lundi 15 février 2010

Causerie du lundi de Philippe Gandillet . L'amateur de simples livres...

« Un seul être vous manque, et tout est dépeuplé. » avait dit Lamartine. « Un seul être arrive et tout se repeuple » ai-je dit à Pierre, sur le ton de la boutade, lorsqu’il m’a laissé les clefs de sa librairie, en cette fin de semaine.

Et comme il m’a laissé libre choix de ma présentation, j’ai pensé qu’un beau texte historique vous conviendrait mieux que ses choix discutables où parure et rareté prennent l’ascendant sur la lecture lorsqu’il s’agit de provoquer l’intérêt du client potentiel. A cet égard, j’ai suivi avec beaucoup d’attention l’interview philosophique et l’introspection académique proposés par des sites bibliophiles amis, ces derniers temps, car j’ai reçu de nombreuses lettres d’entres-vous qui m’ont dit s’être sentis exclus de cette assemblée en raison de ses exigences. C’est vrai que les qualités requises pour appartenir à cet honorable cénacle bibliophile s’apparentent à l’excellence, voire à l’utopie quelquefois.


Ma causerie est donc faites pour vous, vous qui n’avez jamais réussi à réunir une bibliothèque cohérente, vous qui achetez par nécessité et sous la contrainte d’un budget familial étisique des éditions populaires tout en rêvant aux catalogues des librairies de luxe, vous qui recherchez à travers de termes simples mais choisis un juste panégyrique des auteurs oubliés que vous souhaiteriez voir sortir du néant pour accéder au panthéon de notre patrimoine littéraire, vous qui cachez vos incomplets de façon pudique où qui les glorifiez pour en cautionner l’achat de circonstance, vous qui ne possédez qu’un vernis de culture par la faute d’une mémoire défaillante, vous qui confondez le triste chagrin et l’exotique maroquin et qui n’osez l’avouer, vous qui hésitez à me laisser d’élogieux commentaires sur ce blogue alors que vous en mourrez d’envie parce que votre style, vos mots, vos opinions ne sont pas celles imposées par ce cénacle et pour terminer, vous qui pensez , en ce moment, que si je suis entrain de me lancer dans une grande démonstration de démagogie populiste à seule fin d’attirer vers Pierre un réseau de clients bienveillants qui puisse lui assurer une juste subsistance. .. Ai-je oublié quelqu’un ?

Voici donc offert à vos yeux inondés par les larmes de la reconnaissance l’exemple même de l’ouvrage sans charme extérieur réel qui peut prendre place dans votre bibliothèque. L’Histoire du Roi Henri-Le-Grand, suivie d’un recueil de quelques belles actions et paroles mémorables de ce prince par Messire Hardouin de Péréfixe, Evêque de Rodez, ci-devant précepteur du Roi, nouvelle édition revue et corrigée pour l’usage de la jeunesse de 1834 est un traité complaisant mais non pas sans qualité. Notre cher collègue, Paul-Philippe Hardouin de Péréfixe (1605-1670) qui fut élu à l'Académie Française en 1654 a pu s’enorgueillir du succès de son Histoire du Roi Henri IV qui connut de nombreuses rééditions jusqu’à nos jours. Elle est proposée ici pour la somme de 30 € port compris et ne possède, je le garantis, aucun des attraits qui puisse vraiment intéresser un bibliophile.


Vous constaterez en regardant les quelques photos associées à cette chronique que l’ouvrage présente des défauts qui sont loin d’être minimes, que la couvrure ne peut être attribuée à aucun grand relieur, que la provenance de l’ex-libris est quelconque, que les défauts d’usages sont notoires, que la coiffe supérieure qu’on peut qualifier de frottée est en fait totalement absente et que le cuir d’un coin du premier plat n’a pas disparu, doux euphémisme, sous l’effet du temps qui passe mais sous l’action conjuguée d’un choc violent et d’un mustélidé bibliophile. De même, la mise en scène photographique se veut sans séduction et devrait éloigner l’esthète bibliophile qui sommeille en vous.


J’ai mis un point d’honneur à ne pas vous présenter la célèbre contrefaçon de l’édition originale éditée par Louis et Daniel Elzevier à Amsterdam en 1661, maison dont l’emblème fut si célébrée par Charles Nodier et qui fit des livres de ces imprimeurs des objets de collection aux prix inestimables à une époque. Je n’ai pas plus présenté l’édition originale de 1661 où la page 194 mentionne un adjectif qualificatif à « guerrier » qui n’est plus présent dans la deuxième impression originale… Non ! Pas de ça chez moi ! Pas plus que cette même édition dans un état irréprochable et dans une reliure plein veau aux Armes d’un seigneur de belle noblesse, reliure qui aurait échappée à la mode du maroquin signé de l’époque… Et d’ailleurs, un pareil exemplaire existe-t-il encore à la vente aujourd’hui ? Je n’ose imaginer le prix que devrait consentir un bibliophile pour se l’approprier.

Non ! L’exemplaire que je propose est très commun mais je garantis un texte complet de ses mots, de ses phrases et de tout son illustre contenu. Je vous en livre quelques passages pleins de bon sens, de pertinence et d’érudition.

Votre dévoué et très démagogue. Philippe Gandillet.


« Sitôt qu’il fut né, le grand-père l’emporta en sa chambre. Il frotta ses petites lèvres d’une gousse d’ail et lui fit sucer une goutte de vin dans sa coupe d’or, afin de lui rendre le tempérament plus mâle et plus vigoureux… »
« Depuis cela, comme les vices qui se contractent à l’entrée de la jeunesse, accompagnent ordinairement les hommes jusqu’au tombeau, la passion des femmes fut le faible et le penchant de notre Henri… »
« Sur cela commença l’année 1598 que tous les astrologues judiciaires avaient dans leurs pronostics appelée la merveilleuse année. En France la terre trembla tout du long de la rivière de Loire et en Normandie aussi… »
« La guerre avait rompu le commerce, réduit les villes en village, les villages en masures et les terres en friches ; et néanmoins les receveurs contraignaient les paysans de payer les charges pour les fruits qu’ils n’avaient pas cueillis… »
« Quelques uns ont voulu dire qu’il n’aimait point les hommes de lettres ; mais ils se sont trompés. Il est certain qu’il n’était pas extrêmement savant mais il savait un peu de latin… »

5 commentaires:

Librairie L'amour qui bouquine Livres Rares | Rare Books a dit…

C'est du Grand Philippe Gandillet !! Admirable de style comme de fond.

B.

Jeanmichel a dit…

Il se dit que c'est à la demande de Louis XIV (Le Grand également), dont il fut effectivement le précepteur, que Péréfixe focalisa toute son attention sur Henri IV, alors que son but initial était d'écrire un livre d'Histoire de la France plus général.
Il est dommage que Goscinny n'ait pas utilisé son nom pour en faire celui d'une sorte de maître d'école. C'eût été un jeu de mots à double entrée.

Pierre a dit…

Je découvre, médusé, les photographies qui accompagnent l'ouvrage. Je ne crois pas qu'on trouve aussi médiocre présentation, même sur EBay !

Je me demande si, pour cette occasion, notre chroniqueur du lundi n'aurait pas essayé de nous faire passer des vessies pour des lanternes. Sa maladresse est indubitablement feinte. Il serait peut-être temps qu'il fasse son "coming-out of the library" et avoue à tous qu'il est bibliophile...

Ya pas de honte à ça ! Pierre

Pierre a dit…

Hardouin père&fix indique en effet dans sa préface que c'est en raison de l'intérêt porté par Louis XIV à son aïeul qu'il a tronçonné une étude complète de l'histoire de France pour ne présenter que celle de Henri IV.

Ensuite... L'académie, les honneurs, les diners en ville et le projet initial capote. Je vois Anne, la fille de René Goscinny quelquefois. Je ne manquerai pas de soumettre ce nouveau patronyme pour un futur scénario. Pierre

Textor a dit…

Messieurs, j'attire votre attention sur la provenance qui n'a rien de quelconque de cet ouvrage.
Il a appartenu à la famille AGUILLON D'AILLAUD DE CASENEUVE, de noble extraction et d'illustre mémoire, connue à Aix (agua calda) Bouches du Rhone (Bocca Rhodania flumens)et les bibliophiles avertis ont bien compris que les santons marins étaient là pour souligner cette provenance.
Ave Textorum