Je trouve sous la porte, en entrant dans la librairie de Pierre, ce matin, une petite enveloppe carrée de couleur ivoire dans un très beau papier vélin. Un détail, me direz-vous, mais je suis lassé de ces enveloppes blanches au format rectangulaire qui contiennent pour la plupart des lettres de relance plus ou moins amicales… A l'intérieur quelques mots à la plume sur une carte anonyme. Un discret parfum de femme s'échappe de l'enveloppe. L'écriture à l'anglaise m'ôte d'un doute : Vraisemblablement, une jeune femme de mon age …
Sur ce billet, deux simples phrases qui en disent long sur l'admiration sans faille de mon lectorat :
Cher Maitre,
Vous qui savez tout sur tout, pouvez vous nous parler de Nicolas Boileau, l'illustre Académicien dont vous occupez le siège ? Je prendrais comme une infinie faveur que vous m'apportiez pour le dîner, où vous êtes invité ce soir, une version autographe de ce billet que je pourrais lire plus tard aux habitués de mon salon.
Comtesse A*** de L'O*****
Je ne connais pas cette dame mais comme je ne sais pas où dîner ce soir, je m'exécute. Il me reste à trouver sur les rayonnages de la librairie un ouvrage présentable… Ah ! Voici un bel exemplaire in quarto. Une petite restauration de la reliure sera à envisager, néanmoins...
Nicolas Boileau, ou Boileau-Despréaux est né en 1636. Gilles Boileau, son frère aîné, l'a précédé dans la gloire car élu à l'Académie française, pour sa part, dès l'âge de 28 ans. Les deux frères Boileau fréquentent alors l'hôtel de Rambouillet ainsi que les libertins du cabaret de la Croix Blanche ; dont La Fontaine et Molière ; et sont renommés pour être hostiles à la préciosité en vogue durant ce siècle.
Il publie avec un grand succès, ses premières satires en 1666. De là, date la haine dont souffrira tant Boileau, tout au long de sa vie. On ne se moque pas délibérément sans déplaire…Il fait à cette époque la connaissance de Racine dont il corrige la Thébaïde et consacrera sa Satire II à son ami Molière… " Racine boit l'eau de la fontaine Molière". Les quatre mousquetaires, prompts à dégainer la plume, étaient déjà réunis bien avant notre moyen mnémotechnique… Il faudrait, d'ailleurs, y ajouter La Rochefoucauld pour n'oublier personne !
Gilles Boileau meurt 1669. Nicolas Despreaux prend alors le nom qu'il rendra célèbre : Nicolas Boileau.
Pour fêter les victoires de la guerre de Hollande, il écrit l'Epître IV au Roi et devient, par ce compliment, un courtisan respecté. Boileau se rend rapidement célèbre en écrivant Le Lutrin, une parodie de la tragédie en vogue ainsi qu'une oeuvre inspirée d'Horace, l'Art Poétique qui rencontre un véritable succès. En 1677, il soutient Racine contre la cabale de la duchesse de Bouillon durant l'affaire de Phèdre. Il leur est notamment reproché un sonnet qui aurait pour but de déshonorer leurs adversaires. Mais Condé, La Rochefoucauld, Madame de Montespan et Colbert les protègeront.
En cette même année, Racine et Boileau sont nommés historiographe du Roi, grâce à l'insistance de Madame de Montespan et de sa sœur mais doivent désormais se consacrer au service du roi. Ce dernier le lui rend bien… Boileau qui ne songeait pas à se présenter à l'Académie française où il avait beaucoup d'adversaires cède au désir que lui exprime Louis XIV de le voir entrer dans cette illustre compagnie. Après un premier échec où La Fontaine fut élu, Louis XIV manifesta son mécontentement en retardant l'acceptation du nouvel académicien et Boileau fut élu à l'unanimité à la première place vacante, qui fut celle de Bazin de Bezons en 1684.
Un poème de Charles Perrault, le Siècle de Louis le Grand qui met les contemporains de Perrault au dessus des anciens relance une dernière fois Boileau dans la polémique avec ses confrères écrivains. Il lance ainsi la querelle des anciens et des modernes qui se terminera par le décès des anciens…Après cette date, son activité littéraire se réduisit considérablement. Il se tourne de plus en plus vers la religion et le jansénisme. C'est dans ce cadre austère qu'il mourra à 75 ans…
Ses exécuteurs testamentaires publieront ses oeuvres complètes en 1713 et en 1716, son ami Brossette, publiera les oeuvres complètes de Boileau avec des commentaires. En 1740, la Veuve Alix (Jean Barthelemy) qui a vendu sa maison après de décès de son mari obtient de ses acheteurs - Etienne David, Desprez, Coignard, Mariette, Desaint et Jean Vilette - d'éditer les œuvres de Boileau au format in-4, à son compte. C'est cette édition que j'ai trouvé pour agrémenter mon propos. Elle est ornée d'un magnifique portrait de Boileau par Rigaud en frontispice et de nombreuses vignettes, culs de lampes et lettrines de toute beauté. Le texte est à grandes marges sur beau papier. Un bel ouvrage…
J'espère ne pas vous avoir trop ennuyé avec cette sommaire biographie de Nicolas Boileau. Elle vous donnera peut-être envie de tirer le fil de ses œuvres. Mais il est déjà tard ! Je dois aller à une invitation à l'Hotel de Laudun chez une Comtesse, à qui je désire rendre un vibrant hommage à la particule... Votre dévoué. Philippe Gandillet
BOILEAU. Œuvres de Boileau, avec l'éloge de Boze, deValincour, le Bolœana, de Monchesnay , une préface et des notes de Souchay. On y trouve les Satires, des Épîtres, le Lutrin, l'Art Poétique et une traduction de longin. Paris, veuve Alix, 1740, deux volumes in-4. Reliure plein veau. Dos à nerfs orné de pièce de titre, tomaison et de motifs dorés. Pages de garde en papier coloré. Tranches marbrées. Tome I : LXX, 470. Tome II : VIII, 567. Collationné complet. Défauts de reliure aux coiffes supérieures, aux coins et aux charnières. Bel ensemble, néanmoins, aux cahiers solidaires et au beau papier vergé. Vendu
10 commentaires:
ça donne bien envie de le lire, même le Lutrin...
L'Art poétique renferme des diamants, certains célèbres, d'autres non.
ce qui se conçoit bien s'énonce clairement
et les mots pour le dire arrivent aisément...
C'est la qualité jamais reproduite de l'ouvrage qui en fait son principal attrait. Lire Boileau en version de l'époque, sans que l'œil se fatigue, avec une typographie élégante et des vignettes de toute beauté donne un plaisir sans nom. Pierre
J'aime bien Boileau, ses vers ont un charme classique, ils se lisent encore bien, je trouve. Cet article est bien documenté, je n'en savais pas autant sur l'auteur des Satires.
Et puis 240 euro, c'est raisonnable, je viens d'apprendre par l'AFP qu'on vient de vendre le livre le plus cher du Monde à Londres : 8, 6 millions d'euros ( sans les frais, évidemment ... )
T
Il faudrait peut-être que je propose cet ouvrage à 8,7 millions d'euros pour que cette offre me fasse de la publicité ? Pierre
Non, j'ai une meilleure idée, proposez un beau livre ancien à 1 centime d'euro, et votre renommée sera faite ! :)
T
Tiens, à propos de Racine et Boileau, j’ai un petit ouvrage fort plaisant, dans une reliure en veau porphyre, « Lettres de Racine et Mémoires sur sa vie « chez Bousquet à Lausanne 1747 . Ce sont les lettres de Racine publiées par son fils. En E.O. je crois. Elles donnent des détails intéressant sur la vie de Racine, bien sur, mais aussi sur celle de Boileau, car ces deux-là s’écrivaient beaucoup. Il y a des lettres curieuses où Boileau raconte par le menu son expédition à Bourbon pour aller prendre les eaux (suite à une extinction de voix). Au début, il se contente de boire de l’eau (comme son nom l’indique) puis les médecins lui proposent de prendre un bain…. Angoisse de Boileau pendant 3 semaines qui n’arrive pas à se décider à cette extrémité : prendre un bain ! Il temporise, espère aller mieux le lendemain, et finalement s’y résout. Il écrira ensuite à Racine, qu’il n’a finalement pas eu la fluxion qu’il craignait avoir en se plongeant dans l’eau. « … la vie n’est pas d’un si grand prix qu’il ne la puisse hasarder, j’ai donc tenté l’aventure du demi-bain avec toute l’audace imaginable ; mes valets faisant lire leur frayeur sur leurs visages, et M. Bourdier s’étant retiré pour ne pas être témoin d’une entreprise si téméraire. A vrai dire cette aventure a été un peu semblable à celle des maillotins dans Don Quichotte. »
Etonnant non ?
Textor
Effrayant même !
Le talc ne fait pas tout... Il faut quelquefois hydrater un peu la peau, j'imagine ?
Textor, vous ne souhaiteriez pas mettre en place une opération publicitaire à la gloire de votre immense générosité et de votre incommensurable bonté pour que votre renommée soit faite ?
Pierre
Le livre de Textor est à vendre à un centime ? j'achète tout de suite (avec 1/2 centime de commission pour Pierre, bien entendu).
Mes Amis, si Pierre vend un livre à bas prix, cela s'appelle une opération promotionnelle. Si je faisais la même chose, moi qui ne suis pas libraire, on irait dire que je casse le marché, que je mange le pain des autres. Non, non, je ne peux me résoudre à cette extrémité. Je garde mon livre ! :)
ah oui, c'est un sentiment noble. Seuls les non libraires peuvent vendre à haut prix, c'est d'accord.
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