [6ff dont page de titre, frontispice]-240 pp -[1f blanc].

Très intéressant petit ouvrage sur l'état de plusieurs bibliothèques de l'époque, inventoriées par nation (Italie, Espagne, Allemagne, Pays-bas, Angleterre, Danemark, France) et quelques anecdotes sur l'histoire de l'imprimerie. Pour la France, outre les belles bibliothèques provinciales de Rouen, de Caen, de Lyon et Toulouse, qui appartiennent pour l'essentiel aux Jésuites et autres communautés religieuses, l'auteur en dénombre près de 60 parmi les plus remarquables de Paris, sans compter celles qui "ont esté vendües ou dissipées dans ces derniers temps". Elles sont classées suivant leurs richesses, l'antiquité et la rareté, leurs particularités et leur contenu thématique ce qui apportent beaucoup à notre curiosité. On trouve au premier plan, les 40 000 ouvrages de la bibliothèque du roi, vient ensuite celle du prince de Condé "ce Mars de notre siècle", puis des cardinaux du Bouillon et de Mazarin, celle de Colbert venant en 5ème position, "composée d'une grande quantité de livres et de manuscripts tous rares et tous bons", celle de Theveneau pour les reliures et leurs rareté, celle déjà du président Lamoignon, etc. ; parmi les grandes institutions, les premières places reviennent à la Sorbonne, au Collège de Navarre, aux Jésuites du Collège de Clermont, à la classique, aujourd'hui encore, Bibliothèque Ste Geneviève." L'ouvrage se termine (33pages) sur une lettre à Monsieur de… pour lui indiquer les moyens de former une bibliothèque.

L'exemplaire a vraisemblablement été conservé, à une période, dans une zone humide. Traces de mouillure discrètes, le cartonnage est gondolé, le papier coloré de la page de garde est granuleux et le dos est légèrement serré…Rare et intéressant ouvrage du 17eme siècle sur les bibliothèques. 90 € + port

8 commentaires:

Nadia a dit…

Comtesse du Barry ? j'ai un instant pensé que ça puisse être celle des foies gras...

Anonyme a dit…

Celle-ci eu, à la fois, le pouvoir de faire perdre la tête au Roi Louis XV en raison de sa partie-culs et le malheur de perdre plus tard sa tête en raison de cette particule... Ph Gandillet

calamar a dit…

si je me souviens bien, elle a surtout commis l'imprudence, après un cambriolage, de publier la liste des bijoux volés...

Léo Mabmacien a dit…

Pour info cette édition est une contrefaçon de l'édition de Paris (cf. page de titre) ;-)

Bien à vous
Léo

Pierre a dit…

Je ne l'avais pas vu comme cela ! En effet, la mention "suivant la copie" ferait penser à une contrefaçon alors que j'avais pensé que c'était l'édition de 1680 rééditée, la pagination étant différente.

Comme quoi... Je vais approfondir ceci. Merci. Pierre

Pierre a dit…

Les éditions de 1680 sont fréquemment rencontrées dans les bibliothèques de France. Plus rare est cette édition de 1685. Comme pour moi, la notice n'indique pas qu'il s'agit d'une contrefaçon mais le terme suivant la copie est mentionnée dans le titre complet.

Je vais en faire de même... Pierre

Léo Mabmacien a dit…

Pierre il faut se méfier des notices de catalogues... surtout du ccfr... ;-))
"Suivant la copie" indique clairement une édition contrefaite, Brunet précise que l'édition de 1685 viendrait de Hollande.
Cela n'enlève rien à son intérêt...
Léo

Pierre a dit…

Décidément, ce "Brunet" je n'y trouve jamais rien !!

Il fallait chercher dans la table des matières à 16663 (histoire littéraire). Merci Léo.