Cher Maître,
J'ai dix-huit ans. Je viens de passer mon Baccalauréat. Pris
en charge par ma famille, par la société des loisirs et de consommation, je
flotte au grès des courants d'opinions sur le fleuve de l'indifférence aux
autres et à moi-même. A la base de la vie, il faut pourtant des certitudes, des
principes arrêtés : mon dilettantisme intellectuel me conduit inévitablement au
dilettantisme moral, je le sais. Je cherche, sinon un mentor, tout au moins un
conseiller. Votre avis m'intéresse. Un lecteur fidèle.
A mon jeune lecteur,
Vous avez, en effet, besoin de la finesse de mon analyse et de
quelques conseils pratiques. Si vous possédez déjà des sentiments élevés, il
vous manque encore les convictions qui vont avec… Vous me rappelez " moi
" ! Je n'ai qu'à fermer les yeux pour me revoir, à votre âge, vivre,
espérer, aimer et parfois m'égarer. Admettez cependant que vous avez en face de vous un homme de
quelques années plus vieux que vous. Il est ce que vous êtes, avec un peu plus
d'horizon et de maturité. Il aimerait pourtant, à certaines heures, être
l'arbre sous lequel vous vous asseyez pour songer ou pleurer. Dans le récit idéalisé
qu'il a fait de sa vie, Goethe déclare que " ce que l'on souhaite dans sa
jeunesse, on le possède en abondance dans la vieillesse ". Tout espoir
n'est donc pas perdu mais je souhaite que vous puissiez accélérer la procédure
grâce à mes conseils avisés !
Notre existence banale a, je le conçois, le plus souvent
pour effet de nous faire oublier qui nous sommes. Elle nous couvre, selon
l'occasion, d'oripeaux étincelants ou de haillons sordides. Mais il est des
accents qui réveillent l'âme. Puisse mon exemple vous servir de fanal. Je
voudrais vous faire concrétiser ce beau rêve de force, de bonté, de virilité
d'esprit après lequel il n'est plus possible de se complaire dans les plaisirs
fugaces et superficiels ou de s'abandonner au découragement stérile.
La différence entre un brave homme et celui qui ne l'est pas
est simple : le premier est un homme de conscience, le second un homme de
galerie. Au second, peu importe que sa
morale intérieure l'acquitte ou le condamne ; il y a longtemps qu'il ne la
consulte plus… Son juge à lui, c'est le public. Il se surveille quand on le
regarde. Aussitôt qu'il est seul, il n'a plus ni frein ni loi. Ce perpétuel cabotin
attache plus de prix au jugement du dernier des spectateurs qu'à son propre
jugement, et l'homme au monde dont l'estime lui importe le moins, c'est
lui-même… Méritez-vous, que diable !
Vous me demanderez peut-être d'où me vient cette
clairvoyance. L'expérience, jeune homme, le vécu ! Alors, qu'importe le reste ! Qu'on doute,
qu'on se ramasse, qu'une bataille soit perdue n'est rien… si elle ne se
transforme pas en déroute. Le plus important est de ne pas céder à la
démoralisation dans le sens étymologique du terme ! Pour l'homme qui sait
profiter de cette leçon, c'est une force que de douter ou d'avoir été
quelquefois vaincu… J'en parlais encore récemment avec mon ami Charles
Wagner qui reprit mes perspicaces idées dans un petit ouvrage qu'il fit paraître,
avec quelque succès, à la fin du siècle. On connaît la musique…
Votre dévoué. Philippe Gandillet
Votre dévoué. Philippe Gandillet
WAGNER (Charles). Vaillance. Huitième édition. Paris,
librairie Fischbacher, 1894. un volume in-8. Reliure demi-chagrin rouge, dos à
nerfs, titre en lettres dorées, gardes colorées, couvertures conservées.
281pages. Bel état. 40 € + port
3 commentaires:
Tout ça pour nous dire qu'il n'a pas changé... Pierre
et pour 40 € seulement !
Cet ouvrage est remarquable même si les idées qu'il met en exergue sont un peu démodées. Un jeune dénué de parti pris y trouverait matière à réflexion. Il existe des choix de vie qui ne sont pas dictés par des contingences financières mais par notre conscience.
A 40 €, le doute n'est pas permis... Ph Gandillet
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