De nouveaux aménagements dans la librairie ont occupé Pierre toute la journée. Alors que je passais devant sa boutique en sortant de la gare qui m’amenait de Paris pour quelques jours de vacances en Provence, il devisait sur le pas de la porte avec sa charmante épouse. Comme je présentais mes hommages à cette dernière, il me posa cette question qui me laissa interdit : " Et vous, maître, pourquoi ne vous êtes vous jamais marié ? " Je vais essayer, d'en expliquer les raisons :
Il faut savoir que les femmes sont d'un naturel plus gai et plus enjoué que les hommes ; je ne saurais d'ailleurs déterminer si cela leur vient de ce que leur esprit est plus léger… Quoiqu'il en soit, la vivacité est le don des femmes et la gravité est le propre de l'homme. J'admets que l'on puisse se méfier de ce penchant de la nature afin qu'il ne nous domine pas trop et qu'il y a autant d'excès chez l'homme à présenter de la rigueur et de la sévérité que chez la femme à mettre en valeur sa frivolité. Lorsqu’on n’observe pas ces précautions, l'homme dégénère en cynique et la femme en coquette ; l'homme devient lugubre et la femme impertinente. Ceux qui me connaissent savent que je ne suis ni cynique ni lugubre !
Nous pouvons conclure de ceci que l'homme et la femme ont été crées pour servir de contrepoids l'un à l'autre afin que les peines et les fatigues du mari puissent être adoucies par la bonne humeur de la femme. Lorsque ces choses sont réunies, la vigilance et la gaieté se donnent alors la main et la famille, comme un vaisseau paisible, qui ne manque ni de gouvernail ni de voile, peut affronter sans craintes les turbulences de l'existence à deux… Ce doux voyage peut nécessiter, néanmoins, quelques escales si la nature a décidé d'adjoindre à nos tourtereaux une couvée abondante. Il en résultera que comme le mari et la femme sont unis pour la vie et que le gros du fardeau repose sur le premier, la femme devra donner à son époux besogneux des marques d'attachement, des manières flatteuses et obligeantes qui doivent animer ce dernier à travailler avec ardeur pour entretenir son foyer et éduquer ses enfants… Vous me suivez toujours ?
Eh bien, je dis, qu'à notre époque, les femmes préfèrent les hommes d'humeur badine et volage que les hommes besogneux de ma trempe ! Lorsque vous voyez un beau parleur qui pérore dans les salons mondains, qui parle à haute voix, à tort et à travers, qui est d'une gaieté insipide et qui éclate de rire à tout bout de champs, vous pouvez être sûr que ce sera le favori des dames de cette assemblée… Quoi que je puisse l'infirmer par bravade, les seules fois où j'ai pu séduire une charmante jeune femme lors d'un dîner, c'est qu'on l'avait assise d'autorité à côté de moi pendant le repas, et que ne pouvant s'échapper, c'est contrainte et forcée qu'elle a cédé à mes avances et au bon sens de mes arguments.
Le bruit, les manières empressées et l'absence de vertus morales sont des choses auxquelles les femmes ne résistent plus. En un mot, la passion d'une femme pour un homme n'est autre chose que de l'amour propre tourné vers un partenaire à son image. A l'opposé de ça, j'aurais été un mari prudent et fidèle, un exemple de fiabilité et de mesure [un bon amant, quand même !]. Je ne suis malheureusement pas un beau parleur, vous le savez (sic) et c'est donc hors des liens du mariage que je terminerai mon existence solitaire. Si j’avais rencontré une jeune femme belle et bonne, peut-être serai-je, comme vous, marié !
Votre dévoué. Philippe Gandillet
VALTINE (Marie Alix de). Belle et Bonne. Histoire d'une grande fillette. Paris, Maurice Dreyfous éditeur. Petit in-4. Reliure percaline verte illustrée aux coins biseautés, dos illustré et pièce de titre en lettres dorées, dernier plat estampé aux chiffres de l'éditeur, toutes tranches dorées. Illustrations de Janel, 296pp. Bel état. 38 € + port
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