samedi 5 mars 2011

La reliure d’éditeur au 19e siècle : Un exemple de reliure polychromée, chez Hachette…


« En décor, la reliure industrielle, qui s’adresse à la foule est condamnée à crier plus fort et à tirer l’œil ; elle a des obligations de richesses dans les prix doux, de clinquant sur percaline et de prodigalité de faux or et de couleurs : Au besoin, il lui faut être sardanapalesque ("Sardanapale" fut un roi qui vécut dans la débauche, encore un !) sur des cartonnages de 40 centimes » . Henri Béraldi, collectionneur, bibliophile et auteur d’importants répertoires de graveurs et d’un ouvrage de référence sur la reliure au 19e siècle, met en lumière en quelques lignes seulement et ce, dès 1895, les principales caractéristiques de la reliure industrielle.

Apparue dès la Restauration, c’est après 1840 qu’elle connaît un incroyable essor répondant à une demande croissante de livres, liée à l’instauration de la loi "Guizot" en 1833 imposant à toute commune de plus de 500 habitants l’ouverture d’une école pour garçons et à celle de plus de 800 habitants une école pour filles et de la loi Falloux de 1850 libéralisant l’enseignement en permettant à tout particulier ou fondation religieuse, d’ouvrir des écoles et des collèges favorisant de fait l’enseignement confessionnel. Les besoins en livres se multipliant, la production se diversifia et se déclina dès lors en livres religieux, livres de fêtes, livres d’étrennes, livres scolaires et surtout livres de prix.


Techniquement, la reliure industrielle s’apparente à la reliure « à la Bradel » inventée au 18ème siècle, qui à la différence d’une reliure classique faisant corps avec l’ensemble du livre, se présente sous la forme d’un cartonnage collé aux pages de garde. Éditées en milliers d’exemplaires, destinés au plus grand nombre, les reliures d’éditeurs furent longtemps négligées, détériorées et même jetées, comme les cartonnages romantiques.

A partir des années 1830, un nouveau type de couvrure fit son apparition chez les éditeurs : La Percaline. Les ouvrages étaient recouverts d'une toile apprêtée et gaufrée de teinte foncée, la percaline, le plus souvent noire, mais aussi verte ou violette. Elle était ornée d’un décor doré appliqué à la plaque. Les plus jolies, appelées reliures mosaïquées étaient agrémentées de papiers de couleur collés sur la percaline avant l’application de la plaque dorée, qui sertissait sur le fond sombre des couvertures ces ornements aux couleurs de pierres précieuses (Un spécialiste, Bernard Mamy, les catalogue en ce moment sur son blog)


Les reliures chromolithographiées et dorées prirent le relais. Je vous en propose un exemplaire à la vente aujourd'hui. Pour ce qui est du texte qu'il contient, je l'ai déjà présenté dans un billet précédent. Guizot fut un homme politique influent sous Louis-Philippe. On lui doit la loi "Guizot"dont j'ai parlé en début de billet. Banni de France après 1848, Il s'exile en Angleterre. Ses petits-enfants grandissant autour de lui, il commença à orienter leur attention vers l’histoire. Ces leçons devinrent son dernier ouvrage « Histoire de France racontée à mes petits-enfants », qui bien qu’ayant une forme simple, populaire et attrayante n’en est pas moins complet et profond. Cette histoire s’achève en 1798, et fut continuée jusqu’en 1870 par sa fille Madame Guizot de Witt à partir des notes de son père. C'est cette dernière partie qui est abordée, ici, dans ces deux volumes.


Donc, A partir des années 1850, la percaline sombre tend à être remplacée par de la toile aux décors dorés simplifiés. A partir des années 1870, la couleur arrive de façon spectaculaire dans les reliures d’éditeurs, pour trouver son apogée entre 1890 et 1914, lors de la Belle Epoque. Ce fut alors la vogue des reliures en toile de couleur vive, bleu, vert, blanc et surtout rouge comme les plus célèbres publiées par Hetzel. Elles sont toutes ornées de magnifiques illustrations en chromolithographie aux couleurs éclatantes rehaussées d’or ou d’argent. Celle que je présente provient de l'éditeur Hachette, dont le nom est gravé en queue de l'ouvrage.


« C’est une production immense, que nous ne regardons pas, parce que nous vivons au milieu d’elle. Ou plutôt nous la regardons sans la voir, négligemment, à l’époque des étrennes, un peu fatigués de son abondance, et oubliant que c’est nous qui devrions avoir l’œil assez artiste et assez critique pour rechercher aujourd’hui avec plaisir, au milieu du médiocre, les morceaux intéressants – et qui sûrement seront remarqués par nos successeurs, lorsque le temps aura passé dans un alambic cette incalculable production, pour en distiller la quintessence » Henri Béraldi.

Pierre avec l'aide de Lysianne Allinieu et de Laure Haberschill

GUIZOT (M.). L'histoire de France, depuis 1789 jusqu'en 1848, racontée à mes petits enfants. En 2 volumes. Paris, hachette et Cie. 1879. Format In-4. Reliure éditeur demi chagrin vert empire. Les deux plats en percaline verte illustrée de motifs dorés avec encadrements. Dos à faux nerfs aux caissons ornés de motifs empire, pièce de titre et tomaison en lettres dorées. 731 + 789 pages. Frontispices en noir et blanc, avec serpente. Nombreuses gravures sur bois, en noir et blanc. Toutes tranches dorées. Leçons recueillies par Mme De Witt, née Guizot. Gravures d'après les dessins de Em. Bayard, C. Delort, F. Lix, D. Maillart, O. Mathieu, E. Ronjat, T. Taylor et Th. Weber. Très bel exemplaire à la reliure en bel état. Quelques rousseurs clairsemées dans le texte. Vendu

11 commentaires:

Anonyme a dit…

Bonjour,
Ces reliures sont somptueuses; Il semblerait que le dos soit en chagrin... Est-ce un effet d'optique ou la différence de teinte et de matière n'est pas evidente?
bravo pour le travail de synthése sur cette sorte de reliure qui, quand elle est en bon état, est du plus bel effet dans une bibliothèque.
Bien à vous;
sandrine

Anonyme a dit…

Milles excuses, je n'avais pas lu la description correctement... c'est indiqué.
Sandrine

Jeanmichel a dit…

J'espère bien qu'elles feront le plus bel effet dans la mienne prochainement...
Si vous passez dans le voisinage, faites une halte pour les admirer par le toucher, je vous raconterai l'Histoire de France. :-)

Pierre a dit…

On ne peut être qu'admiratif devant le talent de visionnaire de Béraldi qui a anticipé l'attrait des bibliophiles. Dommage que le papier ne suive pas toujours la reliure.

Je me demandais : A quelle période a t-on vu les premières taches de rouille apparaitre sur le papier acide de l'époque ? 10 ans après leur production ? Est-ce un phénomène calé ou bien est-il encore en évolution ? Pierre

Je rassure Jean-Michel. Il y en a très peu sur ces deux ouvrages... Ouf !

Textor a dit…

Waouh ! ça jette ! voilà qui va décorer joliment une bibliothèque. Et Guizot en vert empire, c'est un must pour celui qui se faisait toujours représenter une main dans l'échancrure de sa redingote...

Anonyme a dit…

En ce qui concerne les taches de rouille, il y a plusieurs phénoménes, imputables à:
1-l'introduction de procédés chimiques, qui ajoutent de l'acidité, les matériaux de contact qui contaminent le papier.
Suivant la nature du papier( lin-Velin, lin-vélin+colophane+Cellulose, coton velin, pâte mecano chimique...) les dégradations n'ont pas la même couleur, ni forme, ni positionnement...
Foxing "oeil de boeuf", foxing (rousseurs) diffus, foxing en bordure de page.

2-Dues également à la qualité de l'eau et le présence d'ion métalliques.
Il faut regarder par transparence votre papier et voir l'ampleur de la tâche.

Quant à savoir le temps... laissez au soleil, des feuilles de papier de différentes natures et de différentes époques et vous verrez avec quelle rapidité, elles se dégradent...

Je crois que O. Maupin a un blog... Il pourra peut êrte vous répondre. ces informations sont retirées de son livre sur l'identification des papiers ED° fleurus.

Bon Dimanche

Sandrine

Pierre a dit…

Peu d'informations sont disponibles sur les rousseurs, en fait. Il me faudra acheter le livre de Maupin pour en savoir plus, semble t-il.

Anonyme a dit…

le livre D'O. Maupin aide à déterminer et à dater un papier ancien qu'il soit écrit, ou graver pour une estampe; Il n'y a pas plus de précisions que cela sur les rousseurs.
Il faudrait plutôt, je pense voir avec des chimistes pour avoir reponse à la question du temps... Je ne suis pas sûre que quelqu'un le sache. Combien de temps met le fer pour rouiller?... Cela depend des conditions atmosphériques et du stockage.
le livre d'olivier maupin est un très bon outil pour dater, fourmille de renseignements essentiels précis et pratiques pour s'y retrouver.
Sandrine.

Anonyme a dit…

http://unesdoc.unesco.org/images/0008/000804/080496fo.pdf

à la page 8 de ce rapport, vous avez l'idée que personne n'en sait rien mais qu'il y a des hypothéses...

Sandrine

Pierre a dit…

Merci pour le lien. Il semblerait, en fait, qu'il y ait une confusion entre rousseurs et moisissures. Pourquoi beaucoup de champignons entre 1830 et 1900, peu avant et peu après ?

L'acidité du papier, la présence de fer dans l'eau et le développement de champignons secondaires sont peut-être associées dans ce phénomène ? Pierre

Anonyme a dit…

Bonjour Pierre,
je pense aux progrés de la chimie qui ont utilisé peu à peu des procédés moins acidifiants, de l'eau plus pure, des méthodes de filtrage.
Voici un autre lien qui va peut être vous éclairer;
http://users.belgacombusiness.net/laroutedupapier/site/articles/papier_acide.htm
et
http://classes.bnf.fr/dossisup/supports/art15b.htm
Bien à vous
Sandrine