Pierre est rentré hier de quelques jours de vacances. Apparemment plein de bonnes résolutions… Vous pourriez penser que la visite de boutiques de confrères, lors de ses séjours en Bretagne puis en Anjou, aurait pu enfin donner un sens, une orientation au choix des livres qu'il propose dans sa librairie ; vous pourriez imaginer que l'exemple des meilleurs professionnels rencontrés au hasard de ces étapes aurait éclairé son manque de clairvoyance ; certains auraient même supposé qu'à écouter les conseils avisés des plus anciens d'entre eux, il envisage d'arrêter, enfin, une activité qui lui procure un certain statut social, je le concède, mais qui ne nourrit pas son homme – en tout cas, pas la nombreuse famille d'un homme qui n'a pas su limiter sa descendance à 1,8 enfant par couple, comme tout le monde le fait en France. Eh bien, non !!
Il m'a simplement chargé de lui mettre par écrit quelques idées susceptibles d'embellir sa boutique qu'il trouve trop impersonnelle. Cela tombe bien, la décoration est encore un domaine où j'excelle… Mais investir dans de l'agencement plutôt que dans des livres est-il vraiment judicieux ? Je vous pose la question.
Cher Pierre,
La boutique d'un libraire est un lieu où le propriétaire imprime sa marque particulière, et qui est fait à sa ressemblance morale et physique. C'est un salon où il profite de sa vie intellectuelle, où il jouit de la vie sociale dans sa plus haute expression : Amitié, sympathie, intelligence et séduction. Il y met un peu des souvenirs de son bonheur familial, de sa tendresse paternelle et conjugale. C'est un peu le saint des saints où il n'admet pas de profanes, où les gens superficiels supposent qu'il se complait dans l'admiration de la perfection de ses livres comme quelque Boudha du ciel hindou, où d'autres s'imaginent qu'il s'adonne aux pratiques de la sorcellerie pour rester aussi étonnamment jeune dans un lieu tourné vers le passé. Et ils auront raison.
Qu'il s'arme là pour des combats de vanité entre confrères ou qu'il y lutte pour un bonheur tout simple en défendant ses livres contre les attaques du temps et la maladresse des ignorants, ce lieu le révèle tout entier. Il peut être luxueux et, cependant, rester désert comme une pensée de jeune fille ; ou simple et témoigner pourtant d'une grande richesse dans la qualité des ouvrages.
Je ne vous proposerai pas d'ornementation tapageuse qui vous attirerait le regard provoquant d'une foule de bibliophiles égarés par le désir perverti des reliures flamboyantes. Je ne vous conseillerai pas de bâtir autour de vous un sanctuaire où règne de fausses idoles et des mensonges hardis… Je vous indiquerai simplement ici quelques idées qui pourront rendre votre boutique séduisante et riche d'une saine coquetterie afin de détourner les regards du client des imperfections des lieux. Ce n'est pas mentir que de faire ainsi. On n'est pas obligé de montrer ses défauts. Sur ce point, il faut d'ailleurs rappeler que l'homme aime à être trompé et il a raison. Qu'est-ce que la vie sans quelques illusions ?
Au temps anciens, les libraires qui se livraient au commerce du beau livre faisaient peindre par Watteau, Boucher, Fragonnard, etc, le cabinet où ils recevaient leurs clients. Aujourd'hui, on n'oserait exposer des fresques aussi délicieuses, des plafonds aussi exquis au regard des clients de passage. A cela, deux raisons qui tombent sous le sens : Tout d'abord, il est de notoriété publique que ces peintres, décédés depuis longtemps, ont vu leur cote monter si haut qu'il sont inabordables pour un simple boutiquier. La deuxième raison, plus triviale, résulte du manque d'espace dans votre boutique, cher ami. J'ai pensé que des murs entièrement recouverts de faïences bleues, rosées ou vert d'eau seraient du plus bel effet. C'est clair, c'est très propre même si cela peut paraître un peu froid. On peu aisément cacher ce léger défaut en recouvrant ces faïences de tentures murales aux couleurs douces. Je vous orienterais personnellement vers des soies claires ou vives recouvertes de tulle ou de mousseline, pour atténuer leur ton, qu'en pensez-vous ?
On peut aussi recouvrir les rayonnages de cretonnes à grandes fleurs, et de toiles de Jouy, mais l'étoffe du coton ou de fil a toujours un peu de sécheresse et ses grands dessins seront cachés si vous mettez des livres sur ces étagères. C'est un choix à faire… J'opterai pour une librairie aux tons bleus, ciel de mai, lilas et colchique d'automne sur lesquels les ouvrages se détacheront bien, et ceci d'autant mieux que l'on pourrait interposer des dentelles entre les livres.
Sur le sol, je placerais des tapis couleur perle, semés de roses ou perle et lilas. Du plafond devront tomber des lustres dont on pourrait allumer, à l'ancienne, des bougies quand viendrait la pénombre. Ces bougies, qui ne doivent pas couler sur les livres – nous sommes dans une librairie, je ne l'oublie pas – ne s'égoutteront pas si l'on prend la simple précaution de les enfoncer bien enrobés de bobèches-fleurs en cristal coloré du plus bel effet. Il faudrait aussi percer dans votre local une ou deux fenêtres. Leurs vitres dépolies doivent être recouvertes de jolis dessins et de grands rideaux de soie et de tulle, bordés d'un volant de dentelle, les drapant amplement.
Pour le reste, je vous laisse choisir les ouvrages qui entreront dans votre boutique. Après tout, c'est vous le professionnel ! Votre dévoué. Philippe Gandillet
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9 commentaires:
Mr Gandillet a perdu la boule.
Ne l'écoutez pas : votre boutique est parfaite comme elle est (quand on y trouvera du thé, ce sera encore mieux).
(je n'aime décidément pas ces commentaires en italique).
Vous n'aimez pas le changement, Nadia ? Je ne sais pourquoi Mr Blogger m'a choisi pour tester cette version. Un geste amical, sans nul doute ;-)) Pierre
Je trouve le style un peu "rococo". A envisager pour une garçonnière... Pierre
Pour faire plaisir à Nadia... Bon ,c'est dans une fenêtre mais l'écriture est droite ;-)) Pierre
Ah, tiens c'est revenu comme avant.
Votre boutique semble parfaite. La description de M; Gandillet me fait penser à un club de thé pour grandes cocottes.
Avec tout le respect que je doive aux grandes cocottes.
:)
Bien à vous,
Sandrine.
C'est vrai que la description de cette librairie, Sandrine, fait penser au décor de la cage aux folles ;-)) Pierre
Dommage qu'il n'y ait pas de légendes sous les photos, mais ça peut peut-être se rattraper.
Bien cordialement
Patrick C.
Vous faites peut-être comme moi, Patrick. J'entasse des photographies dans ma banque d'image "livres et bibliothèques" en omettant d'enregistrer leur origine puisque je la connais au départ. Puis le temps passe et la mémoire avec...
Mais çà peut se rattraper facilement ;-)) Pierre
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