lundi 28 novembre 2011

Causerie du lundi de Philippe Gandillet. Valeur objective du prix du livre ancien. Enfin un barème !

C'est une tradition charmante, qui s'est établie avec le temps, de trouver dans la boite aux lettres de la librairie de Pierre, le lundi matin, une correspondance faite de demandes d'éclaircissements, d'avis éclairés, de conseils judicieux et d'aides en tout genre. Il faut préciser que je ne réponds pas systématiquement à ces courriers car je ne désire pas que l'on puisse croire que je suis serviable ; j'ai déjà assez de travail comme cela à rédiger les discours de notre président [cela doit rester entre nous, bien sûr]. Mes critères de sélection ne sont absolument pas définis. Ce matin, par exemple, j'avais décidé de ne répondre qu'aux lettres de bruns barbus. C'est un choix ! Le hasard fait bien les choses, j'en ai reçu une. En voici le contenu :


Cher Maître,

Une interrogation philosophique récurrente est régulièrement posée sur les blogs bibliophiles présents sur la toile: " Existe-t-il une valeur objective à un livre ancien ? ". J'ai bien une idée de réponse mais votre avis m'intéresse. Pour prix de ce service, j'avais l'intention de vous inviter au restaurant. Dites-moi quand cela est possible. Formule de politesse. C*****


Le problème posé par le commerce des livres anciens n'est pas nouveau et c'est un membre fondateur de notre assemblée, Montesquieu, qui écrivait déjà à son époque : " L'effet naturel du commerce des livres est de porter à la paix. Deux professionnels qui négocient ensemble se rendent réciproquement dépendants : Si l'un a intérêt d'acheter, l'autre a intérêt de vendre, et toutes les unions sont fondées sur des besoins mutuels. Mais, si l'esprit de commerce unit les professionnels, il n'unit pas de même les rapports entre professionnels et particuliers. L'esprit de ce commerce suppose un certain sentiment de justice exacte, opposé d'un côté au brigandage, et de l'autre à ces vertus morales qui font qu'on ne discute pas toujours ses intérêts avec rigidité, et qu'on peut les négliger pour ceux des autres."


On voit donc que de tout temps, il a été difficile de se prononcer avec objectivité sur la valeur financière d'un ouvrage. Le point de départ de ce questionnement s'appuie sur le problème de l’humanisme marchand opposé au mercantilisme et au libéralisme républicain. S'il est normal que le marchand défende son rôle et son image, on peut néanmoins lui proposer un carcan qui va l'aider à déterminer un prix objectif pour ses ouvrages et des règles morales et économiques qui doivent le guider dans ses évaluations. C'est ce que je vais faire de ce pas !


Cela est d'autant plus facile qu'en matière de livres, il est souvent possible de distinguer le texte, la création artistique dirons-nous, et les différentes techniques utilisées pour le présenter. Grâce à l'outil d’évaluation que je vais vous proposer, vous pourrez estimer la valeur de vos ouvrages en utilisant l'échelle de prix que je propose. Plus besoin de saisir le nom de l'écrivain, le nom de l'éditeur, le nom de l'illustrateur sur vos moteurs de recherche. Plus besoin de surfer sur Ebay, dont je ne citerai pas le nom. Plus aucune utilité à l'ensemble des sites qui fournissent les résultats des enchères dans les salles des ventes du monde entier. Vous pouvez maintenant, en plein accord avec le vendeur, déterminer ensemble le montant du chèque que vous devez établir et ceci simplement en respectant le barème que je vous soumets !


Nous pourrions l'appeler le Barème Gandillet : Il s'agit d'instaurer un système de prix unique du livre ancien : Chaque livre a un prix fixé par Philippe Gandillet et ce prix s'impose à tous les libraires. Il en va de même pour la marge du professionnel. Devant le risque de pratiques illégales et la difficulté d'obtenir par des actions civiles leur cessation, je propose que le gouvernement prenne, d'ailleurs, un décret instaurant des sanctions pénales en cas d'infraction à ce barème. Primo, ce prix unique doit permettre l'égalité des citoyens devant le livre ancien qui sera vendu au même prix sur tout le territoire national et donc, le maintien d'un réseau décentralisé de boutiques, notamment dans les zones défavorisées du sud de la France, le long du Rhône, entre Avignon et Arles… Deusio, le prix unique dispensera l'acheteur de comparer les prix d'un libraire à l'autre ; il gagnera du temps sur la lecture… Tertio, et j'en terminerais par ceci, le prix unique du livre ancien permettra à ces professionnels de vivre en parfaire harmonie et de partager des moments de franche camaraderie autour d'une bonne table.

Barème du livre ancien :

Le livre broché : Tous les formats in-8° seront affichés à 10 €. Le prix des formats supérieurs sera multiplié par la taille de la feuille (in-4° à 20 € et ainsi de suite). Le même principe s'appliquera aux formats inférieurs. Tant pis pour les minuscules…
Le livre relié : Tous les formats in-8° en cartonnage seront affichés à 20 €. Votre prix variera en fonction de la qualité du matériau utilisé. Plus la qualité de votre couvrure est élevée plus vous estimerez son prix important. Voici le gradient à connaître : cartonnage - percaline - basane - vélin - chagrin - veau - maroquin. Le coefficient multiplicateur est de 2 dans ce gradient.
L'état du livre : Tous les livres à la vente doivent être en bon état. Un contrôle technique fait par des relieurs ou des restaurateurs agrées sera obligatoire. Tout ouvrage qui ne répondra pas aux critères de qualité déterminés par la profession sera irrémédiablement détruit (ou restauré). Un ouvrage en état exceptionnel sera vendu avec un coefficient multiplicateur de 2.


Intérêt du texte : Tout ouvrage édité sera, par essence, considéré comme intéressant. Il vous sera donc impossible de brader vos recueils de théologie au mètre linaire…
Présence de gravure : La présence de gravures dans un livre va modifier son prix. Comme le nombre et la qualité de ces illustrations diffèrent selon les ouvrages, on posera comme principe injuste mais équitable que celles en noir et blanc doublent le prix de l'ouvrage et celles en couleur le quadruplent…
Problème de la langue : Les ouvrages en langue véhiculaire seront la référence. Les ouvrages en langue morte ou vernaculaire seront taxés à un taux fixé par un comité de 34 membres élus démocratiquement.


Il faudra l'admettre mais l'allure physique de votre libraire va devenir un facteur qui pourra intervenir dans le prix du livre. Ainsi, les libraires à lunettes, qui ont investi dans cet outil, doivent en tirer un légitime bénéfice. C'est pourquoi, ils pourront commercialiser leurs ouvrages avec une marge supérieure à l'ensemble de la profession (65 % de marge au lieu des 50 % accordés de façon classique).


Qu’on se le dise, l’utilisation de ce nouveau barème est une chance pour une profession à la recherche de transparence dans son commerce ! Faites vos calculs… J'ai mis quelques ouvrages en exemple pour tester vos connaissances. Votre dévoué. Philippe Gandillet

8 commentaires:

calamar a dit…

le maroquin est à 1280 euros, donc, si j'ai bien suivi. Merci Philippe G. pour ce barème pratique !
Pour le restaurant, c'est quand vos nombreuses obligations vous le permettront, et par exemple à l'Auberge des Chasseurs. Vous trouverez, j'en suis sûr.

Anonyme a dit…

En in-8°. Plus abordable en in-12°, évidemment ;-)) Ph Gandillet

Anonyme a dit…

En fait, je viens de vérifier : Le coefficient multiplicateur était de 1,7379542478534. Il suffit d'avoir une calculette sur soi pour ajuster au centime près. Ph Gandillet

Anonyme a dit…

A l'auberge des chasseurs, sur la place qui rejoint la mairie et l'église. C'est à peu près ça ?

calamar a dit…

à côté de l'étang, oui.
La correction de Philippe Gandillet est importante... passer de 2 à 1,7379542478534, ce n'est pas anodin, et ça peut mettre un bilan en déroute !

Pierre a dit…

Il faut manifestement affiner le barème ;-)) Pierre

PS : Le Sieur Barrême qui a donné son nom à une échelle de valeur est un illustre Tarasconnais. Arithméticien, il est surtout connu pour son Livre des Comptes Faits ou tarif général des monnaies très utilisé par les commerçants de l'époque.

Anonyme a dit…

Auriez vous le même barême pour les relieurs et les restaurateurs?
Cela simplifierait grandement les séances de négociations dans les échoppes.
S.

Pierre a dit…

Le barème ne peut être adapté aux relieurs mais la suggestion de procéder à des contrôles techniques réguliers sur les ouvrages anciens devrait vous ravir ;-)) Pierre