lundi 28 avril 2014

Être ou ne pas être bouquiniste...


Un article paru dans "Rue89Lyon" nous dresse un excellent portrait de quelques bouquinistes de la cité. Je vous en donne des extraits qui m'ont interpellé. Pourquoi ? Parce que, quand j'ai commencé cette activité, je ne  voyais pas vraiment la différence entre le libraire d'ouvrages anciens, tel que je le concevais alors, et les bouquinistes chez lesquels je trainais depuis plusieurs années.  Aujourd'hui encore, certains confrères ne savent pas très bien où se placer. Il faut croire que nous faisons tous le même métier…


Ce qui m'a touché, en fait dans ces interviews, c'est qu'on voit bien que la profession de bouquiniste, telle que nous la percevons aujourd'hui va disparaitre : par manque de clients et en raisons de contraintes économiques évidentes. Resteront quelques lieux de stockages de vieux bouquins dans des hangars installés hors des villes, au fond desquels un professionnel de la gestion de stocks distribuera ses ouvrages avec méthode. Pas vraiment l'image d’Épinal que  nous attendions de cette profession !


Je pensais à tout ceci, hier après-midi, alors que je rangeais mes caisses en plastique de "drouille" dans un nouvel endroit. Une bonne centaine de caisse pour l'instant… Quel bouquiniste voudra un jour de tout ceci ?  Et puis, je me suis demandé si cette évolution allait toucher aussi les libraires d'ouvrages anciens, qui sont aux bouquinistes ce que les antiquaires sont aux brocanteurs…  


L'activité de bouquiniste :

Les clients et leur fréquentation du lieu : un des problèmes principaux du bouquiniste. En deux heures, quatre personnes sont passées dans la librairie : un acheteur, deux vendeurs, et une connaissance venue faire réparer son ordinateur. Car pour maintenir son entreprise à flot, Markus a dû jouer la carte de la polyvalence. « Depuis 3 ans la boutique ne dégage plus de bénéfices, les choses devraient redevenir un peu plus normales cette année et j’espère pouvoir dégager un demi smic au moins, mais ça va demander beaucoup de boulot pour relancer l’activité. » et «Le loyer que je payais 250 euros dans les années 70 passera à 850 euros au prochain semestre. Si l’on y ajoute le pas-de-porte, le coût devient astronomique. »

« Cette semaine, la boutique a vendu pour 10 euros de livres. On a clairement basculé sur Internet. On a encore quelques habitués qui passent régulièrement, mais rarement de nouvelles têtes. Les clients qui franchissent le seuil de la porte ont une idée précise de ce qu’ils veulent. Si on n’a pas exactement ce qu’ils recherchent, ils repartent aussi vite qu’ils sont venus. ». Comme beaucoup de bouquinistes, Philippe utilise des plateformes telles qu‘ABBooks.fr ou livrerarebook.com qui regroupent des centaines de librairies. Cette dernière a d’ailleurs été créée par un libraire lyonnais. Plus fort encore, l’ancien client qui passait régulièrement faire un coucou à la boutique et acheter un ou deux bouquins est devenu un concurrent 2.0 féroce qui vend lui même ses livres sur le net, par l’intermédiaire du Bon Coin et autre Priceminister.

Lorsqu’il s’est installé, au début des années 70, le quartier du Vieux Lyon n’avait rien du quartier touristique et piéton que l’on connait aujourd’hui. En 40 ans, le quartier a bien changé. Pourtant, cet essor du tourisme ne profite pas directement aux boutiques. Il y a quatre ans, le propriétaire de Serge a voulu multiplier par 3 son loyer, prétextant l’arrivée du métro, de la rue piétonne, et le développement du tourisme. Serge a retourné un à un tous ses arguments pour finalement obtenir gain de cause trois ans plus tard. « Un Coréen par exemple, qu’est ce que tu veux qu’il m’achète comme BD ? Tous les jours j’entends « Oh c’est la caverne d’Ali Baba ici ! » Les touristes voient la boutique comme une curiosité, mais au final ce ne sont pas eux qui vont acheter. »

Gagner de l’argent en vendant des livres, une difficulté que Valérie n’est pas la première à rappeler. Le salaire qu’elle dégage de son activité est en dessous du SMIC, et sûrement loin du salaire d’adjointe de direction dans une librairie de la chaîne Decitre. « Pour vivre, il faut vendre. J’ai encore parfois du mal à me rappeler qu’une librairie est avant tout un commerce. J’ai plus la passion du conseil que celui de la vente. »


Le choix des livres :

A chaque fin de mois, c’est la même parade. Les particuliers sont de plus en plus nombreux à venir vendre les vieux bouquins poussiéreux qui encombrent leurs bibliothèques. Une fin de mois qui se situe aux alentours du 15, « c’est très net depuis septembre » ajoute Markus. Il y a aussi les habitués, persuadés d’avoir un trésor dans la bibliothèque familiale : « Des gens se sont aperçus qu’il y avait un bouquiniste dans leur rue après avoir vu cette page Facebook! » et « Lorsque les gens basculeront vers le numérique, les bouquinistes vont souffrir. Qui irait acheter un livre numérique d’occasion ? »

« Au début, je faisais un peu de tout, je vendais des « poche », des CDs. Ce n’est qu’après que je me suis spécialisé dans les livres anciens et ceux consacrés à la chasse et la pêche. C’est essentiel dans notre métier, avoir un thème sur lequel on est incollable, ça permet de fidéliser le client. Je publie régulièrement des catalogues pour les tenir au courant des nouveautés. »

Concernant le développement de l’offre sur internet et du livre numérique, Serge ne semble pas spécialement effrayé. Les bandes dessinées en vente sur Leboncoin ou Ebay sont d’après lui soit sous-cotées soit surévaluées, mais en tout cas rarement dans la norme du marché. « Les collectionneurs continuerons à acheter, ils aiment le contact avec le libraire et toucher l’objet de leur envie. Ils ne se satisferont pas d’un livre virtuel. » « Personnellement, je cherche une série de BDs depuis 12 ans, et malgré internet, je ne l’ai toujours pas trouvée. »

« C’est vrai qu’internet a bouffé une partie des ventes, il y a des gens qui n’achètent plus que sur internet. Mais il y en a encore beaucoup qui cherchent dans une boutique ce qu’ils ne trouveront pas sur le net, à savoir le conseil et le contact avec l’autre. Je fais un beau métier. »


Tout ça pour vous demander si, un de vos enfants vous disant un jour qu'il désirerait être bouquiniste, vous le féliciteriez pour cette décision [un bon plan pour vous débarrasser de toutes ces caisses !], ou bien si vous feriez tout pour l'en dissuader [vous vous dépêcheriez alors de brader - ou donner - toutes ces caisses au plus vite !] … Pierre

3 commentaires:

Anonyme a dit…

A quand le catalogue complet en ligne de "la drouille" à petit prix ; on ne sait jamais, cela peut faire le bonheur de certains qui cherchent depuis des années le volume 3 de l'histoire de Fleury dans l'édition de 17.., par exemple ? Et plus si ça aide le maître des lieux à gagner de la place...
Xavier

Pierre a dit…

Il me faudrait une deuxième vie ;-)) Et puis, je préfère faire de belles notices... Pierre

Catiramitsou a dit…

j'ai envie de devenir bouquiniste... mon projet (entre autres projets) est en cours ; alors je suis preneuse d'un éventuel stock !!!! qui complèterait celui que je suis en train de constituer.

je n'ai pas demandé leur avis à mes proches, car je suis consciente de leur réactions !!

merci à toutes et tous les bouquinistes qui exercent encore ce beau métier, ça m'encourage...

Cathy, dans les Cévennes méridionales