" Quelle précocité, quelle intelligence, quel style ! " C'est en ces termes qu'André Gide commentait les lettres de Paul Valéry qu'il relisait. Et il décida, lui le survivant, que sa correspondance avec l'illustre sétois devait être donnée au public. C'était en 1950. " Je suis sûr que je m'y montre bien terne, bien falot à côté de lui. Je suis sûr aussi d'avoir été moins prolixe.
- Vous avez toujours écrit des lettres plus brèves que vos
correspondants.
- Forcement, je faisais métier de mon amitié. C'est un
métier fatiguant qui requiert des soins assidus. Je m'y usais. J'écrivais peu à
chacun mais j'écrivais à beaucoup.
- Pensez-vous que ceci compense cela ?
- Certes non, puisque chacun se croit lésé. Pour ce qui
concerne Paul Valéry, la différence de longueur des lettres n'est pas la plus gênante.
Leur différence de ton l'est davantage. Valéry était un épistolier remarquable.
Peut-être aurais-je dû lui donner correctement la réplique ? Mais le fait est
là, j'ai répliqué sans brio. Si je prends la décision de publier ces lettres,
c'est pour lui, pas pour moi… "
La méthode qui consiste à associer un auteur avec un autre
qui lui est contemporain est toujours valable : un certain Descartes
se définit par rapport à Montaigne, comme un certain Pascal par rapport aux
deux précédents…
Paul Valéry avait une prose frappée d'instinct. J'ai en
mémoire sa petite écriture légèrement penchée où l'on s'évertuait à trouver quelque
rature. Lui qui prônait le polissage de l'écriture a toujours prouvé qu'il pouvait
s'en passer. Ses mots étaient naturellement polis dès qu'il les traçait, je
dirais même, dès qu'il les trouvait… Un don, quoi !
Ma correspondance avec Philippe Gandillet, qui nous revient
pour les vacances estivales, n'atteindra jamais ce degré de perfection. On sent
chez moi la faiblesse du vocabulaire et on déplore chez Philippe Gandillet le sombre écho qu'il donne à sa prose…
Cher maître,
D'habitude, vous venez dans votre belle Bastide pour
l'été et vous me tenez la boutique le lundi pour que j'aille à la pêche au thon
aux Saintes-Maries de la mer. Ça tient toujours ? Votre fidèle. Pierre Brillard
Je suis si las de mes molles rêveries parisiennes, de mes
élans passagers, qui montent et retombent comme des jets d'eau ! Vanité de
l'intellectuel ! Peur de la vie, mépris de tout, vieux sentiments tant décrits.
Peiner pour mettre en ordre des idées douteuses, sale labeur de l'Académicien !
Je vous l'écris mais vous le savez déjà. Qui me connaît mieux que vous ? Et dire qu'autour de ma bibliothèque il y a la vie, il y a
le tennis, l'automobile et les jolies femmes ; il y a le réchauffement de la
planète, la mondialisation et votre petit commerce, toutes activités utiles et bien
réglées… Et moi, je pense et vis dans un extrême dérèglement
d'esprit, ma pensée s'emporte vers de chimériques perfections ou s'enivre de
descriptions enflammées depuis que j'écris une saga romanesque originale sur l'histoire
de la succession de Philippe le Bel au trône de France. J'appellerai cette
série " Les rois maudits ". Le titre devrait plaire à mes lecteurs… Elle
sera basée sur la malédiction qu'a prononcée sur le bûcher le grand-maître
templier Jacques de Molay… Ces six mois coupés du monde m'ont cependant épuisé.
J'envoie le manuscrit aux éditeurs et je file vous rejoindre. On me dit que vos
affaires ne sont guères flamboyantes. Je vous achèterai quelques beaux livres.
Votre dévoué. Philippe Gandillet
GIDE (André) - VALERY (Paul). Correspondance 1890-1942.
Préface et notes par Robert Mallet. Paris, Gallimard ,1955 Un volume In-8,
broché, couverture imprimée. Édition originale. 558pp. Un des 520 exemplaires
numérotés sur vélin pur fil Lafuma-Navarre ( n° 484) après 87 hollande. Parfait
état extérieur et intérieur. 110 € + port
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