mardi 29 novembre 2011

Le vray Antiphonaire Bellettrien: De profondis morpionibus…

C'est un ouvrage peu banal et inclassable que je vous présente aujourd'hui. D'abord par l'histoire de sa maison d'édition et parce que c'est un antiphonaire un peu spécial… Parlons en premier lieu de l'éditeur : Il a été édité par une société de gens de belles-lettres (d'où le terme de Bellettrien) dont l'origine se perd dans l'histoire de la Suisse romande et en particulier dans sa période tourmentée du début du XIXe siècle.


Belles-Lettres est une société littéraire issue d'un mouvement étudiant. C'est cet esprit bellettrien qui souffle encore depuis deux siècles car cette société d'étudiant existe encore… Arts, lettres, théâtre, musique, politique, journalisme, l'esprit de Belles-Lettres a soufflé partout. L'écrivain Philippe Monnier estimait que ce qui en constituait le fond, c'était la gaîté comme antidote à la méchanceté et à la bêtise, la fantaisie « avec un grain de caprice par la tête ». On peut y relever aussi un goût certain pour la dérision et, qualité plus rare, l'autodérision.


Affranchie de toute obédience politique, Belles-Lettres, si l'on en croit l'historien Olivier Meuwly, est donc une société inclassable. On peut y être communiste (André Muret), radical (Georges-André Chevallaz), gauchiste alternatif (Gaston Cherpillod), libéral, n'importe quoi, aucune importance ! Depuis 1982, on peut même y être femme, avec ou sans opinion. N'étaient-ce les couleurs dont elle se dote en 1846[ rouge et vert ], Belles-Lettres n'a ni emblème ni domaine établi. Pour éviter sa disparition, la société, en 1989, promulgue une constitution bellettrienne qui mentionne que la dissolution de la société est impossible, sauf circonstances extraordinaires et surnaturelles ! J'aime…


Revenons à l'ouvrage : Un des pans délaissé de l'édition semblait être la chanson étudiante. Belles-Lettres s'est emparé de ce thème avec tout le sérieux qu'on prête aux suisses et avec toute la gouaille qu'on prête aux étudiants. D'augustes censeurs estimeront sans doute qu'une telle œuvre ne méritait pas tant d'efforts et qu'il eût mieux valu les affecter à des buts plus innocents et plus aseptiques…


D'autres moins prudes, et je pense ici aux gaulois bibliophiles qui nous lisent, objecteront que la chanson étudiante se doit de braver l'écrit. Par l'excès même de leur obscénité, par leur volonté de rompre sciemment avec l'honnêteté morale, par le mépris des conventions, la chanson étudiante s'écarte de la pornographie pour créer à elle seule un genre littéraire. On n'est pas obligé d'aimer mais on ne peut ignorer…


De tels ouvrages permettent à la chanson gauloise, de tradition orale, de traverser le temps et de s'établir à part entière dans le patrimoine littéraire. Les Trois orfèvres, proviennent en droite ligne du siècle de Villon et on doit à La Fontaine et Ronsart d'avoir enrichi le genre :
Je te salue, ô merveilleuse fente
Qui vivement entre ces flancs reluis…


De toute façon, la chanson étudiante n'a pas le monopole de la verdeur ! Cet ouvrage à petit tirage ravira le bibliophile. Présenté en feuillets non coupés, il permettra à son propriétaire d'envisager de le recouvrir d'une peau douce et satinée… Des illustrations ? Oui mais à peine vulgaires. On s'attendait à pire… Pierre


COLLECTIF. Le vray Antiphonaire Bellettrien. A l'enseigne du morpion rouge et vert, Thélème, 1959. Sous feuillets et chemises. Format in-4°. Edition originale. 288 pages. Bon état. 80 € + port

7 commentaires:

Textor a dit…

...
Et allons en vendange
Les raisins sont mûrs
Et allons en vendange
Les raisins sont beaux.
Brindezingue, la faridondaine
Brindezingue, la faridondon.
J'ai rencontré Marie-Suzon
Brindezingue, la faridondon
J'la fis asseoir sur le gazon
En m'asseyant, je vis son c ...
Brindezingue, la faridondaine
Brindezingue, la faridondon.
Il était noir comm'du charbon
Et tout couvert de morpions
Brindezingue, la faridondaine
Brindezingue, la faridondon.
Y en avait cinq cent millions
Qui défilaient par escadrons
Comm'les soldats d'Napoléon
Et moi, comme un foutu cochon
J'ai baisé la Marie-Suzon
Brindezingue, la faridondaine
Brindezingue, la faridondon.

Nadia a dit…

Lire Textor (qui au demeurant n'est pas hors sujet du tout) au moment où j'allais prendre mon petit déjeuner va me réveiller illico ! que de poésie !

Pierre a dit…

C'est comme Wagner au petit déjeuner, ça surprend ! On est loin de la pornographie, il faut l'avouer. Je dirais même mieux : ça nous en éloigne ;-)) Pierre

Anonyme a dit…

Ce n'est en effet absolument pas de la pornographie, tout le monde s'accorde à le penser. C'est vif et enlevé, très imagé. Comme Alexandre on ne cherche pas à délier en douceur, on tranche tous les noeuds, et pas que les gordiens.
Tout ça porte à la franche rigolade ; En rendant vulgaire le vulgaire, il est ennobli. C'est Zézette dans "Le père Noël est une ordure" qui s'exclame "Moi aussi je t'encule, gros dégueulasse !" (J'ai le droit de le dire, ça appartient à la littérature classique).
La seule fausse note, c'est ce "con" qu'on n'ose écrire, et ces trois points malencontreux orientent cette chanson vers la pornographie en en donnant une fausse image de texte imprononçable.
Bellettrien, avec deux "t", pour ne pas changer la prononciation.

Jean-Michel

Pierre a dit…

Merci pour ce commentaire bellettrien, Jean-Michel. Pierre

Anonyme a dit…

Chaude ambiance, ici.
Bien à vous,
Sandrine

Anonyme a dit…

Pierre m'avait tendu une perche qu'il fallait saisir au vol, ce n'est pas si souvent qu'on peut la placer en société celle-là !
Désolé pour celles et ceux qui prenaient leur petit-déjeuner...
Textor