mercredi 30 mars 2011

Les colloques d'Erasme, édition du Pot Cassé. Scripta Manent


Desiderius Erasmus Roterdamus dit "Erasme" (1469-1536) : Rien ne destinait ce hollandais de Rotterdam à devenir une des plus grandes figures de son temps. Pour le placer dans l'époque, sachez qu'il est contemporain de Rabelais et de Léonard de Vinci. Période Renaissance, donc…

À l’âge de dix-sept ans, il prend le nom sous lequel il va devenir célèbre : Desiserius Erasmus (le désiré très aimé). Cela prouve déjà qu'il avait le sens de l'humour car son père était, quand même, ecclésiastique.... Après une vie monastique où il accumule un savoir encyclopédique, il est nommé prêtre à vingt-cinq ans et se sent prêt à se mesurer à l’obscurantisme de l'époque. Sa vie sera dès lors jalonnée de longs voyages à travers l’Europe, de l’Italie vers l’Angleterre en passant par la France.


Entre 1500 et 1503, il publie les Adages et le Manuel du Soldat Chrétien, qui propose une réforme catholique, fondée sur la charité. Il s’attelle ensuite à une traduction du Nouveau Testament à laquelle il consacrera une dizaine d’années. Il séjourne longuement en Italie, où la publication de ses Adages ainsi que ses éditions d’auteurs grecs le classent parmi les plus grands savants de son époque. Puis il retourne en Angleterre chez son ami Thomas More où il y rédige en quelques jours son fameux Éloge de la Folie, joyeux texte iconoclaste sur la philosophie.

Suivant la définition des stoïciens,
la sagesse consiste à prendre la raison pour guide;
la folie, au contraire, à obéir à ses passions;
mais pour que la vie des hommes ne soit pas tout à fait triste et maussade
Jupiter leur a donné bien plus de passions que de raison.


Il retourne ensuite aux Pays-Bas et fait de nombreux séjours à Bâle, où il prépare l’édition de sa traduction de la Bible. Cette publication va déclencher l’hostilité des théologiens réactionnaires qui condamnent tous les hellénistes et exégètes partisans du recours direct à l’Évangile. Cependant, l’influence grandissante de Luther embarrasse Érasme : On lui reproche d’avoir "couvé l’œuf" et d’être responsable de l’active "hérésie luthérienne" qui se développe. Les deux camps, celui des Réformés et celui des tenants du catholicisme traditionnel, l'obligent à prendre position. Érasme plaide l’unité et la réconciliation. Nous avons à faire à un humaniste pacifiste, rappelons-le.


François Ier, fasciné par cette figure hors du commun, cherche à l’attirer à la Cour, mais Érasme veut avant tout rester indépendant et refuse toutes ses invitations. En 1521, il quitte définitivement les Pays-Bas et s’installe à Bâle. C’est là que commence sa querelle avec Luther, à coups d’essais philosophiques. Derrière les deux champions se cristallisent des regroupements qui annoncent les guerres de religion. Il refuse cependant de prendre parti et proclame que l’Europe doit s’unir (toujours d'actualité) et que l’Église doit tout faire pour retrouver son unité perdue. Face à la montée de l’extrémisme (idem), Érasme est obligé de fuir à Fribourg.


Il ne reviendra à Bâle passer la dernière année de sa vie. Ses derniers jours furent ceux d'un sage. Sa sérénité ne se démentit jamais, et il accueillit ses amis avec une bonne grâce imperturbable. Par son testament, il léguait tout ce qu'il possédait "aux pauvres vieux et infirmes, aux jeunes orphelines et aux adolescents de belle espérance". Toute la ville de Bâle suivit ses obsèques derrière l'université. Il est enterré dans la cathédrale.


Érasme ne fut pas seulement un philologue et un théologien, ce fut aussi un littérateur. Par l'importance de leur auteur, par leur genre et leur objectif, les Colloques (Colloquia, Bâle, 1516) d'Érasme sont les textes les plus représentatifs de l'esprit des humanistes du XVIe siècle. Érasme n'est-il pas le plus connu de ces intellectuels chrétiens, à la fois critiques et idéalistes, qui croient en la force de l'éducation ? Ces dialogues (conversations), présentés sous une forme pseudo-théâtrale et inspirés de l'Antiquité, sont destinés à faire réfléchir sans ennuyer. Ils s'adressaient non seulement aux écoliers mais aussi à un public plus large. Ces textes savoureux, présentés avec bon sens et même avec humour, n'étaient pourtant composés que pour apprendre à devenir d'honnêtes hommes ou d'honnêtes femmes. A relire, donc… Pierre


ERASME. Oeuvres. Le premier - deuxième - troisième - quatrième livres des colloques. Traduit du latin par Jarl-Priel, illustré par Albert Puyplat. (complet en quatre volumes). Paris, Editions A l'enseigne du Pot Cassé, 1934, 1934, 1935 et 1936. Brochés, couverture illustrées, 286, 286, 252 et 254 pages, 12cm x 18cm, intérieur propre (non coupé). Exemplaires numérotés sur papier de Bornéo. Traduit du latin par Jarl-Priel. Avec les illustrations (bois gravés) (portrait, frontispices, bandeaux, lettrines) de Albert Puyplat. Les troisième et quatrième volumes sont illustrés par A.-F. Cosÿns. Etat parfait. 90 € les quatre volumes + port

21 commentaires:

Anonyme a dit…

Erasme est un sujet passionnant. Pour ceux qui sont intéressés, il y a dans les faubourgs de Bruxelles, à Anderelcht précisément (il parait que c'est une équipe de foot-aussi), la maison d'Erasme, où le philosophe a séjourné en 1521, devenue un petit musée avec jardin des plus charmants. Visite très riche et émouvante, surtout la salle bibliothèque où Erasme écrivait. Le site web de la maison-musée www.erasmushouse.museum est bien ficelé et les publications du musée sont un vrai régal.
Aimée

Pierre a dit…

Si un jour je passe en Hollande, je ferai la visite, c'est certain. Merci à Aimée dont l'origine du prénom est justement "Erasmus". Pierre

Nadia a dit…

Pierre : Bruxelles est en Belgique, pas en Hollande...

Textor a dit…

Pour l'instant, Nadia, pour l'instant...

Pierre a dit…

Merci pour l'info. Aller jusqu'en Hollande pour demander où se trouve la maison d'Erasme à Bruxelles, c'est ballot ;-)) Pierre

Anonyme a dit…

Un petit peu de surmenage?
heureusement, le weekend arrive.
Bonne soirée
Bien à vous
sandrine toujours complétement surmenée et qui trouve que van gogh, si il avait été en belgique aurait peint des frites à la place des tulipes qui ressemblent à des iris.
:))

Textor a dit…
Ce commentaire a été supprimé par l'auteur.
Textor a dit…

Faisant partie du fan-club d’Erasme et ayant lu un certain nombre de ses écrits, toujours d’une grande actualité aujourd’hui, que ce soit sur la religion, sur l’éducation, sur les phénomènes de société, la guerre et la paix, ou la préparation à la mort, je me permets d'ajouter quelques remarques à l’éloge que vous en faites :

Vous dites que « Rien ne destinait ce hollandais de Rotterdam à devenir une des plus grandes figures de son temps ». Il avait tout de même étudié à Deventer, foyer intellectuel réputé et avait eu pour maitre Hegius von Heek, dont l’enseignement le marqua. L’imprimerie est arrivée à Deventer dès 1476.

« Après une vie Monastique… » mais certainement pas monacale. , Après Deventer, on retrouve Erasme au collège de Montaigu, puis à Louvain, à Londres, à Bale, toujours en voyage, menant une vie très indépendante, il n’a jamais exercé son ministère. Le mystère c’est qu’il trouvait moyen d’être partout en Europe et, en même temps, dans l’atelier de son imprimeur à relire et à corriger les épreuves. De tous les écrivains de la Renaissance, il est sans doute celui qui a le plus fréquenté les imprimeurs, surtout son ami Alde Manuce puis Jean Froben.

« …il se sent prêt à se mesurer à l’obscurantisme de l'époque ». Obscurantisme tout relatif, je trouve que c’est la période de notre histoire la plus riche en foisonnement d’idées. Imaginez que, pendant une même génération, Rabelais écrit son Pantagruel, Martin Luther pose les jalons de la réforme, Thomas More imagine l’Utopie, et Erasme correspond avec tous. Il n’écrit qu’en latin, mais il parle le français, l’anglais, l’allemand et même l’espagnol. Curieusement, s’il comprenait le néerlandais, comme le prouve les proverbes des Adages, il n’est pas sûr qu’il le parlait.

Bon, j’arrête là mais il ne fallait pas me brancher sur ce thème !! J’ai une bonne dizaine de titres d’avant 1534, mais je recommande la compilation de la collection Bouquins, notamment pour la glose de Jean Claude Margolin.

Textor

Jeanmichel a dit…

L'obscurantisme d'une époque se juge à l'aune de la répression que subissent les lumières de cette époque, non à leur nombre ou leur brillance. L'obscurantisme était alors bien réel, on opposait l'hérésie aux idées progressistes pour freiner leur élan, gêner Manuce dans l'édification de sa bibliothèque "n'ayant d'autres limites que le monde lui-même" ou considérer comme un très grave délit de simplement proposer à la vente les portraits d'Erasme.

Pierre a dit…

Merci à vous deux. Nous pourrions sans peine créer un fan-club puisque nous sommes déjà trois !

Un des aspects les plus singuliers de la vie d'Erasme est son côté bohème. Je crois que c'est à cela que l'on doit son ouverture d'esprit. Je regrette sincèrement de ne pas être latiniste (la seule langue unanimement parlée par les érudits à cette époque ; se parlaient-ils en latin, d'ailleurs ?) car la lecture de textes originaux doit rapprocher de l'ambiance de l'époque.

Et oui ! La collection "Bouquins" est excellente... Mais, je ne peux quand même pas le mentionner si je veux espérer vendre mes ouvrages qui sont de très belle facture, non ?

Si je ne les vends pas, je les mets en SVV ! Pierre

Textor a dit…

L’obscurantisme défini comme une attitude de négation du savoir, de restriction dans la diffusion d'une connaissance, appartient un peu à toutes les époques, il me semble. On l’assimile facilement à l’ère de l’inquisition, mais Kundera dans le livre du rire et de l’oubli ne traite pas du moyen-age…

D’un autre coté, quand on visite le musée de l’Inquisition à Cartagena, ce que je viens de faire, on se dit qu’Erasme avait du boulot !! :))

T
PS : Pierre, j’avais oublié de dire que les ouvrages que vous présentez sont de belle facture, comme souvent, et que vos notices donnent envie de les acheter ou de relire l’auteur ; C’est la définition du bon libraire par rapport au marchand de livres, non ?

Jeanmichel a dit…

L'ambiance de la langue latine :
J'espère que Pierre n'a pas oublié le professeur P***, maître de la chaire d'anatomie à l'ENVT, qui toujours enseignait en même temps que le nom français celui en latin de chaque osselet, diverticule ou capillaire, car, le soulignait-il, le latin reste la langue officielle, la seule entendue par tous les intervenants des colloques internationaux d'anatomie.
Y assister suffirait donc pour se replonger dans l'ambiance Renaissance.

Pierre a dit…

Aimable souvenir que celui de cet anatomiste latiniste doué d'un bon coup de crayon... Blouse impeccablement blanche, un rien de mondanité dans un amphithéâtre de potaches irrespectueux et une agrafeuse qui ne le quittait jamais pendant les examens. Très doué pour faire jouer les osselets entre ses doigts, aussi.

J'aurais aimé être un peu moins juvénile pour apprécier, à sa juste valeur, le travail de mes professeurs. Est-ce pour expier cette indifférence que j'ai épousé la belle-sœur de l'un d'eux ? ;-)) Pierre

pascalmarty a dit…

Autant qu'il me souvienne, c'est en latin que, sous le second Empire, le professeur Lindenbrock (Voyage au centre de la Terre) discute avec son confrère islandais. Et je ne voudrais pas dire une bêtise, mais le latin n'est-il pas encore la langue officielle (ou une des langues officielles) du Vatican ?

Pierre a dit…

Textor, qui est latiniste pourrait nous le confirmer, Pascal : Deux personnes qui maitrisent le latin et pas l'anglais (c'est un concept !) peuvent-elles tenir une conversation normale, aujourd'hui ? On peut imaginer des "latinismes" pour les mots modernes...

J'ai émis l'hypothèse que c'est ainsi qu'Erasme faisait. Pierre

Textor a dit…

Actor incumbit probatio ? soit ! Mais vous me prêtez des talents de latiniste largement usurpés. J’ai certes fait du latin comme beaucoup de ma génération mais n’ayant jamais été muté au Vatican, je n’ai pas pratiqué ! Cuique suum reddere.
Parler latin dans le monde d’aujourd’hui poserait de sérieux problèmes : Surfio interpares internetum quando captatus ecrantum .. on voit bien que l’exercice à ses limites ! :)

pascalmarty a dit…

Allez, un p'tit coup de couleur locale : http://la.wikipedia.org/wiki/Civitas_Vaticana
: D

Pierre a dit…

Excellent Pascal ! Voilà donc la preuve que textor cherchait ;-)) Pierre

Textor a dit…

Summa probatio diabolica !!

Anonyme a dit…

Merci pour ce lien, je suis de loin vos discussions,n'étant pas latiniste, ce que je regrette pour la compréhension de certaines idées,même s'il existe de trés bonne traduction de textes classiques, et ma fille rentrant en 5ème l'année prochaine, avec latin en option(... cela revient à la mode... )cela fait de bons exercices.Je refais ma scolarité avec elle, donc l'année prochaine... c'est latin, anglais 2ème langue. :)
Sandrine.

Pierre a dit…

Un courriel de ma "grande sœur" qui me fait plaisir : Très intéressant ton article sur Erasme.Je comprends mieux pourquoi l'organisme qui gère les échanges universitaires internationaux s'appelle Erasmus !

Merci, Paule.