lundi 2 novembre 2009

Causerie du lundi de Philippe Gandillet : Un incomplet qui plait…


Vous savez que je suis peu enclin aux longs discours, que ma nature me pousse à privilégier le fond au détriment de la forme et que je cherche à travers quelques mots choisis, quelques phrases concises à présenter à mes lecteurs du lundi, un ouvrage dont Pierre pourra tirer quelques profits à la vente tout en sachant qu'il revient à un ami désintéressé comme je le suis de ne pas compromettre le fragile équilibre financier de sa boutique par une sensiblerie qui me pousserait à faire preuve d'une prodigalité, d'un désintéressement ou d'un altruisme en opposition avec les règles fondamentales, j'allais dire capitales, du commerce. C'est pourquoi le courrier que je reçois cette semaine d'Ilies Andila, un jeune bibliophile avide de conseils avec qui nous avions devisé de la pertinence de posséder ou non, de commercialiser ou non, des incomplets a attiré mon attention, provoqué en moi de légitimes confusions d'âme et que je vous restitue, in texto, nos échanges épistolaires où vous constaterez que ce dernier ne manque pas d'arguments pour bousculer mon infaillibilité légendaire. Vous me direz si j'ai eu raison de céder à sa demande.


Cher Monsieur Gandillet,
N'étant qu'un jeune esprit qui, quoique se réservant de renier ou, qui pis est, désavouer ce siècle, n'a, transi, que la ferveur du novice, et m'étant, peut-être un peu grâce à ce siècle (« Qu'il vienne, qu'il vienne, le temps dont on s'éprenne ! » ), religieusement épris - et pis ! - des livres que le Déluge a, dans sa fulgurance, épargnés, je me demandais, avec une certaine naïveté il est vrai, si, par Jupiter, vous n'auriez pas quelques conseils (que la nuit ne me donnera pas), quelques connaissances utiles et que je ne trouverai pourtant point dans les Encyclopédies, en un mot quelques faibles avantages à donner à un être qui, voulant consacrer son éphémère destinée à flairer l'immortelle « poussière grecque et latine », fard des bouquins, se voit, mieux que sa propre étoile peut-être, à l'aube d'une frissonnante voie jonchée de ronces vermoulues et de chausse-trappes béantes ; en un mot à un roseau, en qui les livres trouveront peut-être un jour un doux maître ; ou, si ce que les livres vous ont dit - les vers que vous leur avez tirés si j'ose dire - vous tient trop à coeur, peut-être auriez-vous, au fin fond de votre serre à codex - grenier, quelques ouvrages de rebut (incomplets) dont vous faites peu de cas et dont vous pourriez me faire gracieusement offrande?

Si cela advenait, je vous jure sur tous mes dieux que si les plans de la machine à voyager dans les temps tombent dans la fiole d'un génie, je vous rapporterai de mon Odyssée un livre qui fut perdu et qui n'existe plus : sacredieu ! Il siérait au sort de m'aider un peu ; mais dès que « ma seule étoile est morte », ô bibliophiles des quatre vents, ô Monsieur, ne m'aiderez-vous point à aimer les livres à bon escient ?

Je vous salue de bon coeur, un coeur respectueux, Monsieur, et que Dieu bénisse les incomplets !

Cher Ilies Andila,
Pierre est bien trop avaricieux pour offrir gracieusement les trésors de sa boutique, même incomplets. Par contre, étant personnellement détaché des choses matérielles de ce monde et n'ayant aucun scrupule à céder un livre qui ne m'appartient pas, il n'est pas impossible que je puisse profiter de son absence pour me livrer à des actes de saine générosité, mon salut étant à ce prix. De surcroît, ayant trouvé un maître dans la concision épistolaire, vous comprendrez que je me sente votre serviteur et par conséquence votre débiteur.

Pierre cherchant à gonfler l'audimat de son blogue par le parrainage d'émérites intervenants, accepteriez-vous que je publie notre correspondance ? Philippe Gandillet


Cher Monsieur Gandillet,
Ah ! Vous qui eûtes la bonté de faire quelque état du vacillant appel de mon âme sans lisière, vous ne vous déroberez pas, il le faut croire, à la saine lecture de ce qui doit être, en désespoir d'effet, à la merci de vos yeux.

Considérant, en foi, la Conscience universelle comme un seul et même Être, et chaque être vivant comme une simple parcelle de celui-ci, chaque échange, étant conséquent, me paraît être pour ainsi dire un transvasement ; puissent les lecteurs, en recevant le mien, si pauvre de rosée astrale, ne pas s'exclamer, tel l'esprit follet que je suivis à la trace naguère et qui dit, en parlant de moi, et du Livre : "Que ses lexiques s'effacent ! Et fasse la Sylphide que l'acide filtre par la fine fibre qu'ainsi fit l'insigne fils de sa frénésie sise aux cimes frisselissantes, l'intensifie, si un temps il s'y fie, hélas !" mais y baigner leur coeur.

En un mot, et si votre souhait s'attache toujours à ce mot, je consens à ce que votre bonté vous a suggéré. Je vous salue. Ilies Andila

Cher Ilies Andila,
Comme vous, critique aux rites des lettrés à l'éthique étriquée qui rient de l'incomplet qui plait, irai-je chercher dans l'erratique érotique ou l'irritant hérétique, dans le doux décent ou le récit sensé le livre qui sied à votre souhait ? En un mot, avez vous une préférence pour une thématique particulière ? Et ne me répondez pas les maroquins cerises in-4 aux armes de Louis XV, s'il vous plait...

Avec un peu d'inquiétude tout de même. Philippe Gandillet


Cher Mr Gandillet,
Rassurez-vous sur le chapitre des maroquins cerises aux armes : j'ai une conception trop naturelle de la bibliophilie pour qu'il me vienne à l'esprit ce genre d'ouvrages ; j'aime mieux un ouvrage sans éclat, mais auquel je puis attacher une valeur sentimentale, une spécificité ou un souvenir, qu'une prestigieuse provenance qui ne dise rien à mon coeur ; tout ce que je demanderais, si ce vous convient, c'est que l'ouvrage soit antérieur au 19è siècle (donc 18è, 17è, ou 16è si Dieu s'en mêle) ; mis à part cela, je vous déclare ingénument que je n'ai point de thématique précise : faites à votre guise, vous ferez toujours bien. Ilies Andila.

Cette correspondance s'est arrêtée là, cher Lecteur. J'ai choisi pour Ilies Andila un ouvrage qui me semblait coller à la mode actuelle pour l'histoire d'Angleterre, pour le Roi Arthur et son amusante évocation sur le petit écran. Ai-je eu raison de dire en débutant " Un incomplet qui plait " ?

Votre dévoué. Philippe Gandillet

D'ORLEANS (Le Père). Histoire Des Révolutions d'Angleterre, Tome 1. A Amsterdam, aux Dépens De La Compagnie, 1766 - Un volume petit in-8 en plein veau de l'époque. Dos à 6 nerfs richement orné mais avec manques. Pièce de titre tronquée en maroquin rouge, tomaison absente. Coiffes frottées, coins usagés et amortis. XXII, 492 pp avec table. Enrichi d'1 carte dépliante de l'Angleterre et de 8 portraits de roi gravés H.T. Tome 1er uniquement jusqu'à 1273.

9 commentaires:

jpp a dit…

Qui,quelque jour prochain,se penchera sur le grand cimetière des ouvrages incomplets,des tomes veufs de leurs semblables, des oeuvres morcelées au fil du temps?
Ai-ce seulement "..des ans,l'irrémédiable outrage" qui a laissé sur la grève ces éléments isolés? Et pourquoi donc, ne demeure-t-il parfois que tel ou tel volume (fréquemment le même) le second plutôt que le premier..
Celà ne permet-il pas aussi une quête souvent vaine et sans fin certes mais reflet de la perpétuelle insatisfaction de la nature humaine..

Anonyme a dit…

Jardieu, mé aussi j'am'rai ben qu'on m'fournisse de c't'vieux papier pour l'hiver qui vint, que j'pourrai en fourrer bell'ment mes chausses et mon cal'son pour point trop avouër d'la gélure ou qu'j'pense. Avec c'te cuir, comment que je m'f'rai une bel'paire e'd'godasses; ça oui, cré nom d'une pipe ! Avec moé, pas de danger de péril qu'ça moésisse chez l'bourgeoé, e'l' vieux bouquin incomplet.
A vot'bon coeur, M'sieur Gandillet qu'êtes un brav'homme !

Montag

Jeanmichel a dit…

On pourrait considérer que ces manques, par ce que peut y cacher l'imagination ou créer l'extrapolation, donne une relative plus-value à l'ouvrage.
Et revient en mémoire un article de la "Grande encyclopédie du dérisoire" de Bruno Léandri traitant des reproductions cartographiques des îles Crozet à partir de photographies aériennes.
On peut imaginer que l'épouvantable climat qui règne là-bas ne permettait pas aux avions de voler quand ils le désiraient et qu'une photo prise l'était pour longtemps, mais en tout cas là où il y avait eu un nuage le jour de la prise de vue, un nuage masquait le dessin de la carte, sous lequel Léandri imaginait "un sommet de 4000 mètres, ou un centre Leclerc inconnu, ou une base d'espionnage serbo-croate, ou un microclimat avec palmiers, cocotiers et civilisation cachée de vahinés à poil, ou mes lunettes que j'ai perdues".

Pierre a dit…

Toute la France profonde est derrière vous, M'sieur Montag, pour demander une chronique agricole à Philippe Gandillet dans un prochain billet. Mais je crains le pire. Pierre

Pierre a dit…

Bienvenue jeanmichel.jadeolive !

Malheureusement, en bibliophilie le manque enlève beaucoup de valeur à l'ouvrage. Je dis ceci parce que je suis libraire, bien sûr. Il est d'ailleurs peu fréquent que les "manques" touchent le texte. Ce sont plutôt le frontispice ou les gravures hors textes qui sont absents et qu'il faut mettre au débit des "tronçonneurs". Quelquefois ces manques sont d'origine et proviennent de l'imprimeur.

Le pire reste toutefois l'ouvrage en deux volumes dont vous n'avez que le deuxième tome... Les conflits lors de succession en sont la cause principale mais les déménagements ont leur part de responsabilité. Tous les bibliophiles vous diront de ne jamais acheter de ces incomplets mais tous en ont. L'amour des livres pardonne l'imperfection.

J'ai beaucoup aimé la notion du "manque" catalyseur du rêve. Je sais qu'il existe des livres avec des pages noires, des pages blanches... J'ai même un ouvrage qui est intitulé "le livre" dont la lecture n'est possible que si l'on vous donne la clef du codage. Personne ne l'ayant fait, je le garde en me disant que l'auteur avait ses raisons pour soustraire ses écrits au profane.

Pierre

Jeanmichel a dit…

"Le livre", tout en code-barres, à lire sous la douche ?
Précision hors sujet, jeanmichel.jadeolive, c'est le même que Jean-Michel tout court. C'est absolument involontaire, n'ayant pas cherché à gonfler l'audience artificiellement. Gmail a subitement décidé d'inscrire en entier mon adresse chez eux. J'en ignore la raison et je ne vais surtout pas chercher à le savoir.

Anonyme a dit…

J'ai craqué pour le premier tome du Nouvel Evangile en maroquin et j'en suis arrivé au procès. C'est passionant. En attendant que je trouve le second tome, quelqu'un peut-il me dire comment ça finit ?

M.

Pierre a dit…

Le héros meurt.

Le livre n'a pas eu le succès escompté et je crois que le deuxième tome n'est jamais paru.

Pierre

Librairie L'amour qui bouquine Livres Rares | Rare Books a dit…

Faut dire qu'une couronne d'épines... c'est lourd à porter dans la vie !


PS : J'entâme déjà mes trois cent pater noster et mes trois mille cantique des cantiques (plus drôle). Bénis soi Jean XXIII !

B.