Quel est ce vice, ce vice horrible, qui entraîne un nombre infini d'hommes, non seulement à obéir mais à servir, non pas à être gouvernés mais à être tyrannisés, n'ayant ni biens, ni vie même qui soient à eux ? Qui les entraîne à souffrir la domination, non d'une armée, non d'un camp barbare contre lesquels chacun devrait défendre son sang et sa vie, mais d'un seul ! Non d'un Samson dominateur comme représenté sur l'ouvrage à la vente, aujourd'hui, mais d'un homme, souvent le plus lâche de la nation, qui n'a jamais eu à combattre pour vivre, inapte à commander aux hommes et légitimé par le mensonge !
Nommerons-nous cela faiblesse ? Appellerons-nous vils et couards ces hommes
soumis ? Si deux, si trois, si quatre cèdent à un seul ; c'est étrange mais
toutefois possible ; on pourrait peut-être dire avec raison que c'est faute de
cœur. Mais si cent, si mille souffrent l'oppression d'un seul, ce ne sera pas
la peur qui en sera la cause : ce sera l'indifférence !
Un homme ne peut asservir un peuple si ce peuple ne
s’asservit pas d’abord lui-même. Voilà ce que nous dit La Boétie dans l'ouvrage
présenté, aujourd'hui.
La première raison de la servitude volontaire,
c’est l’habitude dit-il… « Les hommes nés sous le joug, puis
nourris et élevés dans la servitude, sans regarder plus avant, se contentent de
vivre comme ils sont nés et ne pensent point avoir d’autres biens ni d’autres
droits que ceux qu’ils ont trouvés ; ils prennent pour leur état de nature
l’état de leur naissance ».
La seconde raison, c’est que sous les tyrans, les gens
deviennent lâches et efféminés (je laisse à La Boétie la paternité de ce jugement à
l'emporte pièce). Les personnes soumises n’ont ni ardeur ni pugnacité au combat. Ils
ne combattent plus pour une cause mais par obligation. Cette envie de gagner
leur est enlevée. Les tyrans essaient de stimuler cette pusillanimité et
maintiennent les hommes stupides en leur donnant du "pain et des
jeux".
La dernière raison est sans doute la plus importante, car
elle nous dévoile le ressort et le secret de la domination : Le tyran n'est
rien s'il n'est soutenu par quelques hommes fidèles qui sont ses clones.
Plutôt que m'étendre par de vaines réflexions personnelles
sur ce sujet miné, je vous propose de développer votre raisonnement dans les
commentaires… Les plus prudents s'attacheront à vérifier si ma notice, que j'ai
voulu impeccable, l'est véritablement… A vous de me dire. Pierre
LA BOÉTIE (Etienne de). Discours sur la Servitude volontaire
ou le Contr’un. Paris : Jou et Bosviel, 1922 Un volume in-12(145 × 195). Reliure
plein parchemin, illustrations au pochoir sur les deux plats et le dos, tranche
supérieure dorée. Reliure signée par Weckesser [Charles de Samblanx et Jacques
de Weckesser étaient de fameux relieurs du début du 20eme siècle, 99, Rue Ducale à
Bruxelles]. Couverture conservée gravée tirée en trois couleurs : En noir,
encadrement floral avec nom de l'auteur en surimpression, au centre, titre sur
fond noir en rouge et or. Devise et monogramme de Louis Jou sur le deuxième
plat (vetusta nobilis novi tate felix). On ne retrouvera pas cette devise sur beaucoup
ouvrages.
[1f – ex-libris][8ff – pages de titre, avertissement], 108
pp, [6]. Très nombreuses illustrations dans le texte, parfois à deux couleurs. Justification
: 335 exemplaires dont 300 sur vergé Guarro, le notre n° 37. Achevé d'imprimé
le 30 octobre 1922. Bien que ne figurant pas à la justification, un certain
nombre de suites ont été tirées à part sur chine et vieux japon, ainsi que
quatre eaux-fortes rehaussées de couleurs (portrait de La Boétie) tirées à
trois exemplaires (?). Notre exemplaire présente, quand à lui, en début
d'ouvrage une eau-forte représentant Samson combattant le lion (représentant le
pouvoir de la force).
Le texte retenu pour cette édition est celui établi par le
docteur Payen, éminent montaigniste. Seule une lecture attentive permet de
saisir toutes les subtilités du commentaire graphique que constituent à chaque
page le bandeau et le cul-de-lampe. Ici encore, Suarès propose sa collaboration
en s’offrant à relire le texte : « Décidément ne voulez-vous pas que je donne
un dernier coup d’oeil au texte de La Boétie ? Cette révision peut n’être pas
inutile, s’il en est temps encore. Je la ferai sans peine et sans ennui ;
acceptez-la donc aussi simplement que je vous l’offre. » (7 septembre 1922).
Bel Ex- libris du Colonel Harry Vinckenbosch dont la
collection a été dispersée, il y a un peu plus de vingt ans, en Belgique. Vendu
7 commentaires:
Ces paroles sont d'un homme amer de s'observer devoir obéir.
Pourquoi chercher de si grandes raisons ? On obéit souvent par paresse, parfois par bonté, toujours par intérêt, et les tyrans sont des dupes.
Ce livre est superbe, et c'est mon intérêt immédiat qui me fait désobéir à cette envie de l'acquérir.
Jean-Michel
Plutôt celles d'un adolescent révolté, il n'a que 17 ans quand il rédige ce texte. Soyez résolu de ne servir plus et vous voilà libre, ou comment résumer l'existentialisme en une phrase avec 5 siècles d'avance.
On en a fait le premier des anarchistes... M'est avis qu'il fut emporté par un empoisonnement orchestré par les services de renseignements de François 1er ! Pierre
Jean-Michel ! C'est pas bien de désobéir à soi même. J'ai bien envie de faire appel à la SPA (Société Protectrice de votre Argent) ;-)) Pierre
Au départ Montaigne a écrit les Essais pour servir d'écrin au Traité sur la servitude. Et puis il s'est ravisé, sous prétexte que ce texte avait entre-temps esté mis en lumiere & a mauuaise fin,par ceux qui cherchent a troubler & chãnger l'estat de nostre police sãs se soucier s'ils l'amenderont…
À la place il a préféré, du moins dans la première édition, nous faire profiter des Sonnets. Et ma foi je ne jurerais pas qu'on ait gagné au change…
Chers amis, je vous remercie pour la clairvoyance de vos commentaires. A votre contact, il m'arrive de me croire plus intelligent, ensuite... Pierre
Notice impeccable ! (Et même deux peccables , comme dirait mon vieil oncle).
J’ajouterais simplement que le discours sur la servitude volontaire se trouve en pré-original dans le pamphlet protestant attribué à Nicolas Barnaud « Le réveille-matin des français » publié en 1574, que je présenterai un jour.
Discours que l’on peut résumer en reprenant Montesquieu : « Je ne puis comprendre comme les Princes croient si aisément qu’ils sont tout, et comment les peuples sont si prêts à croire qu’ils ne sont rien. »
Textor
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