lundi 25 octobre 2010

Causerie du lundi de Philippe Gandillet. Le temps des colporteurs par Charles Nisard


Je reçois ce courrier d'un lecteur, un brin déprimé par la survenue des frimas saisonniers :

Cher ami,

Le facteur vient de m'amener l'almanach 2011. Déjà ? Me direz-vous... Le vent qui soufflait en rafales a jonché le couloir de feuilles éclatées et la porte qui ferme mal bat tristement depuis son départ. Je lui ai donné un peu d'argent par habitude mais une profonde tristesse inonde, maintenant, mon âme en deuil de l'été. Les sanglots longs des violons de l'automne blessent mon cœur d'une langueur monotone. Tout suffocant et blême, quand sonne l'heure, je me souviens des jours anciens et je pleure. Et je m'en vais au vent mauvais qui m'emporte deçà, delà, pareil à la feuille morte avec mon almanach dans les mains…


Je ne voudrais pas paraître mauvaise copine mais cette habitude de proposer des almanachs me chagrine. On peut refuser, me direz-vous. Qui a essayé ? J'attends maintenant avec fatalisme, les éboueurs, les pompiers, les secours, les amis des animaux et leurs amis ainsi que plusieurs associations caritatives pour compléter ma collection…

A-t-on, un jour, recensé toutes ces productions littéraires ? Il y a matière pour collectionneur à mon humble avis ! Je sais que vous répondrez à ma demande car votre passion pour le livre ancien est le signe d'un cœur pur…

Signé : Paul


Notre ami Paul a raison de penser qu'un chercheur s'est, un jour, penché sur cette question. Il s'agit d'un commis de l'état, Charles Nisard, dont l'ouvrage que je présente aujourd'hui dans sa deuxième édition est le fruit d'une loi dont il est l'initiateur :


Arrêté de Juillet 1852 : "En exécution de la loi du 27 juillet 1849, le ministre de la police générale décide, dans l'intérêt de l'ordre et de la morale, que tout ouvrage, écrit ou gravure, destiné au colportage, sera revêtu d'un timbre ou estampille, qui en autorisera la vente".


Marie-Léonard-Charles Nisard (1808 -1890), est un philologue français, également éditeur de textes latins et historien de la littérature. Sous-secrétaire au ministère de la Police sous le Second empire, il était chargé de recenser et de censurer la littérature de colportage, ce qui lui permit de constituer une importante collection de livres populaires. Il produisit ainsi la première étude historique sur le sujet (Paris, librairie d'Amyot, 1854) ainsi que plusieurs études sur le vocabulaire de l'argot parisien et sur son étymologie.


Son étude ne s'attache pas qu'aux almanachs mais à tous les textes qui pouvaient s'appuyer de près ou de loin aux almanachs ou aux éditions populaires (textes religieux, discours, etc…). L'almanach se présentait en général sous la forme d'un calendrier portant des éphémérides tels que les phases de la lune ou la durée des jours ou était une publication annuelle contenant des renseignements divers, tels que des recettes de cuisine, des trucs et des astuces. Ils étaient traditionnellement diffusés par des colporteurs. Certains almanachs régionaux subsistent et l'Almanach Vermot, (humoristique) fondé en 1886 par Joseph Vermot, est encore publié chaque année.


Je vous conseille, mon cher Paul, de vous procurer cet ouvrage de Charles Nisard. Vous accueillerez dorénavant les différents préposés aux calendriers, almanachs et brochures en tout genre avec la plus grande bienveillance comprenant qu'ils sont les derniers bienfaiteurs de l'humanité, le dernier bastion de l'éducation populaire, à vous proposer, jusque chez vous, ces ouvrages illustrés qui vous assureront le savoir et la sagesse. Mais j'entends que l'on sonne au portail… Un colporteur, peut-être ?

Votre dévoué. Philippe Gandillet


NISARD (Charles). Histoire des livres populaires ou De la littérature du colportage : Depuis l'origine de l'imprimerie jusqu'à l'établissement de la commission d'examen des livres de colportage, 30 novembre 1852, deuxième édition. Paris, E Dentu éditeur, 1864, 2 volumes in 12, reliure demi percaline rouge et plats en papier coloré, dos lisse avec motifs dorés, pièce de titre, auteur et tomaison sur cuir vert empire. Rousseurs irrégulières dans le texte mais cahiers très solidaires et reliure propre. 135 € + port

12 commentaires:

Pierre a dit…

Il y a eu, bien sûr, des almanachs qui n'étaient pas distribués par les colporteurs mais dûment édités après "privilège du roi" dans des reliures magnifiques par des imprimeurs patentés. Les almanach royaux faisaient partie de ceux-là

L'équivalent à notre époque ? Peut-être quelques parutions des conseils généraux et régionaux. C'est possible. Pierre

Textor a dit…

Une belle série d'Almanach en maroquin aux armes s'est vendue lundi dernier en Normandie. Ils sont tous partis, je crois, et ont fait un bon prix.
T

calamar a dit…

Sagesse, pour Paul... il l'a déjà, non ?

Anonyme a dit…

Les almanachs royaux ont ceci de bien, Textor, que lorsqu'on veut situer un de ses livres au début du règne de Louis XIV, qu'un héros magnant cape, épée et mousquetons doit affronter d'affreux hommes d'armes sous l'autorité d'un cardinal fourbe et calculateur, qu'un gentil sosie du Roi est emprisonné et que l'intrigue consiste à remplacer l'horrible monarque en place par le gentil jumeau... Et bien, tout cela parait réaliste grâce à la présence concomitante d'une cour et de courtisans ayant vraiment existé !

Cette intrigue me plait d'ailleurs. Je pourrais en faire un roman à succès... Ph Gandillet

Pierre a dit…

Une collection homogène d'almanachs royaux aux armes doit être bien sympathique à posséder. Une idée du prix moyen par ouvrage ?

Pierre a dit…

Calamar, je ne peux assurer que Paul possède cette sagesse qui lui évitera les écueils de la vie. L'absinthe, Les amitiés particulières et la violence conjugale sont des composantes peu compatibles avec l'acquisition de la sagesse... Il finira par accueillir les démarcheurs avec un fusil chargé au gros sel ;-)) Pierre

Anonyme a dit…

L'ouvrage de Nisard est incontournable pour qui s'intéresse aux almanachs et livres populaires.
Il y a aussi "Le livre de colportage en France" de Pierre Brochon, "La Bible bleue" de Geneviève Bollème et bien sûr pour la Belgique "Les livres populaires flamands" de Van Heurck.

René de BlC

Pierre a dit…

Vous aviez d'ailleurs fait un excellent article sur les almanachs dans les colonnes du blog du bibliophile, René.

Vous dire que Ph Gandillet ne l'a pas lu serait mentir... Pierre

Textor a dit…

@ Pierre.
Les almanachs aux armes sont tous partis à 1200 e si je me souviens bien. C’est dire si les acheteurs sont fixés sur une cote !
C’est vrai que c’est pratique pour trouver des noms de personnages, Modiano utilise de vieux bottins, chacun sont truc !
Pour ma part, je me contente de faire relier en maroquin jaune, tous les dix ans, les almanachs des PTT.
Textor

Pierre a dit…

Quand je pense que je me torture l'esprit au moment de mettre le prix sur mes ouvrages alors qu'il suffit de faire un copier-coller avec les prix des salles de vente, c'est à désespérer !

Je me demande si la cote chez les libraires de province n'est pas un peu plus basse, d'ailleurs ;-)) Pierre

Textor a dit…
Ce commentaire a été supprimé par l'auteur.
Textor a dit…

NON Pierre, ne changez rien !!
D'ailleurs c'est normal que les prix soient moins élevés chez les libraires, il n'y a pas la même adrénaline qu'en salles des ventes. !! :)