lundi 23 août 2010

Causerie du lundi de Philippe Gandillet. Comment vivre de sa plume ?


Je reçois, ce matin, par l'entremise de la charmante postière qui officie jusqu'à la librairie de Pierre, un petit courrier qui a retenu toute mon attention.

Il est écrit avec déférence mais on sent en suivant la plume de son auteur, qu'une fougue juvénile anime son poignet. Les lettres sont grandes et harmonieuses, l'écriture est à l'anglaise et il ne faut pas être grand clerc pour deviner que le stylographe utilisé est de belle marque car les mots s'enchaînent sans accroc. En voici la teneur :


Cher Maître,

Quelques légitimes compliments sur mon œuvre littéraire débutent la missive. Je vous en fais grâce…

Comment avez-vous assuré la dignité de votre vie matérielle avant que la littérature n'y suffît ?
Comment avez-vous pu vous dégager de tout ce qui n'était pas la littérature ?
Quels conseils donneriez-vous au jeune homme pauvre qui se croit taillé pour la course mais qui ne saurait pénétrer dans le stade ?

La lettre se termine par des remerciements anticipés pour la bienveillante sollicitude dont je vais faire preuve. Je vous en fais regrâce… La signature est illisible, malheureusement.


La troisième question a été tellement rebattue que je vous renvoie à quelques amis Académiciens qui l'on traitée avec plus ou moins de bonheur. Les deux premières sont indiscrètes mais touchantes. Je crois qu'un peu de sincérité est quelquefois nécessaire dans ce monde de paillettes et tel le grand frère, je me plie aujourd'hui à cet exercice pour que la jeunesse puisse en tirer quelques enseignements bénéfiques…

Chère signature illisible,

La littérature n'a jamais suffi à ma commodité matérielle. Alors, j'ai travaillé dans quelques geôles comme beaucoup d'autres de mes confrères de province.


Ayant été pourvu par la nature d'un physique avantageux, j'ai profité de cette aubaine pour exhiber mon corps d'athlète dans les cabarets alentours. Une de mes spécialités était de me lover autour des anglaises de passage dans une tenue que l'on aurait pu qualifier "d'Adam" si ce n'était l'infime mini-sring qui moulait mes attributs génitaux. Bientôt rejoins par quelques billets de banque langoureusement plaqués sur l'élastique du cache-sexe, je ne voyais dans cette bourse improvisée que le sésame à mes rêveries d'écrivain proclamé. Avec le pain gagné la nuit, il me restait bien assez de temps pour écrire... jusqu'au jour où mon talent de plume fut reconnu. Je décidais, alors, d'arrêter mes exhibitions sexuelles…

Ce n'est, qu'à la suite de la demande express du secrétaire perpétuel de l'Académie Française, que j'ai enfilé une dernière fois mon string alimentaire, il y a peu. C'était pour la réponse au discours de réception de Jacqueline de Romilly. Quelle marrade !


J'ai souvent regretté de ne pas avoir appris un métier manuel qui m'aurait laissé de meilleurs souvenirs. Il y en a d'excellents, de propres et même d'intéressants, parait-il ! Il vaut mieux être typographe que critique littéraire si l'on veut être dégagé de tout ce qui n'est pas de la littérature. Il vaut mieux être pianiste dans un bordel plutôt que professeur de philosophie dans un lycée de province si l'on veut rencontrer des personnalités influentes. Il vaut mieux tenir une librairie ancienne à Tarascon plutôt que d'être chroniqueur au Midi-libre si l'on veut se ménager des parenthèses de loisir intellectuel…

Au risque d'être accusé d'optimisme béat, j'ajoute encore, qu'à mon sens, le talent finit toujours par percer. Vous voilà donc bien armé pour récolter quelques prix littéraires ! Votre dévoué. Philippe Gandillet.


J'ai trouvé sur les rayonnages de la librairie un petit ouvrage que vous pouvez vous acheter pour un coût modeste. C'est un bon investissement qui reprend, en les développant, les idées que je vous ai présentées à l'instant.

Association des courriéristes littéraires des journaux quotidiens. L'Ami du lettré. Année littéraire et artistique pour l924.G. Crès, Paris, 1924, 332 pp. Couverture rempliée et illustrée par Louis Jou. Nombreuses illustrations in et hors texte dont page 32, une illustration de Mathurin Meheut et d'autres gravures et bois originaux de Louis Joseph Soulas, de Louis Moreau, … Texte de Mac Orlan, etc… Fort intéressant pour un bibliophile. Vendu

3 commentaires:

Pierre a dit…

Par moment, le manque de pudeur morale de Philippe Gandillet est désarmant. Comment lever un voile sur sa vie sans décevoir ses lecteurs ? Pierre

Anonyme a dit…

Le lecteur digne de ce nom fera comme tout ami digne de ce nom : il écoutera, soupirera en lui-même si besoin, fera le tri, et décidera d'oublier la vision cauchemardesque d'un Philippe Gandillet en string panthère (on n'a pas parlé de panthère ?? ah bon ? vous êtes sûrs ?)... fourrure alors ? même pas....

Donc, il n'y pas de quoi fouetter un chat !


Nadia
(toujours pas cuisinière ni taxidermiste)

Anonyme a dit…

C'était en effet un string panthère. Vous avez bonne mémoire, Nadia ;-)) Philippe Gandillet