lundi 14 février 2011

Causerie du lundi de Philippe Gandillet. Hommage à Prosper Mérimée. Sa correspondance avec Anthony Panizzi.


Méfiez-vous des statues, messieurs dames. Méfiez-vous des statues.... Elles sont peut-être vivantes ! Oui, elles sont peut-être vivantes…

Alors qu'il venait tout juste de marier son jeune fils, un homme trouva une statue de Venus d'une étrange beauté, enfouie dans son jardin. Sa beauté était infinie, en effet, mais émanait de son regard une mystérieuse lueur humaine qui dérangeait. L'artiste qui l'avait sculpté lui avait donné des traits quelques peu contractés. Ses yeux étaient un peu obliques, sa bouche relevée des coins et ses narines légèrement trop gonflées. Une sorte de dédain, d'ironie et même de cruauté se lisait sur son visage. En vérité, plus on regardait cette admirable statue, plus on la regardait et plus on éprouvait le sentiment pénible qu'à une si merveilleuse beauté s'alliait l'absence totale de toute sensibilité.


Le hasard fit que le jeune marié, voulant aller s'ébattre avec quelques amis sur la place du village, au moment de faire une partie de balle, avait ôté de son doigt l'anneau nuptial et l'avait mis au doigt de la statue de Venus. Geste sans conséquences, me direz-vous ! Et pourtant... Écoutez plutôt... Le jeu fini, quand il vint reprendre son anneau, il trouva le doigt de marbre de la statue recourbé jusqu'à la paume de la main, et ne put, malgré tous ses efforts, ni le briser, ni retirer la bague. Étrange n'est-ce pas ? Inquiétant même…


Il ne dit mot à ses amis et s'en alla fort pensif. Quand il revint, la nuit venue, avec l'intention coûte que coûte de récupérer sa bague, il constata médusé que le doigt de la statue s'était redressé et étendu, mais que la bague avait disparue. Elle avait inexplicablement disparue... Plus tard, rentré dans sa maison et couché près de sa jeune épouse, il sentit entre elle et lui un obstacle imposant lourd et froid. Il entendit alors une voix venue d'outre tombe lui dire " C'est à moi qu'il faut t'unir, c'est moi qu'il te faut épouser. Je suis Vénus, tu as mis à mon doigt l'anneau nuptial et je ne te le rendrai pas "


Stupéfait, le jeune marié se retourna et découvrit la statue de Venus qui le regardait. Il se mit alors à crier d'effroi ce qui réveilla son épouse qui perdit connaissance à la vue de ce spectacle. Elle ne put, en aucune façon, dire combien de temps elle demeura évanouie. Revenue à elle, elle revit la statue - ou le fantôme, comme elle dit toujours - immobile, les bras encerclant comme un linceul, son mari sans vie. Au matin, la statue sortit du lit et laissa tomber sur le sol le cadavre du jeune marié déjà glacé. Effrayant, non ?


Lorsqu'on découvrit le jeune couple, la femme avait perdu la raison, en tout cas, c'est ce que dirent les gens. Et pour rendre la justice qui cherchait un meurtrier présentable, on pendit même un pauvre vagabond qui passait par là. Surprenante histoire, vous ne trouvez pas?


Aussi, messieurs dames, quand il vous viendra à l'idée de vous moquer d'un monument funéraire, de flatter lubriquement la croupe d'une statue ithyphallique, lorsqu'il vous viendra à l'idée de graver vos initiales sur une sculpture ou de tagger une œuvre d'art - Ne souriez pas jeune homme, ne souriez pas ! - je vous conjure de n'en rien faire ..., de vous abstenir. Il se pourrait que l'artiste qui lui a donné le jour, lui ait donné aussi un peu de sa vie et qu'elle désire un jour se venger !...Les statues sont peut-être vivantes, messieurs dames...Peut-être vivantes... Méfiez-vous ! A bon entendeur, salut. Votre dévoué. Philippe Gandillet

MERIMEE (Prosper). Lettres à Mr. Panizzi (1850-1870). 2 tomes. Paris, Calmann Levy, 1881. Cinquième édition. Format in/8, reliure demi-veau glacé, dos a 4 nerfs, pièce de titre en lettres dorées. Page de garde en papier coloré. Frontispice dans chaque volume, 367 et 454 pages. Anthony Panizzi, est un bibliothécaire britannique d'origine italienne (1797 - 1879).  Il rentre en relation épistolaire avec Guizot, Thiers, Garibaldi et Mérimée. C'est cette dernière correspondance qui est publiée, en 1881. Mérimée s'inspire du travail de Panizzi lorsqu'il rédige ses propositions de remaniement de la Bibliothèque impériale en 1858. Rares rousseurs. Bel exemplaire qui nous éclaire sur la vie et la pensée de ce grand commis de la France. 120 € + port

7 commentaires:

Jeanmichel a dit…

Eh bien, quelle histoire ! Elle donne le goût de l'incompréhensible.
Encore une mission pour les experts-Vaucluse, et même pas un indice qui orienterait vers un coupable tout désigné, du genre "Vénus m'a tuer" tracé sur le mur en lettres de bronze.

Pierre a dit…

Un seul indice aurait pu orienter les personnes les plus perspicaces sur la culpabilité de cette Vénus : La statue tient encore dans sa main la balle de jeu du jeune marié... Ph Gandillet.

Nadia a dit…

Moi, perso, je ne flatte jamais lubriquement les croupes des statues (juste je les regarde), et ensuite, il est couillon, ce brave garçon (pour parler provençal) : s'il avait mis la bague à un autre doigt que l'annulaire, il aurait été moins enquiquiné !

Anonyme a dit…

J'avais oublié de préciser que ce billet est tiré d'une nouvelle de Prosper Mérimée La Vénus d'Ille écrite en 1835 et publiée en 1837 alors que l'auteur avait 34 ans.Ph Gandillet

Anonyme a dit…

le fait d' avoir été ecrit par prosper Mérimée ne change rien au fait que cette histoire est complétement débile.
Bien à vous.
sandrine

Anonyme a dit…

L'histoire n'a pas été écrite par Prosper Mérimée, je vous rassure ! Elle en est, simplement, librement inspirée. Ph Gandillet

Nadia a dit…

Et bien moi je ne la trouve pas débile ! on dirait un ancêtre de polar... Agaga Christie n'est pas loin derrière ! et puis, il ne faut pas frayer avec les statues, quand il existe des femmes bien vivantes...