Il est des matins où l'on ne se sent pas très bien. ("faites-vous sentir par un autre" dirait Pierre Dac). Le hasard vous fait tomber, au réveil, sur le dernier chapitre des "Misérables"; tout le monde connaît l'intrigue du roman mais il faut attendre la dernière page de l'œuvre pour entendre souffler le vent du vrai génie romantique * ; et l'on découvre médusé que l'on n'a absolument pas pensé à mentionner dans son testament la phrase profonde qui, à la manière du frontispice d'un livre, devra orner notre pierre tombale, mettre en valeur notre absence et nous ouvrir les portes d'une postérité méritée.
* " Il y a, au cimetière du Père Lachaise, aux environs de la fosse commune, loin du quartier élégant de cette ville des sépulcres, loin de tous ces tombeaux de fantaisie qui étalent en présence de l'éternité les hideuses modes de la mort, dans un angle désert, le long d'un vieux mur, sous un grand if auquel grimpent les liserons, parmi les chiendents et les mousses, une pierre. Cette pierre (…) est toute nue. On n'y lit aucun nom. Seulement, voilà de cela quelques années déjà, une main y a écrit au crayon ces quatre vers."
Il dort.
Quoique le sort lui fut bien étrange,
Il vivait.
Il mourut quand il n'eut plus son ange… Victor Hugo
Passe encore d'oublier de prononcer une sentence mémorable juste avant de mourir ou pis est de prononcer, avant le grand saut, une sentence moyenne ou hors sujet que l'on regrettera ensuite ! Mais laisser un graveur latiniste, libre de toute contrainte, placer devant vos yeux ébahis un "De profundis" tronqué pour cause de rigueur budgétaire alors que vous aviez des choses beaucoup plus drôles à proposer, équivaut vraiment à une faute de goût impardonnable ! Je vous livre donc quelques idées dont les deux premières sont contenues dans le livre que je propose à la vente si vous êtes en mal d'inspiration. Mais d'où vient donc la dernière épitaphe proposée ? Et quelle serait celle que vous aimeriez voir au fronton de votre dernière demeure. A vos claviers !
Pour l'esclave : X, tel était l'homme que voici, jadis quand il vivait ; mais à présent qu'il est bien mort, il a même pouvoir que le puissant Darius.
Pour l'atrabilaire : Même mort, X est hargneux. Et toi, portier de Pluton, tremble, Cerbère, qu'il ne te morde !
Et pour nous tous : Ni meilleur, ni pire… Désolé d'avoir cassé l'ambiance. Pierre
ROQUES (D). Tombeaux grecs. Anthologie d'épigrammes. Ed Gallimard ; le promeneur. 1995, petit in-8 de 203pp à la couverture rempliée. 12 € +port
7 commentaires:
Je réalise que "De profundis" devant mes yeux ébahis se lisent "sidnuforp eD"... Pierre
L'origine des épitaphes facétieuses est-elle à chercher chez les Romains pour qui ces quelques lignes étaient comme une conversation entre le défunt et le lecteur, allant parfois jusqu'à la vengeance posthume ?
Cette vengeance (Rira bien qui rira le dernier) que l'on retrouve encore, un peu plus tard, par exemple dans celle-ci :
"Cy gist l'amant auquel la loyaulté
En ferme amour et la grande privaulté
Qu'il demonstra envers l'ingrate dame,
Luy ont osté de ce pauvre corps l'ame".
De nos jours les cimetières sont protégés, et hormis quelques uns, spectaculaires ou originaux, il paraîtrait bizarre d'aller s'y divertir. La mort semble être devenue grave et pour s'en amuser il faut biaiser. Dans la fameuse chanson "De profundis morpionibus", on trouve ce couplet :
"On lui él'va un cénotaphe
Où l'on grava cette épitaphe :
Ci-gît un morpion de valeur
Tombé sans vie au champ d'honneur".
Je ne raconte pas l'histoire, tout le monde la connaît.
Le cimetières sont tristes mais les enfants qui y accompagnent les adultes, comme il était de tradition ce weekend, s'y amusent. Si l'on fait abstraction des tombes modernes vernissées en granit gris qui sont à pleurer, certains édifices anciens sont des chefs d'œuvres de beauté et puis, un dernier mot encourageant dans une épitaphe ne serait-il pas rassurant pour ceux qui restent ? Pierre
Comme il existe une double peine il existe une double mort, et ces épitaphes veulent retarder l'échéance de la seconde. Je veux parler, après la disparition physique, de la sortie de la mémoire des hommes après quelques générations.
Victor Hugo nous avait déjà fait le coup de l'épitaphe qui s'efface, de l'émotion ultime ressentie à la prescience de cette seconde mort dans l'explicit de Notre-Dame de Paris : "Quand on voulut le détacher du squelette qu'il embrassait, il tomba en poussière".
A l'évidence Victor connaissait les "trucs" qui captivent le lecteur !...
Je mets à votre crédit le joli mot "explicit" qu'il me faudra développer et constate, encore une fois, que les grands écrivains n'ont pas été suffisamment reconnus à leur époque. Quid d'un "prix Goncourt" ou d'un "prix Nobel de littérature" pour honorer l'œuvre de notre cher disparu ?
Pierre
Permettez- moi de préférer ces quelques mots dont l'auteur sur le moment m'échappe (peut-être l'aimable Fontenelle mais sans certitude)"..et suis tout étonné que la mort ait voulu penser à moi, moi qui n'ais jamais pensé à elle"
le tout afin de prolonger cet échange.
"Ni meilleur, ni pire" est l'épitaphe imaginée par Montherlant au Roi Ferrante dans "La Reine Morte".
Pierre
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