Une tradition ancrée dans nos mémoires de lecteurs du 20ème siècle est de considérer que la Bible fait partie des livres de chevet qu'il était fréquent de rencontrer près des oreillers. En fait, pendant des siècles, il aurait paru tout à fait inconvenant de lire couché. Pensez donc ! Méditer sur la Bible, calé contre un bon oreiller bien moelleux ! La lecture étant incompatible avec la notion même de plaisir plusieurs réformes, culturelles et techniques, ont été nécessaires pour que cette lecture joigne enfin l'utile à l'agréable.
Il fallait tout d'abord passer de la lecture à voix haute à la lecture silencieuse. Pour cela, il était indispensable que les textes ne constituent plus un enchainement de caractères sans le moindre espace, mais soient composés de mots bien séparés. Désormais, on n'était plus obligé de les lire à voix haute pour les comprendre. Les épouses d'insomniaques s'en félicitent encore, il faut le dire... Le changement de format fut lui aussi décisif. Comment se plonger dans une espèce de rouleau, (volumen) ailleurs qu'assis à une table ?
Lorsque les livres se présentèrent sous forme de cahiers
assemblés (codex), ils permirent une lecture plus vagabonde. Mais comment
garder sur ses jambes repliées un in-folio de plusieurs kilogrammes sans ressentir
le poids de l'église dans notre vie ? C'est néanmoins, aujourd'hui, l'apparition
des chambres séparées pour les couples qui permit de procurer
à chaque belligérant ces nécessaires instants de tranquillité propices à la
flânerie littéraire et au sommeil réparateur. Le progrès, quoi !
Pour illustrer ces propos badins, je vous propose aujourd'hui
à la vente une des premières éditions in folio de la Bible de Le Maistre de
Saci – cinq kilos quand même ! A lire sur votre table de travail, donc… Isaac-Louis
Le Maistre de Sacy est le frère cadet des premiers reclus de Port-Royal des
Champs, Antoine Le Maistre et M. de Séricourt. Chrétien fervent dès son
enfance, il n’a pas eu à se convertir et s’est naturellement placé sous la
direction spirituelle des guides de sa famille, l’abbé de Saint-Cyran et
Antoine Singlin, son continuateur. En 1649, il devient lui-même prêtre, et est
choisi comme confesseur des moniales de Port-Royal des Champs.
Son sens de la mesure se manifeste aussi bien à
l’occasion des polémiques jansénistes auxquelles il ne prend guère part, que
durant les événements de la Fronde, lorsqu’il calme les ardeurs guerrières des
Messieurs prêts à se battre. Serein et discret, il possède le suprême art
d’amener les âmes à se convertir d’elles-mêmes, comme en témoigne son fameux Entretien
avec Pascal venu le rencontrer aux Champs. Emprisonné à la Bastille de 1666 à 1668, il est l'auteur de cette célèbre
Bible traduite du grec et de l'hébreu, dite "de Sacy " que je propose ici. Les différentes parties parurent d'abord séparément, commençant
par le Nouveau Testament imprimé à Mons en 1667 et aussitôt
interdit par le Pape. Ce n'est qu'en 1696 que cette Bible
dans son entier parut en 16 volumes in-12. D'autres éditions suivirent dont
celle-ci, in-folio, de 1714. La bulle Unigenitus en 1713 prononça la
suppression de plus de 100 propositions du texte original…
A l'ère de l'Internet, la tradition du livre de chevet est-elle encore bien vivante ? Ces textes essentiels qui nourrissent une vie qu'on lit et relit avant de s'endormir ou dans les nuits d'insomnie, ces pages cornées à force d'avoir été tournées sans fin, cela appartient-il à une époque révolue où l'on savait prendre le temps ? La télévision que beaucoup installent dans leur chambre serait-elle donc en passe de remplacer cette délicieuse lecture d'avant les rêves ? Pierre
SACI (Le Maitre de, Louis Isaac). La
Sainte Bible contenant l'Ancien et le Nouveau Testament, Traduite en français
sur la Vulgate. Paris, Guillaume Desprez et Jean
Dessessartz, 1714. Un fort volume
infolio. Reliure plein veau, dos à nerfs, caissons fleuronnés, roulettes
sur les coupes. Excellent état. Vignettes et culs de
lampe . XIV, 1040 pages. Manques aux coiffes, une charnière légèrement
fendue, 2 coins usés. Grande fraicheur intérieure. Vendu
6 commentaires:
Figurez vous que j'ai découvert très récemment (moins d'un an) le plaisir de la lecture au lit. Avant, je regardais la télé... :-)) et je lisais dans la journée dès que j'avais un moment.
La télé demeure maintenant éteinte en dehors du JT, la raréfaction (disparition ?) des bons programmes y ayant participé. Et franchement, rien n'est plus délicieux que se plonger sous la couette, adossé(e) à des oreillers moelleux, pour dévorer un bon bouquin (moins d'un kilo pour moi, merci, j'ai de frêles gambettes).
De mon côté (du lit), je ne m'endors jamais sans lire un peu. J'évite cependant systématiquement les romans à intrigue qui pourraient me tenir en haleine pour me concentrer sur une dizaine d'ouvrages de réflexion ou d'étude posés au pied du lit que je choisis selon mon humeur et qui sont toujours un bon catalyseur au sommeil. J'affectionne aussi particulièrement les recueils de citations classiques qui me permettent de fermer les yeux en faisant semblant de réfléchir... ;-)) Pierre
Un jour Saint Jérôme lisait seul dans sa cellule, l'un des ses frères moines entra, l'observa et sortit fort intrigué parce que les lèvres de Jérôme ne bougeaient pas : la lecture quittait la bouche pour entrer dans l'espace mental.
Il n'est donc pas nécessaire de remuer les lèvres pour lire, pas plus qu'il n'est nécessaire de passer la langue pour écrire.
René
Les espaces entre les caractères dateraient donc du 4eme siècle...
J'aime bien l'idée qu'un intermédiaire entre le livre et le cerveau ait ainsi disparu laissant à la bouche sa fonction essentielle ; la préhension et la dégustation de la nourriture en silence. Pierre
Je suis intéressé. Gardez-moi l'exemplaire. Salutations! Pierre Bouillon.
Le Père Noël n'habite pas en Laponie mais au fin fond du Québec ; tous les canadiens le savent bien ! Il vous suffit donc de l'accompagner dans sa tournée pour retirer l'ouvrage à la boutique, Pierre ;-))
Je le mets de côté. Pierre
Enregistrer un commentaire