mercredi 23 février 2011

Le drame des successions : Edition In folio des œuvres de J.J. Rousseau chez Gabriel Dufour éditeur.


Il m'arrive de constater des choses navrantes lors de partages de bibliothèque familiale…

C'est pourquoi, j'engage les bibliophiles à prendre soin des livres qui les ont enchantés, après leur disparition ! L'expression "Après moi, les mouches !" a un côté "j'm'enfoutiste" qui m'irrite.

J'admets qu'il faille mourir, j'admets aussi que l'on puisse complètement bâcler sa "dernière phrase" et ne pas laisser l'image du littérateur génial que l'on serait en droit d'attendre de la postérité, j'admets qu'on puisse découvrir sous les plus beaux maroquins aux armes de vos rayonnages, la collection intégrale de Playboy ; j'admets que vous manquiez de rigueur dans le choix de vos livres et qu'en conséquence de quoi, aucune cohérence n'existe dans votre bibliothèque, j'admets que n'ayant jamais fait partager votre passion à votre épouse ou vos enfants, ces derniers puissent se désintéresser de la valeur de vos livres, j'admets aussi que, croyant à la réincarnation, vous vous régalez à l'idée de pouvoir vous racheter vos ouvrages pour une bouchée de pain, mais je n'admets pas que l'on se désintéresse sciemment du devenir de ses livres à sa disparition !!!


Si j'émets cette brève et singulière protestation, c'est parce que les deux ouvrages que je vais vous présenter à la vente, aujourd'hui (qui voudra me les acheter ?) sont le résultat d'un partage idiot. Pensez-donc ! Deux beaux in folio de Rousseau, chacun incomplet d'un tome, car partagés par des indifférents à la littérature suivant un manque de logique des plus évidents. Rousseau : Les confessions. Tome I / Rousseau : Emile. Tome II


J'imagine la conversation entre le frère et la sœur (on peut changer le scénario à sa guise en augmentant la fratrie) :

- Bon, on partage à quantité égale ?
- D'accord, mais pour ne pas faire de jaloux, on prend un bouquin de chaque ?
- Entendu. Rousseau, c'est pas un nageur ?
- J'chai pas. Il aurait fallu demander à Papa…

Ce genre de mésaventure n'arriverait jamais avec des billets de 50 € que l'on couperait en deux. Je vous propose donc de laisser dans votre tiroir de bureau, le testament de vos livres sous la forme de quelques recommandations simples.

- On ne sépare pas une collection
- On se fait aider par un ami bibliophile ou un expert si on hésite


Les ouvrages que je vous présente sont de toute beauté car à grande marge, imprimés dans un beau papier et parfaitement reliés mais un sort funeste s'attacha à cette édition dès sa sortie des presses. Imaginez ! Pas une seule gravure n'est présente dans les deux folios, bien que leur nombre et leur qualité soit mentionnée dans le préambule. On ne peut même pas incriminer un quelconque "tronçonneur de folio" d'être intervenu. Aucune déchirure ou irrégularité dans la reliure ne sont là pour l'expliquer. Cette édition a été reliée postérieurement sans ses illustrations, c'est tout !


Alors pourquoi vouloir me séparer de l'inséparable, me direz-vous ? Un ouvrage incomplet de son texte et de ses gravures n'a guère de valeur… Pour vous faire réfléchir au devenir de votre bibliothèque, peut-être ? Pour que vous me disiez à quelle période de sa vie, il faut s'en inquiéter, ce qu'il est bon de faire… Je rêve un peu en me disant que ces deux in folio sont le "graal" d'un bibliophile qui possèderait le petit frère et la petite sœur. Faisons un rêve… Pierre


ROUSSEAU (J.J). Œuvres de J.J.Rousseau, citoyen de Genève. Édition ornée de figures, et collationnée sur les manuscrits de l'auteur, déposés au comité d'instruction publique. A Paris, chez Defer de Maisonneuve, de l'imprimerie Didot le jeune, 1793. Émile. Tome II. Format in folio. Reliure en demi basane havane à coins, dos orné de nerfs avec filets et dentelles dorés, pièce de titre et tomaison en maroquin à lettres dorées. Page de garde en papier coloré. Reliure postérieure avec exlibris 1920. 548pp. Quelques épidermures, intérieur parfait. 60 € + port


ROUSSEAU (J.J). Œuvres de J.J.Rousseau, citoyen de Genève. Édition ornée de figures, et collationnée sur les manuscrits de l'auteur, déposés au comité d'instruction publique. A Paris et à Amsterdam, chez J.E Gabriel Dufour, successeur de Defer de Maisonneuve, de l'imprimerie Didot le jeune, AnVII. Les confessions. Tome I. Format in folio. Reliure en demi basane havane à coins, dos orné de nerfs avec filets et dentelles dorés, pièce de titre et tomaison en maroquin à lettres dorées. Page de garde en papier coloré. Reliure postérieure avec exlibris 1920. 528pp. Coiffe supérieure déchirée en partie, quelques épidermures, intérieur parfait. 60 € + port

18 commentaires:

calamar a dit…

Vous les vendez séparément ??? mettez-vous à leur place, un instant ! pendant des années ils ont résisté, s'épaulant l'un l'autre, résistant aux naufrages et autres catastrophes inouïes... Enfin ils arrivent à bon port, se croient sauvés : un libraire ! qui connaît l'importance et la valeur des liens qui unissent un tome à son frère !
... Las, quelle cruelle désillusion : ils sont impitoyablement proposés séparément...
Il ne leur reste plus qu'à compter sur la généreuse bienveillance d'un bibliomane (pas un bibliophile, compte tenu de leurs graves handicaps) compatissant.

Librairie L'amour qui bouquine Livres Rares | Rare Books a dit…

Histoire de vous remonter le moral Pierre !

http://livres-anciens-rares.blogspot.com/2010/05/une-des-plus-rares-editions-des-oeuvres.html

J'ai vendu cette série à quelqu'un qui en prendra soin, j'en suis certain. Amoureuse de Jean-Jacques elle ne pourra faire la même erreur... enfin j'espère... je lui en parlerai prochainement... au cas où...

B.

Pierre a dit…

Et si je mentionnais dans la notice que c'est le fameux exemplaire auquel Béraldi a enlevé les gravures ?

Merci pour le lien, Bertrand. Je me console en pensant que cette édition rare (je n'en avais pas trouvé à la vente mais au vu de l'"incomplétude" de mes deux tomes, je n'ai pas poussé mes recherches plus en avant) manque à un collectionneur de J.J Rousseau qui sera heureux d'en posséder un exemplaire même incomplet. Pierre

Pierre a dit…

Calamar, je dois vous féliciter pour votre judicieuse remarque. Les vendre séparément c'est démembrer encore plus une famille ! J'en tiendrai compte.

Compte tenu des informations mentionnées par Bertrand, le mieux serait maintenant de trouver ces œuvres complètes en insistant auprès du vendeur sur le fait que deux tomes (confessions/tomeI et Émile/tomeII) ne m'intéressent pas du tout, pour que ceux que je possède, une fois reliés à l'identique retrouvent une nouvelle famille. Pourquoi n'y avais-je pas pensé plus tôt ?

Je suis votre débiteur. Pierre

Textor a dit…

Pierre,

Découper les bibliothèques dans ce sens là est un moindre mal. Je suis allé diner, il a 8 jours, dans une célèbre brasserie de la Porte Maillot à Paris. Imaginez-vous qu'à l'étage un petit salon qui m'était réservé a été décoré en forme de bibliothèque. Rien de bien original, la mode fut lancée voici plus de vingt ans à Marseille par une éditrice. Sauf que là, tous les livres ont été soigneusement sciés par le milieu et collés sur le mur, ne laissant apparaitre que le dos et une demi-reliure, (c'est le cas de le dire !)
Et en plus les reliures sont belles et les éditions d'époque.
Cela m'a fait mal, j'y vois le signe du début de la fin du livre, considéré comme un simple objet à la merci d'un décorateur monomaniaque !
Il faudrait créer d'urgence une association contre la maltraitance des vieux livres....
T

Anonyme a dit…

Oui mais ça prend moins de place dans nos petits appartements. Pas si bête finalement, surtout quand on ne les ouvre plus.

Montag

calamar a dit…

et puis comme ça on peut faire passer un demi-maroquin pour un maroquin entier, scié. Un défaut tout de même : je n'ai pas essayé, mais je soupçonne le procédé d'être irréversible... Que se passera-t-il quand Henri Bordeaux redeviendra à la mode ? (hypothèse hardie, c'est vrai).

Pierre a dit…

Calamar, ces laitances de poisson vous font un bien fou ! Quelle pertinence !

On pourrait parfaitement imaginer que Henri Bordeaux ou Maurice Dekobra reviennent à la mode. Maurice Dekobra ? Non, peut-être pas, quand même... Et qu'adviendra t-il à ce moment ? Devrons-nous nous contenter de demi-roman en plein maroquin ?

Montag, j'ai peut-être une idée pour vous. Plutôt que de posséder une bibliothèque de demi-ouvrages qui répondent aux aspirations des jeunes couples de votre âge, pourquoi ne pas essayer une demi-bibliothèque d'ouvrages complets qui assureront la postérité des auteurs qui en font partie ?

Il n'est pas impossible que le monde ne s'écroule pas après notre disparition... Pierre

Librairie L'amour qui bouquine Livres Rares | Rare Books a dit…

"Il n'est pas impossible que le monde ne s'écroule pas après notre disparition" a écrit Pierre.

Moi qui rêvait que le monde ne s'écroulât après la mienne... me voici déconfit ! (de canard évidemment) ...

Saviez-vous qu'un exemplaire de cette édition, complète, avec les gravures, et sur grand papier, en plein maroquin rouge de Lefevre, s'est vendu chez Christie's à Paris le 25 juin 2009... la broutille de 80.200 euros soit 111.869 dollars US !! Pour preuve : http://www.christies.com/LotFinder/lot_details.aspx?intObjectID=5220948

Évidemment c'est un peu comme comparer Clara Morgane avec Juliette (non, pas celle de Roméo...)

Je sens d'ici la volée de bois brut (un peu vert) ....

B.

Jean-Paul Fontaine, dit Le Bibliophile Rhemus a dit…

Textor, une photo, que je porte plainte à la S.P.A. (Société Protectrice des livres Anciens)!

Nadia a dit…

Bertrand aime vivre dangereusement...

Librairie L'amour qui bouquine Livres Rares | Rare Books a dit…

oui Nadia... j'en mourrai ! c'est sûr ! ;-)) ... comme tout le monde !

B.

Anonyme a dit…

Bonsoir,
Voici ma reponse au sujet d'un monde qui doit mourir bientôt, si j'en crois les futurologistes et autes charlatans de bazar;
Il est des endroits ou l'on se sent bien.
http://reliure-bibliophilie.blogspot.com/
Bien à vous.
sandrine qui préfére écrire ses reponses sur son blog, tout en adorant les librairies et les bibliothéques quand même, isn't it?

Anonyme a dit…

"une demi-bibliothèque d'ouvrages complets qui assureront la postérité des auteurs qui en font partie ? " dites-vous.

Faut que j'en parle. Si je ne suis pas obligé de les lire, pourquoi pas...

Lug.artblog a dit…

Séparez-ça en 3 parties.
La première pour ceux qui aiment les livres pour ce qu'ils sont (écriture, fond,couvertures, illustrations et autre... Un goût de bibliophile donc). La seconde partie pour ceux qui affectionnent particulièrement l'un où l'autre livre, de façon totalement subjective ("tu te rappelles, papa nous lisait ça le soir, avant d'aller nous coucher et de regarder un documentaire sur les baleines."). La troisième partie, celle qui n'intéresse personne, donnée ou vendue (jamais jetée!) à qui le souhaite.
Séparez-ensuite en deux parts égales chaque partie citée précédemment, y compris la dernière.
Vous obtiendrez un super gâteau.

calamar a dit…

à la faveur d'une publication Facebook, je relis cet article sur un lot désolant, et à la réflexion je vous trouve trop sévère pour le vendeur. Supposons qu'il ne soit pas fin connaisseur de Rousseau. Il a pu de bonne foi penser que ce monsieur inconnu a publié un livre en 2 parties, la première titrée les Confessions, et la seconde Emile.

calamar a dit…

Je note au passage que ces incomplets ne sont toujours pas vendus 2 années plus tard. Comme quoi les conseils du genre "n'achetez jamais d'incomplet" sont une plaie pour le libraire !

Pierre a dit…

Par moment, j'ai un peu l'impression de me tirer une balle dans le pied ;-)) Pierre