mercredi 30 décembre 2009

La Bibliothèque de Pinhas S, Bey des M.


Je reçois, suite ma demande insistante, l'article d'un ami Havrais, capitaine de Frégate dans la Royale, que j'avais perdu de vue jusqu'à ce que ma fille ainée qui finit son école de commerce en cette charmante "ville d'eau" nous fasse nous retrouver. Sa bibliothèque a bien changé depuis nos années étudiantes et je crois qu'il a, mieux que moi, compris l'essence de la bibliophilie. Ses ouvrages ne vous laisseront pas indifférents.

" Il m'est tout aussi difficile de parler de ma bibliothèque que de vous parler de moi. Vous le savez, la bibliothèque c'est l'homme.

Le Rousseau, avec lequel tout à commencé
Si ma bibliothèque me ressemble terriblement, c'est vrai, elle est aussi le reflet de ma bibliophilie: protéiforme, exigeante (mais pas toujours) parfois déraisonnable, toujours inassouvie, avec un minuscule zeste de vanité (pour reprendre les mots de Lacretelle sur la bibliophilie), mais aussi curieuse, fruit de mon appétit que chacun sait féroce, humaniste et surtout, dans son immense majorité portée par les textes, ou au moins les contenus... Bref une vraie petite Société des Nations, ne vous en déplaise, cousin. Aussi, je suis incapable de la décrire à vos lecteurs... ou alors partons tous les deux pour la Villa Amalia avec un divan confortable sous le bras, quelques cahiers, de bonnes bouteilles et beaucoup de temps. Je tourne et je retourne votre proposition dans ma tête depuis 1 mois et demi en tentant de trouver la bonne approche. Le plus simple serait de présenter quelques livres, mais là encore, il faut choisir. Compliqué. Quels critères retenir? Je n'ai évidemment pas de livre "préféré", et chaque livre produit sur moi un effet différent : Tendresse, volupté, amusement, fierté, nostalgie, émerveillement, etc. J'ai noué avec tous et chacun une relation personnelle, de celles qui font qu'à chaque instant, un bibliophile sait exactement où se trouve chaque ouvrage de sa bibliothèque et se sent capable d'en parler longuement. En parcourant les rayonnages pour procéder à la cruelle sélection demandée, je vois en tout cas un point commun à ces ouvrages rassemblés là en une quinzaine d'années : Le texte... même si mon latin est rouillé et que je n'ai plus réellement la possibilité de les lire tous. Mais est-il nécessaire de parler latin pour apprécier les gravures d'un Lycosthène? Avec le temps, j'ai ajouté d'autres critères: le fait que l'ouvrage (le texte et les gravures) soit complet et en bon état, puis l'état de la reliure. Si je les ai tous lus? Non, mais que serait une belle cave si toutes les bouteilles avaient déjà été ouvertes et vidées ?
Mais alors pourquoi en choisir un plutôt qu'un autre? Comment? J'ai finalement opté pour une invitation à remonter le chemin de ma bibliophilie, de son point de départ ou presque, jusqu'à aujourd'hui, ou presque. Je lis énormément et c'est une visite au marché du livre ancien du parc Georges Brassens, à Paris, alors que j'étais étudiant dans ce si beau pays, qui m'a conduit à faire mes premiers pas en bibliophilie. Un certain nombre de classiques étaient inscrits au programme, dont Rousseau, et j'ai découvert sur le marché que si une édition contemporaine ne valait que quelques francs; pour trente francs (je vous parle d'un temps...), je pouvais repartir dans mon île avec une édition 18ème en format Cazin. Mon choix fût vite fait et le virus me prît sans que je ne m'en rende compte. Pour paraphraser ou presque un libraire bien connu "je n'ai pas senti ce jour-là que le livre ancien tiendrait une place essentielle dans mon existence". Et pourtant. A partir de cet achat, je me suis rendu chaque semaine de ma vie etudiante sur le même marché en essayant de revenir avec un ouvrage ancien. Les textes guidaient mes achats puisque tous ces livres étaient destinés à être lus. Je n'avais hélas aucune formation bibliophilique et si le texte était complet, la reliure était souvent en mauvais état, pour cause de bourse plate... Au fil du temps, j'ai revendu ou offert ces ouvrages, si bien qu'il ne m'en reste plus qu'un, le premier.

Voyage au Canada, par Weld, 3 volumes in-8 en demi veau à coins de l'époque... Peu de vagues, mais des trappeurs, les indiens, le froid, l'aventure...
 Un expert parisien disait que chez les bibliophiles tout est le plus souvent affaire de culture (quand d'autres parlent de cosa mentale), même si c'est assez réducteur : Les médecins achètent des livres de médecine, les gourmands des livres de gastronomie, les corses des livres sur la Corse (je cite de mémoire), tout comme je me suis moi-même laissé aller à acheter les romans sur Céphalonie en édition originale pour y revivre les pérégrinations de mes valeureux cousins.

Classique...
C'est donc finalement assez vrai en ce qui me concerne, la bibliothèque c'est l'homme, l'homme c'est sa culture, et donc la bibliothèque, etc.... et puisque après mes études j'ai passé quelques années en uniforme bleu et casquette blanche sur de grands bateaux gris, ce sont logiquement vers les ouvrages de voyage que mes goûts se sont tournés. J'ai commencé à rassembler des ouvrages du 18ème relatant des voyages sur les mers, ainsi que des ouvrages de marine, qui me rappelaient certainement le bleu des vagues sur cette côte que j'aime tant, là où je plongeais étant plus jeune, devant quelques touristes étonnés. Cette habitude est restée, parce que j'affectionne particulièrement la lecture de ces textes, dans lesquels l'aventure, la vraie, mais aussi la poésie vous guettent encore au coin de chaque vague, vertiges d'un monde qui n'était pas encore totalement connu ou presque.


Oeuvres de Rabelais, 5 volumes in-12, à Amsterdam chez Bordesius, 1711, plein veau de l'époque, 3 figures et une carte en premier tirage.

Littérature et voyages constituent donc depuis longtemps l'ossature de ma bibliothèque, et la plus grande partie de mes achats actuels, même si j'ai avec le temps également développé un goût pour les ouvrages curieux et insolites. Côté littérature, mes études ayant finalement porté quelques fruits, je peux désormais m'offrir des ouvrages dans un meilleur état comme ce Rabelais ou ce Pascal..


En ce qui concerne les livres curieux, leur intérêt peut résider dans le texte et le sujet qu'il aborde, mais aussi dans la façon dont il se présente, voire la reliure, voire les trois. Par exemple:

Démonologie ou Traitté des Démons et Sorciers, et L'Antidémon de Mascon, par Perreaud, à Genève, chez Pierre Aubert, 1653, maroquin postérieur




Et d'ailleurs, quid de la reliure? C'est un art à part et je regrette parfois que certains bibliophiles la considèrent avec mépris. La reliure idéale à mes yeux est un veau glacé du 18ème en état parfait, mais j'apprécie également les réalisations des relieurs de toutes les époques. Mon choix peut parfois se porter sur une reliure parce qu'elle est particulière, même si son texte est sans intérêt, mais cela reste anecdotique et les reliures ne représentent qu'une petite partie de ma bibliothèque, regroupées dans un petit cabinet de curiosité. Cet expert matois aurait donc finalement raison... les livres de chaque bibliophile sont une bonne indication de son itinéraire personnel (et culturel). A quand la vente cataloguée d'un bibliophile dont la description de chaque lot se terminerait par un court paragraphe "voici les raisons pour lesquelles j'ai acquis cet ouvrage, et pourquoi je l'aime"? J'aimerais cela, et nul doute que ces mots résonneraient en chaque amateur. C'est en tout cas quelque chose que je pourrais dire et écrire en prenant chacun de mes livres en main. Bon, vous n'en savez pas beaucoup sur ma bibliothèque, mais un peu plus sur moi, et moi aussi d'ailleurs, après cet exercice d'introspection bibliophilique. Ce n'est pas si mal !Pinhas S., aussi surnommé Bey des M., ou Lord High Life."

4 commentaires:

Textor a dit…

Je me suis retrouvé un peu dans cette description du bibliophile et de sa bibliothèque. Merci Pierre et Pinhas !
Textor

Pierre a dit…

Pinhas est pour moi, avec tout le respect que j'ai pour son parcours, l'exemple même du bibliophile accompli.

De l'érudition sans y paraitre, de beaux livres et de la littérature. J'aime bien son humble Rousseau qui nous rappelle que la valeur que nous donnons à un ouvrage ne se calcule pas en monnaie sonnante et trébuchante mais je dois reconnaitre que son Rabelais et son Pascal doivent être agréables en main...

Oh ! Combien de marins, combien de capitaines
Qui sont partis joyeux pour des courses lointaines
Sont revenus heureux de retrouver les livres
Sans qui, il faut l'admettre, ils ne pourraient pas vivre...

Pierre

Hugues a dit…

Quel plaisir de vous retrouver ici cher Pinhas, et quel honneur de savoir pouvoir se compter au titre de vos amis!

Puisque nous sommes dans la métaphore marine, ce qui n'est jamais pour me déplaire, je me permets d'ajouter quelques mots de l'un de vos proches que j'aime beaucoup:
"Chaque homme est seul et tous se fichent de tous et nos douleurs sont une île déserte."

Bon, heureusement, pour les îles désertes, il y a les livres, donc tous les bibliophiles marins sont sauvés.

H
Pierre: merci de nous permettre de (re)découvrir ces bibliothèques amies.

Anonyme a dit…

Les livres de voyages et les atlas permettent de parcourir 20000 lieues sur les mers en demeurant dans sa librairie.
Le virus du livre se contracte presque toujours d'une manière inattendue pour peu qu'il trouve un terrain favorable. L'animalcule connait de nombreuses mutations qui ne supplantent jamais les précédentes.
Je souhaite au Capitaine, et à tous les lecteurs du Blog, une récolte exceptionnelle en cette année 2010 et pour seule pathologie celle qui nous atteint tous.

René de B l C