samedi 18 décembre 2010

Evariste GHERARDI . Le théâtre italien et la commedia dell'arte en 1694...


Dans un lot de livres achetés, on trouve parfois un ouvrage dont on sent, tout de suite, qu'il est digne d'intérêt même si l'on ne possède pas les compétences pour en juger de prime abord. C'est ce qui s'est passé avec le livre que je vous présente aujourd'hui.

Je connaissais l'Hôtel de Bourgogne pour avoir été la villégiature, au 17eme siècle, d'une troupe de théâtre qui s'était illustrée dans la représentation des œuvres de Racine, troupe qui fut rejoint à la mort de son chef, La Thorillière, en 1680 par celle de l'Hôtel de Guénégaud où avait joué Molière.


C'est le titre même de l'ouvrage qui me précisa que les fameuses pièces de la Commedia dell'arte, qui avaient été si à la mode pendant le siècle de Louis XIV, furent jouée en ce lieu !

On doit à Évariste Gherardi (1663 /1700) acteur et dramaturge italien arrivé en France au début des années 1670 d'avoir essayé d'en écrire quelques scènes. Cet Arlequin célèbre de l'époque réunit de nombreuses pièces, sous un volume d'abord (1691 ? / 1694), puis sous trois volumes (1695), puis dans une dernière édition en six volumes enrichies de gravures (Recueil de toutes les scènes françaises qui ont été jouées sur le théâtre italien de l'Hôtel de Bourgogne de 1694 à 1700) qui nous apprennent aujourd'hui beaucoup sur cette Commedia dell'arte.


Le seul fait que des dialogues français furent rédigés et qu'un membre de la troupe, Evariste Ghérardi, qui jouait le rôle d'Arlequin, décida de les publier dans un recueil, indique un changement profond dans la conception de la commedia dell'arte à cette époque. Auparavant, la seule partie écrite était le canevas (simple résumé de l'action et répertoire de gestes ou d'attitudes) et quelques morceaux dialogues qui accompagnaient le jeu. Par sa transcription, la commedia dell'arte devenait un genre littéraire à l'égal des classiques français. Certes, cette transformation fut progressive et le jeu de gestes continuait à garder une place importante ; toutefois, elle influa aussi sur ce jeu en effectuant une élévation générale du niveau de la commedia dell'arte.


La nécessité d'introduire des dialogues, rédigés d'avance par des auteurs dramatiques qui n'étaient pas eux-mêmes comédiens, créa un conflit dans l'esprit de Ghérardi lui-même comme on peut le constater dans "l'Avertissement " de l'ouvrage ! Il déclare catégoriquement que les scènes dialoguées, qu'il a pourtant publiées ici, n'ont qu'un intérêt secondaire car le comédien italien " a une furieuse impatience de se délivrer d'un rôle débité par cœur qui est comme un fardeau qui le fatigue beaucoup "…


En 1697, la troupe des italiens fut chassée à trente lieues de Paris. Cet exil résultait d'une vengeance des comédiens français. Louis XIV, peut être mal informé, pris cette décision en raison d'une pièce " La fausse prude" qui ridiculisait Madame de Maintenon et qui n'aurait en fait jamais été jouée… En réalité, les italiens gênaient par leur insolence. Molière attaquait les médecins mais les italiens attaquaient les gens de Justice ce qui est bien plus grave !!


On connaît, en fait, la commedia dell'arte presque uniquement d'après le recueil de Gherardi [6 vol. in- 12 dans l'édition définitive] qui comprend des extraits plus ou moins étendus de 55 pièces. Malgré les attaques très vives qu'il contient contre les procureurs, commissaires, avocats, financiers, etc., vous constaterez qu'il exclut tout élément de satire proprement politique. Ni le Roi, ni les ministres, ni le Parlement, ni l'Église n'y sont jamais cités… Je vous propose ici une édition de 1694, en un volume. La reliure présente des défauts mais je laisse le choix au futur propriétaire d'une restauration par un professionnel. Le texte est en excellent état.


Nous avons là un ouvrage peu commun à la vente (je ne l'ai trouvé nulle part, jusqu'à ce que Martin m'en prouve le contraire)… Ce n'est pas moi qui le dit mais Alexandre Martineau de Soleinne (Bibliothèque dramatique de Monsieur de Soleinne. Catalogue rédigé par P. L. Jacob, bibliophile. Paris, Alliance des Arts, 1843-1845, 6 vol). Pierre


GHERARDI (Evariste). Le Théâtre italien, ou le Recueil de toutes les scènes françoises qui ont esté jouées sur le théâtre italien de l'hôtel de Bourgogne. Paris chez Guillaume de Luyne et chez le Sieur Gherardi, 1694. Reliure plein veau, dos à nerfs orné de caissons à motifs floraux. Pièce de titre et tomaison en maroquin rouge. Roulette sur les coupes. Tranches mouchetées. La reliure mentionne une tomaison (sur d'autres ouvrages de commedia dell'arte) mais l'ouvrage présenté est en un seul tome. Format in-12. 1f, 4ff avec page de titre, épitre et avertissement, 545pp, 2ff avec privilège. "Toutes les anciennes éditions de ce recueil sont très rares" (Lacroix, Cat. Soleinne) et "la première, de 1691, est introuvable" (Soleinne). Ce recueil comprend : Arlequin empereur dans la Lune, Le Banqueroutier, Colombine avocat pour et contre, La Matrone d'Ephèse, Arlequin protée, Arlequin Jason ou de la Toison d'or comique, La Fille savante, Arlequin Mercure galant, La cause des Femmes, Du Phenix, Des souhaits, Arlequin grand sophy de Perse, Le Divorce, Arlequin homme à bonne fortune, La bagatelle de Vulcain, Les Aventures des champs Elisées et Plaidoyer d'Arlequin défenseur du beau sexe…. Défauts de reliure mais aspect extérieur sain. Intérieur très frais. Cahiers bien solidaires. Vendu

5 commentaires:

pascalmarty a dit…

Dans le splendide Molière de Mnouchkine, il y a une scène sur une expulsion des Italiens de leur théâtre. Je dis une, car elle se place avant la mort de J-B P, donc largement avant 1697. Liberté avec la chronologie, ou avaient-ils déjà déplu avant, ce qui n'aurait rien d'impossible?
Toujours est-il que ce bouquin correspond tout à fait au genre de choses que je rechercherais si mes moyens me le permettaient (que je rechercherai quand mes moyens me le permettront). Jolie trouvaille.

Pierre a dit…

Liberté avec la chronologie, en effet, s'il s'agit de l'Hôtel de Bourgogne. Le statut de saltimbanque s'apparentait néanmoins à celui d' intermittent du spectacle à cette époque !

Le problème posé par l'évaluation financière des éditions originales de pièces de théâtre provient aussi de l'habitude qu'avaient les amateurs ou les troupes de relier différentes pièces ensemble de façon chronologique... J'ai, par exemple, Le barbier de Seville en édition proche de l'original coincé entre un lot d'auteurs oubliés, en édition princeps, sans valeur. Et il n'est pas question de "tronçonner". On fait quoi alors ? Je vais présenter ces recueils dans la foulée en espérant ne pas vous dégouter du théâtre ;-)) Pierre

pascalmarty a dit…

Une chose de sûre quant à l'évaluation financière : je ne faisais allusion qu'à la platitude de ma bourse.
Et quant à me dégoûter du théâtre, si c'était possible en ce qui me concerne, il y a belle lurette que théâtreux et théâtreuses s'en seraient déjà chargés (or point n'y sont parvenus…).

Pierre a dit…

Une petite fonction en plus : A la fin de chaque message, vous pourrez maintenant choisir un des trois articles qui vous sont proposés.

C'est beau le progrès ! Pierre

Pierre a dit…

Cela parait incroyable mais, depuis près de trois mois et ceci sans discontinuité, ce billet est le plus lu depuis la création du blog avec des pointes qui sont trop flatteuses pour être honnêtes !

Je me dis que le thème de la Commedia dell'arte doit souvent être inscrit dans les épreuves des étudiants en classe de théâtre... A côté de ceci, l'ouvrage est toujours dans mes tiroirs ;-)) Pierre