lundi 19 avril 2010

Causerie de Philippe Gandillet. L'exotisme de Pierre Loti.


Est-ce le fait que Pierre, en ayant évoqué Colette, ait parlé de son amour pour les chats ?

Toujours est-il que, ce matin, en arrivant à la librairie de notre infortuné boutiquier, je plongeais aussitôt mon regard sur ses rayonnages à la recherche d'ouvrages d'un autre amoureux des chats : Pierre Loti.

Je dois reconnaître que plus d'une fois, Loti, m'a vraiment irrité lors de nos séances à l'Institut. Je le revois encore, chaque joue recouverte d'une écuelle de rouge, sous les yeux une livre de khôl, et ses ridicules bottines à talon compensé qui le faisaient marcher sur les pointes à la façon des mannequins désarticulés qui paradent sur les rings de nos couturiers inspirés. Pas maquillé. Fardé ! Croyant lutter contre les affres de l'age, il s'était momifié avant l'heure… " La vieillesse est un gouffre " disait un célèbre général. Loti en avait touché le fond bien avant la mort.

Et pourtant quel talent, quel plume… Anatole France ne s'y était pas trompé qui l'avait aidé, comme moi, à rentrer au sein de notre illustre assemblée. Il savait d'ailleurs se montrer quelquefois plus discret, comme lors de son discours de réception à l'Académie qui le rendit immortel…


Pierre Loti, Juilen Viaud de son vrai nom, est né en 1850. Élève médiocre plus attiré par les mathématiques que par le grec ou le latin, il entreprit des études d'ingénieur et délaissa la lecture ce qui fera d'ailleurs dire de lui, plus tard, qu'il était un " sublime illettré ". Un frère adulé, mort au cours d'un périple dans la " Royale " , des parents confrontés à une conjoncture financière détestable et un ouvrage ancien évoquant les brises du sud-est décideront de sa future vocation d'officier de marine. Loti est, sera et restera dans nos esprits, un marin avide d'exotisme !

Nous nous réunissions quelquefois à Paris (entre bretons, c'est la tradition) et moi qui suis d'une forte stature, je m'amusais à me mettre près de lui. Sa complexion fluette et sa petite taille en imposait pourtant. Adepte des exercices musculaires il avait même, m'a-t-il dit, participé à des numéros de trapèze et de voltige dans un cirque. Loti en tirait une légitime fierté et à l'Académie circulait, il y a encore peu de temps, une photographie le montrant nu sous la coupole.


A parler de lui ainsi, nous en oublierions presque qu'il fut un écrivain. Ses héroïnes, car il vouait à l'amour un culte insoupçonné furent marquées par l'exotisme et le chagrin. Aziyadé la kadine circassienne, Rarahu la petite polynésienne, Cora la mulâtresse du Sénégal, Suleima la prostituée algérienne, Pasquala la bergère du Monténégro et Mme Chrysanthème la mousmé japonaise furent autant d'héroïnes inspirées par ses propres amours. Elles lui apportèrent la renommée et l'argent qui lui permirent de faire construire, à Rochefort, la demeure la plus incroyable que j'aie jamais visité. Âmes sensibles s'abstenir :

Une haute salle moyenâgeuse vous accueille d'abord, si mes souvenirs sont bons, qui se prolonge par une pagode japonisante terminée par une salle chinoise. Vient ensuite une mosquée bâtie dans le plus pur style oriental dont l'intérieur est orné de tissus, de draperie, de tapis orientaux et de mille petite choses qui font de ce lieu un endroit magique. Le visiteur ne peut qu'être transporté dans l’univers étrange et envoûtant de l’écrivain, qui fascine toujours autant, plus d’un siècle après sa création.


Je ne m'étendrai pas sur l'éclectisme sentimental de Loti. A trop fixer son attention sur ses incartades, on en oublierait presque l'écrivain. Après avoir écrit de nombreux romans, rempli près de deux cents cahiers de mémoires, il leva sa plume sur ces mots " Aujourd'hui, 28 avril 1918 et en prévision de la mort, j'arrête définitivement le journal de ma vie commencé depuis quarante cinq ans. Il ne m'intéresse plus ". Pierre Loti est mort en 1923 et eût comme Colette - la boucle est bouclée - des funérailles nationales.

Un détail. Pierre Loti était-il bibliophile ? En tout cas, il ne facilitait pas le travail des bibliographes ! Il arrachait les dédicaces des œuvres que ses auteurs contemporains lui offraient avant d'expédier les livres à l'hôpital de la ville. N'hésitez pas à indiquer à Pierre les catalogues des ouvrages de sa bibliothèque qui ont pu être mis en vente après sa mort, je sais qu'il est friand de ce type d'information. Je me suis permis de vous proposer quelques ouvrages de Pierre Loti à la vente. Pierre qui m'avait préparé quelques ouvrages sur " Le train dans la littérature " va encore pester en arguant que je ne suis pas en phase avec notre époque.

Votre dévoué. Philippe Gandillet


LOTI (Pierre). Madame Chrysanthème. Jean Landru, Chamonix-Mont-Blanc. 1950 - In-8, 249pp, broché, couverture imprimée illustrée rempliée crème. Frontispice et 7 planches hors-texte, en couleurs, de M.A. Roberts. Bandeaux, lettres ornées et culs-de-lampe tirés en bistre. Edition numérotée sur alfa. Collection "Le chef d'oeuvre". Ouvrage non coupé, comme neuf. 45 € + port

LOTI (Pierre). Les désenchantées – Matelot. Paris, édition Pierre Lafitte. Pierre Lafitte, 1923. 276 pp. in-4, Reliure d'éditeur vert bouteille, dos lisse avec un médaillon sur le premier plat. Illustre par MUENIER, ORAZI, LORENZI, AUBERTIN, FOUQUERAY, LALAU. Bel Ex-libris. Vendu

LOTI (Pierre). Le mariage de Loti. Paris, Calmann-Levy. 1928. Belle reliure demi-chagrin, dos à quatre nerfs, motifs et pièce de titre en lettres dorées. 29 € + port

4 commentaires:

Jeanmichel a dit…

Quelle coïncidence !
Ayant pu errer quelque temps dans les rues de Saint-Louis du Sénégal, où se trouve la maison qu'habita Pierre Loti, je comptais justement demander à Pierre s'il ne possédait pas un exemplaire du "Roman d'un spahi" pour tenter de retrouver par la lecture l'atmosphère particulière de cette ville.

Pierre a dit…

J'explore dès demain ma caverne aux trésors, pour retrouver l'exemplaire recherché par notre grand explorateur. Peut-être ce voyage sera-t-il l'occasion de nous faire un billet ? Pierre

Jeanmichel a dit…

Un billet ? En effet l'idée est intéressante.
Ce pays paraît pauvre en librairies, peut-être y a-t-il un créneau ?
Je suis passé devant cent dibiteries sans voir une seule librairie, mais j'ai quand même déniché un "Père Goriot" bien poussiéreux coincé entre une bouteille de shampooing et un paquet de café dans une épicerie "de luxe", c'est-à-dire n'appartenant pas au groupe "Tigo".

Pierre a dit…

Voilà le point de départ du billet ! De mon côté, je mettrai en vente "le roman d'un Spahi" à un tarif prohibitif qui vous en assurera l'exclusivité ;-)) Pierre