lundi 25 janvier 2010

Causerie du lundi de Philippe Gandillet : L'art de la lecture par Legouvé


Il est extrêmement rare d'être élu Académicien de père en fils. Ernest Legouvé (1807–1903) est l'exception qui confirme la règle. Je crois même que l'on n'a jamais vu de "Membre de l'institut & fils" dans la même assemblée. Et l'élection de prélats n'arrange pas les statistiques…

C'est exactement ce que j'ai pensé quand je suis arrivé à la boutique ce matin et que j'ai trouvé sur l'étagère, l'ouvrage que Pierre souhaitait se défaire, la mort dans l'âme.

Soit ! Cela n'enlève rien au talent d' Ernest Legouvé qui reste un des plus illustres oublié du 19eme siècle. Il fut, en 1847, chargé d'un cours au Collège de France, fit de nombreuses conférences, écrivit des poèmes, des brochures sur la femme, la famille, la lecture, l'escrime, le théâtre. Comme auteur dramatique, ses meilleurs ouvrages sont ceux qu'il fit en collaboration avec Scribe dont je vous parlerai un jour, si vous insistez. En 1881, il fut nommé directeur des études de l’École normale de Sèvres et inspecteur général de l'Instruction publique. Au fil des années, sa célébrité lui vint surtout de ses conférences sur les droits des femmes, sujet rabattu sur lequel je ferai l'impasse. Nous nous pencherons plutôt sur un de ses ouvrages, intitulé " L'art de la lecture". En fait, Legouvé a cafouillé dans le titre. Il s'agit en fait d'un exposé sur l'art de la lecture à haute voix et sur la diction. Si mes souvenirs sont bons, Ernest était un piètre orateur et je sais que ce traité est en partie inspiré de ma faconde lorsqu'il assistait à mes conférences...


Laissez moi vous donner quelques conseils. Vous me remercierez plus tard.

Une bonne voix sera toujours pour l'orateur, une des armes les plus essentielles et un des dons les plus heureux qu'il puisse posséder. L'orateur qui ne sait pas varier les effets, les intonations de sa voix prive sa parole d'une des plus grandes et des plus indispensables ressource de l'éloquence. De même s'il prononce mal, il arrivera fatalement à lasser son auditoire. Il faut ar-ti-cu-ler, voilà le secret de la réussite ! On devra aussi prendre garde aux défauts de prononciation qui tiennent à la paresse, à l'habitude, à la mode ou au terroir et je pense en particulier à " l'assen provenssale " qui décrédibilise quelquefois son détenteur.

Eviter d'altérer votre voix par la prise du tabac. La poudre de tabac qui est emmagasinée dans les cornets nasaux irrite, enflamme la muqueuse et par suite de cette altération, la voix prend un son aussi caractéristique que désagréable. La pratique de fumer du tabac étant maintenant proscrite, nous n'y ferons plus référence mais il parait que c'était mauvais pour la santé !


Comment doit-on préparer un discours ? Beaucoup d'orateurs, et je suis de ceux-là, ont l'habitude de l'écrire entièrement et ensuite de le réciter ou de le lire. C'est une solution. Le mieux est de l'apprendre par cœur et c'est ce que je conseille aux hommes politiques de tout bord qui me demandent des allocutions avant un passage à la télévision. Étant un spécialiste de la verbomanie, affection bénigne dont le caractère principal est un entraînement irrésistible à discourir de tout et n'importe quoi en ayant quelques notions vagues, impersonnelles et souvent empruntées sur un sujet mal assimilé, mes déclarations sont recherchées par les gens qui n'ont rien à dire mais qui le disent bien…

Un dernier point de détail mais qui a son importance. Comment s'habiller avant de parler en société ? Quelque inconvénient que puisse offrir la toge, je la préfère toujours au costume. Le geste se fait plus ample, la cage thoracique est libérée et si peu que vous choisissiez un joli tissu, votre auditoire ne sera pas indifférent au charme de votre tenue. De plus, la posture debout que je vous conseille pour faire l'allocution va affiner votre gracile silhouette, c'est sûr.

Vous voila donc prêts pour affronter un auditoire, chers amis. Prenez l'habitude néanmoins de jeter un coup d'œil vif et régulier à votre public. S'il porte un regard sur sa montre c'est que la péroraison ne doit pas tarder. S'il l'a porte à son oreille pour vérifier si elle ne s'est pas arrêtée, c'est que vous avez dépassé le temps qui vous était imparti…

Ce que je ne ferai pas. Philippe Gandillet.


LEGOUVÉ (Ernest). L'art de la lecture. Paris, Hetzel, Bibliothèque d'éducation et de récréation, 1897. Petit in8, demi-chagrin marron, dos à 4 nerfs, page de titre conservée. 304p. À l'usage de l'enseignement supérieur. Ouvrage adopté par le Ministère de l'Instruction publique pour les bibliothèques scolaires & par la Ville de Paris pour les distributions de prix. Gravures in texte & hors texte. Excellent état. 28 € + port

3 commentaires:

Jeanmichel a dit…

J'achoppe, cher grand homme, sur quelques unes de vos assertions.
Ca fait belle lurette qu'on sait qu'un texte appris par coeur conduit, lorsqu'on le récite, à des automatismes qui ne supportent pas l'interruption (larsen d'un micro, question impromptue d'un auditeur qui ne sommeille pas, etc.) et que rien ne vaut la promenade dans le discours comme on déambulerait dans un bâtiment que l'on connaît où chaque pièce représente un élément de l'argumentaire. Jésus n'était pas né que Quintilien l'enseignait déjà.

Une voix de rogomme peut captiver l'auditoire en l'effrayant un peu.

L'eau ferrugineuse façon Bourvil (avec son fer à dix sous) peut être utile pour marquer les esprits et rendre inoubliable la prestation, à défaut de son contenu.

Anonyme a dit…

Parler sans réciter un texte mais en suivant simplement un plan nécessite que l'on connaisse bien son sujet. Des lors et vous avez raison Jean-Michel, mes conseils peuvent être inutiles si l'enthousiasme et la spontanéité priment.

C'est ce qu'a développé avec brio notre cher Legouvé. Le "par coeur" rassure surtout les personnes ayant tendance au trac. Je conseille d'ailleurs à l'orateur de se désaltérer pendant son discours en utilisant un breuvage euphorisant de type " St Emilion" , sans aller jusqu'aux débordements de notre ineffable Bourvil bien sûr !

Philippe Gandillet

Pierre a dit…

Cher Philippe,

Sans vouloir vous offenser, l'ouvrage à commenter était sur l'étagère de gauche :

Iulius Caesar, C., C. Iulii Caesaris quae exstant, cum selectis variorum commentariis, quorum plerique novi, opera et studio Arnoldi Montani. Accedunt notitia Galliae et notae auctiores et autographo Iosephi Scaligeri, Lugd. Bat., ex officina Adriani Wyngaerden, 1651; X, 864, XXIV pp.; in-8° (19 cm).

Comment je vais faire pour présenter cette semaine un tel ouvrage en latin sans vos lumières ? Pierre