lundi 17 mai 2010

Causerie du lundi de Philippe Gandillet. Louis-Ferdinand Céline


Les livres s'ajoutent aux livres et comme tout le monde a du talent, les livres à lire s'ajoutent aux livres à livre… C'est inexorable. La phrase proposée par Pierre au fronton* du blogue bibliophile de sa librairie tarasconnaise (Montesquieu, les lettres persanes) correspond donc à ces vœux pieux* qu'il est impossible de tenir…Nous voilà donc bien embarrassés et nos tables de nuit bien encombrées par cette littérature moderne à laquelle il n'est pas juste de se soustraire.

Assurément, la fréquentation des écrivains contemporains n'est pas sans danger. Plusieurs parmi eux ont la fièvre et sont porteurs de bactéries. Mais il ne serait pas juste de les passer sous silence. Ce serait de l'ostracisme* et l'on sait que le silence, qui manque souvent de franchise, s'avère être la plus mauvaise des barrières ! Voilà donc pourquoi, je vous présente aujourd'hui deux ouvrages d'un auteur moderne dont le contact est rude et qu'il ne faut pas aborder sans y être, un tant soit peu, préparé : Céline.

Vous pensez déjà à me remercier. Attendez la suite…


Pour faire mon travail en conscience, je me suis mis à la lecture de ces deux livres dont, je l'avoue, je connaissais mal l'auteur. Je n'ai donc pas la naïveté de présenter comme des découvertes, les réflexions pertinentes que ces lectures m'ont suggérées*. Je les relate simplement comme des thèmes de méditations que vous complèterez à loisir.

Première observation : Il faut avoir quelques notions sur la biographie de Céline pour comprendre ses livres. Louis Ferdinand Auguste Destouches, plus connu sous son nom de plume : Louis-Ferdinand Céline : (prénom de sa grand-mère), généralement abrégé en Céline (1894 – 1961), est un médecin et écrivain français, le plus traduit et diffusé dans le monde parmi ceux du XXe siècle. Sa pensée est de type nihiliste. Je résume : Point de vue philosophique d'après lequel l'existence humaine est dénuée de toute signification, tout but, toute vérité compréhensible ou toutes valeurs. Controversé en raison de ses pamphlets antisémites et de son engagement collaborationniste, il n'en demeure pas moins un des plus grands écrivains de la littérature française, diront les exégètes*. On peine à trouver quelques qualités chez le bonhomme. Je rappelle, quand même que, outre ses dons d'écrivains, Céline ne buvait que de l'eau et ne fumait pas, ce qui pour un médecin de l'époque était exceptionnel !


Deuxième observation : Le cadre matériel dans lequel Céline s'est mué* a dépassé les barrières de la France. Comme il a parcouru, par hasard ou volontairement, une partie de l'univers, ses écrits ont été influencés par les civilisations et les modes de pensées autochtones qu'il a rencontrés. Que nous le voulions ou pas, il s'est établi en lui que les valeurs traditionnelles qu'il avait défendu s'étaient détériorées et qu'il fallait construire autre chose sur ces ruines ! C'est sans doute l'échec de ses illusions qui l'ont rendu si désabusé. Reconnaissons qu'il était, néanmoins, atrabilaire bien avant ces blessures… A cet égard, ses litanies sont quelquefois fatigantes. Boris Vian disait "Dire -Merde- toutes les quarante pages, c'est courageux. Dire -Merde- toutes les pages, c'est emmerdant ! " Et c'est un spécialiste qui en parlait…

Troisième observation : En se repliant sur sa patrie mais en perdant ses valeurs spirituelles, il a perdu la notion des normes qui maintenaient la cohésion de pensée et la cohésion spirituelle de sa population : La tolérance, la hiérarchie, la discipline* et l'humanité. Le mot " défendu " ayant perdu son sens, à ses yeux, Céline se fit ses propres lois basées sur la haine et le mensonge. Il n'était pas le seul, me direz-vous ! Je connais peu d'auteurs, chez nous, qui à cette époque, osaient poser des digues contre cette mode, je ne dis pas au nom du bon sens, mais au nom de l'hygiène mentale…


Quatrième observation : S'il y a peu d'écrivains "de tout repos", il y a peu d'écrivains de talent. Beaucoup ont appris le métier d'écrire. Certains l'ont appris à la perfection. Céline l'a dépassé ! (merci, de me classer dans la deuxième catégorie) Il a fait voler en éclat, les lois de la composition, de la proportion, de la syntaxe et du vocabulaire qu'il a agrémenté de nombreux points d'exclamation !!! Il a tué l'Académie* en écrivant comme il parlait. Mais merde, quel talent ! Et quels mots ! Des mots pris au caniveau ? Bon pour les chiens… On a le droit d'innover quand on sait exactement quelles bornes on dépasse…

Il faudra malheureusement plus d'une génération pour espérer retrouver de l'élégance dans l'écriture. Le mal est fait. La jeunesse seule est à même de lire Céline quand je n'en suis, moi-même, qu'au stade de le traduire. Gardons nous, malgré tout, de donner l'impression que Céline marque le début de la décadence de la littérature de notre temps. Ce n'est qu'un moment de son évolution ! Votre dévoué. Philippe Gandillet**

* Mon inscription récente sur facebook, Le livre des visages, va inévitablement élargir ma clientèle de lecteurs, à la jeunesse. J'ai pensé qu'il serait judicieux, qu'à chaque fois que j'utiliserai un mot suranné, une règle grammaticale oubliée ou une forme de syntaxe inconnue, un astérisque* devait l'accompagner afin d'en chercher la signification ou la raison, si le besoin s'en faisait sentir.

* Astérisque : Petit bonhomme costaud qui vivait dans un village gaulois au temps de César.

** Je ne crains pas de dire que ce billet est le meilleur que j'ai fait depuis quelques temps. Par moment, il me revient l'idée d'écrire un grand traité sur n'importe quoi…


- CELINE. Voyage au bout de la nuit. Edition Froissart, Bruxelles. broché, in 8 ( 135 x 220 ), préface inédite de l'auteur, 454 pages. 1949, réédition de 1932. L.-F. Céline est en exil au Danemark, l'année 1949 confirmera ce retour d'activité avec la réédition - en France ? - de Voyage au bout de la nuit par Jacques Frémenger. Cette réédition semi-clandestine à faible tirage, l'affaire Céline n'étant pas encore assouvie, comportera une préface originale qui sera d'ailleurs reprise ensuite dans toutes les autres rééditions. Très bon état. Vendu
- CELINE. Entretiens avec le professeur Y. Gallimard. 1955. Broché de 153 pages. Edition originale. Paris, Gallimard, 1955, in-12, 154 pp., broché. Exemplaire sur alfama Marais numérotés n° 2922. Exemplaire avec rousseurs généralisées mais faiblement marquées, dos usagé avec manque de couvrure aux coiffes. Dans ces entretiens, Céline règle quelques comptes avec le milieu littéraire au lendemain de la parution de "Féérie pour une autre fois".Ex libris. Vendu

11 commentaires:

Textor a dit…

Excellent billet, pas une faute de goût, rien !
On comprend tous les mots, même ceux avec Astérix comme on dit à Alésia.

Ostracisme : Habitude de manger des huitres,
Fronton : partie d'une page internet où l'on place des idées profondes qui n'ont rien à voir avec le reste du blog,
Suggèré : image poétique, car une lecture ne suggère rien du tout...
Exégètes : peuplade grecque connue pour leur tendance à tout exagèrer, ils ont établi un comptoir à Tarascon, proche de Massilia.
Discipline : à ranger dans l'armoire à coté de la haire.

Bonne journée !
Textor à poils durs

Anonyme a dit…

Bonjour,

Ci-joint l'adresse de mon blogue consacré à Louis-Ferdinand Céline

Au plaisir

Pierre L.

http://celinelfombre.blogspot.com/

Anonyme a dit…

Évidemment, les astérisques sont là pour rappeler des mots ou des formes grammaticales oubliées. Pierre avait fait une petite rubrique, là dessus, qui mériterait qu'on la prolonge, non ?

Philippe Gandillet

Pierre a dit…

Vous avez bien compris, cher Pierre L, que cette causerie ne permettait pas de se faire une image complète et étayée des oeuvres, des pensées et de la vie de Céline.

C'est pourquoi, je vous remercie pour votre lien qui comblera les lecteurs. Merci. Pierre

Jeanmichel a dit…

Plusieurs générations seront en effet nécessaires pour oublier l'homme et ses relations douteuses afin de ne garder que l'écrivain, je le pense aussi.
Céline se lit, tout le reste c'est du "bla-bla", comme il aurait dit lui-même, puisqu'il paraît que c'est lui qui a inventé l'expression.

Pierre a dit…

Un des deux ouvrages vient de partir sous d'autres cieux.

Je lisais, à l'instant, le catalogue téléchargé d'une vente en salle qui présentera jeudi des ouvrages de Céline en belles éditions. Je me demandais ce qui contribuait à l'engouement soutenu pour l'auteur. Son style, surement. Le côté subversif de son œuvre et le personnage maudit qu'il représente ? L'homme se plait aux interdits. Pierre

Anonyme a dit…

Céline est très demandé et habituellement hors de prix, nous pouvons nous demander si c’est par amour de l’écrivain ou plutôt sa réputation de maudit qui encourage la spéculation… Mais, comme l’affirme Jean-Michel, tout ça est du Blabla, en effet le mot est bien de lui, la première fois dans : «Bagatelles pour un massacre»… Seule son écriture compte et à la fin, il ne restera qu’elle.

Céline laisse rarement indifférent, autant les admirateurs que les contradicteurs sont passionnés… L’écriture célinienne renferme la puissance du verbe, quelque chose de mystérieux, une petite technique bien à lui, sa musique, comme il l’appelait. Il faut bien être conscient que la littérature française ne s’est jamais remis de «Voyage au bout de la nuit»

Merci à Pierre d’être devenu membre de mon
Blogue…

Pierre L.

calamar a dit…

c'est vrai que dans certaines ventes on trouve un assortiment d'auteurs dont l'heure de gloire est liée à l'Etat Français, en général en éditions originales (sans doute parce qu'il n'y a jamais eu de rééditions de certains de ces ouvrages)... on se demande ce que ça a à voir avec la bibliophilie, mais il faut se mettre à la place des malheureux nostalgiques de cette époque : où pourraient-ils trouver ailleurs leur indispensable nourriture spirituelle ?
mais certaines bibliothèques doivent tout de même avoir une drôle d'allure...

Le Petit Célinien a dit…

Le Petit Célinien, hebdomadaire consacré à Louis-Ferdinand Céline :

http://lepetitcelinien.blogspot.com

Pierre a dit…

Il y a certaines bibliothèques dont le contenu peut poser problème et cela me rappelle la boutade connue On peut rire de tout mais pas avec n'importe qui . (Tous les thèmes sont légitimes à condition d'avoir une attitude honorable) Je crois, néanmoins, que les amateurs de Céline sont avant tout, des lecteurs qui concèdent à l'auteur un indéniable talent.

Ce dernier explique t-il à lui seul, la cote de l'auteur ? Pierre

Michel Mouls a dit…

...Causerie ! On en redemande...d'une telle teneur !
Bienvenue donc dans le monde des " céliniens". Ils sont nombreux, ils goûtent, ils défendent, ils accusent, ils admonestent, ils lisent...
Ainsi, un texte paru dans le Bulletin célinien n°144 de septembre 1994 qui répondait, à l'occasion du centenaire,à la question :" En quoi Céline,est-il, selon vous, un grand écrivain ?" Un abonné du nom de M.Mouls répondait: - " Il est celui qui changea la musique,le ton,le verbe.Ses romans,pamphlets, chroniques en inventant un style, en révolutionnant la littérature bourgeoise, lui rendirent sa puissance et l'extirpa enfin de son râbachage enjolivé.
Il saisit très vite,en l'Eglise de la SDN comment notre planète était dirigée.Il ne se tut pas...Il voulut éveiller,réveiller;sentinelle tonitruante qui ayant vécu la première...hurla son horreur de la prochaine que certains préparaient allègrement.
Debout sur la Butte,tous ergots dehors...seul...horriblement seul...à l'écart de toutes chapelles ou embrigadement...lucide...il prévint !
Un génie ! un géant ! un visionnaire !