samedi 19 avril 2014

Supplément au Spectateur nocturne, illustré par Raoul Dufy. Il n'y en a qu'un seul !


Voici une suite, ou plutôt un supplément, au Spectateur nocturne  (Les nuits de Paris) de Restif de la Bretonne. Si l'on en croit l'auteur de l'ouvrage proposé aujourd'hui, ce texte aurait été écrit par le petit fils de Restif, lui-même dans la police secrète comme son grand-père...


" Le 22 décembre 1786, « à sept heures du soir », Restif entreprend la rédaction des Nuits de Paris, qui témoigne, selon les spécialistes, de son emploi de « mouche » au service de la police royale ; en effet, le texte fourmille d’indications de ses liens avec la police qu’il semble en mesure d’appeler à tout moment ; il se promène armé d'un bâton, de pistolets et vêtu d'un manteau bleu, uniforme des policiers ; il menace ceux qu’il interpelle d’en appeler à l’autorité, se rend sans cesse au corps de garde, etc" (dans le BM de novembre 2009).


En fait, il s'agit d'un texte de Fernand Fleuret, spécialiste incontesté [avec Guillaume Apollinaire, Louis Perceau, Gus Bofa et Raoul Dufy] de L'Enfer de la Bibliothèque. L'ouvrage, qui n'est pas à mettre entre des mains innocentes, raconte, la encore, Les nuits de Paris dans un monde réglé par la luxure et la prostitution…


L'ouvrage que je propose aujourd'hui à la vente a ceci de particulier qu'il s'agit d'un exemplaire unique, en ce qu'il est orné de dessins et d'aquarelles originales de son ami Raoul Dufy. Il existe en France une spécialiste de ce peintre : Madame Fanny Guillon-Lafaille dont l'expertise aurait pu nous être nécessaire dans la présentation et dans l'estimation que nous avons faites de l'ouvrage. Mais le libraire de province ne peut-il pas défendre un ouvrage avec ses seules convictions ? [Quitte à se tromper]


Il y a, dans ce métier, une règle que j'ai apprise : la règle du clou. Elle donne la bonne adéquation entre le prix qu'un libraire peut espérer d'un ouvrage et celui que notre clientèle peut offrir pour ce même ouvrage ! Savoir "où mettre le clou", c'est trouver le bon prix de vente, pondéré par des facteurs annexes comme notre éloignement géographique de la capitale, notre méconnaissance de l'artiste, notre manque de notoriété professionnelle, etc...  Ainsi, le prix affiché au clou du "mur" de M. Sourget, au Grand Palais, ou à Brassens n'est pas le prix que je vais afficher chez moi par exemple...


On a pu penser qu'Internet allait niveler les écarts de prix sur des ouvrages équivalents : c'est sans doute vrai pour des publications à fort tirage. Je n'en suis pas certain pour les exemplaires de haut de gamme. A cela une raison majeure: La variable "prix" n'est pas l'élément majeur pour quelques bibliophiles fortunés, clients de librairies renommées… 


Et vous, chers confrères, comment faites-vous pour estimer vos ouvrages d’exception ?  Le prix d'achat de l'exemplaire compte, bien évidemment. Mais comment calculer la valeur du travail que vous faites en aval pour valoriser un livre ? Comment cernez-vous les attentes en prix de votre clientèle ?


Et vous, chers lecteurs, comment appréciez-vous le prix d'un livre ? Votre premier réflexe (une fois l'envie installée) est-elle d'aller compulser frénétiquement la toile pour savoir s'il s'agit ou non d'une bonne affaire ? Les catalogues de salle des ventes vous servent-ils encore ?


Autant de questions auxquelles vous pourrez me donner votre réponse, ce week-end, si vous l'avez...  Pierre


FLEURET (Fernand). Supplément au spectateur nocturne de Restif de la Bretonne. Cuivres et bois originaux de Laboureur. Paris, Editions du Trianon, 1928. Un volume In-8. Reliure demi-parchemin, plats de tissu fleuri, dos lisse, titre et nom de l'auteur en lettres rouges et vertes . Pages de garde de Raoul Dufy (probablement tissu bagatelle), rehaussées à l'aquarelle de la main de Raoul Dufy, certifiées par lui-même en dernière page et contresigné par Fernand Fleuret.

Exemplaire remarquablement truffé :
- Une lettre manuscrite de Laboureur à l'auteur assemblée par onglet
- Une lettre manuscrite de Francis Carco à l'auteur assemblée par onglet
-Deux gravures de l'édition originale des Nuits de Paris (1788), dessinées et gravées par Moreau le Jeune, représentant « le Hibou-Spectateur, marchant la nuit dans les rues de la capitale. On voit au-dessus de la tête de Restif de la bretonne voler le hibou et dans les rues un enlèvement de filles, des voleurs qui crochètent une porte, le guet à cheval et le guet à pied. Que de choses à voir quand les yeux sont fermés ! »
- Une suite des gravures sur Japon Impérial
- Trois petits dessins originaux avec leur maquette, 3 lithographies et sept maquettes de Raoul Dufy.

Édition originale. 4 cuivres hors texte et 6 bois gravés par Jean Laboureur. 1 des 60 exemplaires hors-commerce. Exemplaire n° III imprimé pour Fernand Fleuret sur Japon.  Un ouvrage unique. Vendu

8 commentaires:

André a dit…

Pour un ouvrage dit "unique", mon premier réflexe est de me brancher sur vialibri, puis sur les résultats des ventes publiques mais en ce qui concerne ces dernières, avec beaucoup de prudence.
Et puis j'envoie tout balader et me laisse guider par l'envie, donc la passion ... Et alors commence un dialogue avec le libraire pour obtenir parfois un rabais...

Pierre a dit…

Le dialogue avec le libraire est un moment privilégié quand l'acheteur est un connaisseur (et inversement). Chacun connait la valeur de l'ouvrage - littéraire, éditoriale, etc). Ensuite, tout est affaire d'envie d'un côté, de besoin de l'autre...

Une transaction qui n'aboutit pas n'est pas un échec. On ne bute que sur des problèmes d'argent ! Pierre

Jean-Luc a dit…

Encore un billet qui pose de vraies questions mais auquel on ne peut donner que des réponses modérées puisque archivées ici pour la postérité et accessible instantanément à tous.

D'abord je récuse la pertinence du terme "province" et libraire de province ne veut plus rien dire d'intéressant.

Tu insinues que, parce qu'éloigné géographiquement de la capitale, j'ai nécessairement une méconnaissance de l'art et un manque de notoriété professionnelle. Ce n'est pas tenable.

Je connais des confrères parisiens, berlinois ou encore new-yorkais dont les connaissances ne valent pas un clou (justement) sur certains sujets de bibliophilie.

Je connais des libraires et des bibliophiles installés dans des petits villages de France que je consulte régulièrement parce qu'ils sont très pointus sur certains sujets.

Cela me rappelle la grande rigolade lorsque Wikipedia avait dressé ses premiers statistiques géographiques et qu'on s'était aperçu que les contributeurs les plus pointus et les plus productifs se répartissaient sur tout le territoire et que Paris faisait soudain figure d'enfant pauvre de la culture.

Quant à la problématique du clou en particulier, c'est la problématique du réseau en général. Et si on doit parler de l'importance du réseau en librairie, ses soupapes, ses rouages et ses abominations, il faut ouvrir le débat ailleurs. et comme il faudra citer des noms et des exemples, ce ne pourra être sérieusement un débat public.

Pierre a dit…

Jean-Luc, je vous rassure, quand je parlais de libraire de province, je parlais de moi ;-))

Quand à la compétence, elle ne dépend pas en effet du lieu de notre installation ! Il n’empêche que l'offre et la richesse en ouvrages de bibliophile - qui enrichissent nos propres compétences par le "vu et touché" - sont plus importantes à Paris que nulle part ailleurs. Il n'y a qu'à voir les catalogues des salles de vente parisiennes...

Je comprends bien qu'il est difficile de donner des exemples de la "règle du clou" sans blesser des confrères. Mais, par ces exemples, je voulais aussi rappeler (et démontrer) que le travail de recherche, de présentation, de mise en valeur d'un ouvrage par un confrère compétent donnait de la valeur ajoutée à cet ouvrage et pouvait ainsi expliquer le prix demandé. Pierre

Jean-Luc a dit…

Oui, je comprends bien toute cela, mais il n'empêche.

L'avantage de Paris, c'est la proximité avec les grandes bibliothèques. C'est vrai, même si cela signe l'échec cuisant de la décentralisation.

Pour ce qui est des ventes sur Paris, combien de ces ouvrages sont passés dans nos mains avant atterrir chez X ou Y ! Paris aspire certains ouvrages car ils se vendraient peut-être moins bien hors réseau, frilosité des vendeurs qui mirent le risque zéro, mais la plupart des vendeurs ne sont pas parisiens, vous le savez bien.

Et finalement, oui, le travail du libraire procure de la valeur ajouté aux ouvrages dans certaines limites. Ces limites sont vite atteintes avec les livres de peintre et les livres d'artiste. Des descriptions médiocres sur des records de vente, je peux en fournir à la pelle. Parce qu'à partir d'un certain seuil, ce n'est plus la notice qui fait la vente, c'est la capacité de tel ou tel vendeur à activer un réseau dont le fonctionnement est franchement bien éloigné de la librairie.

Là encore, on pourrait donner la liste de grands (et fortunés) amateurs qui ne mettent jamais les pieds dans une librairie.

Arrêtons-là, car je serai ravi de poursuivre cette conversation autour d'un verre à l'occasion.

Pierre a dit…

Je suis preneur de la liste de grands (et fortunés) amateurs qui ne mettent jamais les pieds dans une librairie.

Vous me la donnerez en venant prendre un verre, à l'occasion ;-)) Pierre

calamar a dit…

chacun fixe son prix en fonction de son environnement. Le même lot, qu'on veut vendre sur une petite brocante ou à un milliardaire, ne se vend pas au même prix. Mais il faut bien sûr pouvoir reconnaître le potentiel du lot en question... les grands marchands ont un réseau de rabatteurs, qui savent où trouver la bonne marchandise. Celle-ci aura pu être vendue plusieurs fois entre marchands avant de trouver le bon client.
Ceci n'a rien de spécifique au livre.

Pierre a dit…

Je vous fais part de deux réflexions reçues ce matin par chaise à porteur : " Je commencerais déjà en premier à calculer la valeur des différents éléments afin de présenter un prix qui empêcherait l'achat par un casseur, quitte à baisser le prix pour un client connu, de plus cela donne souvent une idée assez juste de la valeur " et " Quand on voit la cote de Dufy dans les ventes de peinture ou dessins, on peut en revanche s'interroger sur la valeur de la double page colorée par Dufy, même non signée, bien encadrée vendue avec le certificat de la fin du livre ? "...

Et là, le doute m'envahit. Ai-je mis le clou au bon endroit ?

Je devrais, peut-être, garder ce livre quand, impétrant slameur, je réserverais une place au Grand Palais ? J'aime bien rêvasser le dimanche matin ;-)) Pierre