Je reprends à mon compte un article de Jean-Pierre Martinez, remarquable auteur de comédies, qui n'hésite pas, comme moi, à partager le meilleur comme le pire avec sa tendre épouse. Tout ça pour présenter un ouvrage sur l'art ménager français ! Quelle indécence...
Faire le ménage, ce n'est pas que ça m'amuse. Ne vous
méprenez pas, je ne suis pas un de ces vieux garçons maniérés, adeptes de
l'encaustique, qui s'adonnent dans l'intimité de leur chez soi aux plaisirs du
patin sur parquet. Il me semble, néanmoins, qu'il y a une certaine grandeur
discrète à balayer devant sa porte. À tenir fermement le manche à balai, on
reste bien arrimé à la réalité. Poussières nous sommes et nous
retournerons faire les poussières. Récurer soi-même la cuvette de ses
chiottes, surtout, oblige à une certaine humilité. À une certaine modestie.
J'ose le dire, même, faire son propre ménage relève d'une bonne hygiène
mentale, et préserve de bien des folies.
Je ne parle pas des petites manies
individuelles. Le Docteur Petiot était plutôt un homme d'intérieur, Monsieur
Landru du genre homme au foyer, et ça ne les a pas empêchés de se laisser
aller à quelques excès. Mais dans un cadre strictement privé ! Non, je parle
de la défense de la démocratie. La serpillière, c'est le dernier rempart
contre la tyrannie. Hitler aurait-il envahi la Pologne s'il avait dû passer un
coup d'aspirateur avant ? Pol Pot aurait-il exterminé son propre peuple avec
autant d'entrain, s'il avait pu chez lui s'employer à chasser les moutons au
plafond ? Non, on n'a jamais vu un dictateur faire la popote lui-même. Prendre
un employé de maison, c'est se rêver déjà en tyran domestique. C'est le
premier pas vers la mégalomanie. C'est l'annexion symbolique de la Pologne...
ou en l'occurrence du Portugal !
Le génie, en revanche, n'est nullement
l'ennemi des arts ménagers. On imagine très bien Archimède ayant l'idée de
son théorème debout devant son évier avec ses gants en caoutchouc : toute
main plongée dans l'eau de vaisselle subit une poussée verticale de bas en
haut égale au poids de l'eau de vaisselle déplacée... Et s'il y a autant de
plats à fruits, d'épluchures de légumes et autres steaks saignants parmi les
natures mortes qu'on voit dans les musées, c'est que les grands maîtres de la
peinture passaient sûrement pas mal de temps dans leur cuisine. Embaucher une
femme de ménage, croyez-moi, c'est une paresse intellectuelle. Que dis-je ?
C'est le péché originel ! Le premier renoncement à ses responsabilités
d'homme, qui ouvre la porte à toutes les démissions futures. Le petit
arrangement avec sa conscience qui autorise toutes les compromissions à venir.
C'est l'origine du capitalisme ! Le début de l'exploitation de l'homme par
l'homme. Enfin de la femme de ménage par l'homme... ou par l'executive woman,
qui vous en conviendrez, n'est déjà plus tout à fait une femme.
Car il faut
au moins avoir l'honnêteté de contempler la vérité en face : le grand
ménage que vous refusez de faire chez vous par crainte de vous salir les
mains, il faudra bien qu'un autre le fasse à votre place. La pierre ponce que
vous rechignez à saisir par crainte de vous abîmer l'épiderme, un autre Pilate
devra la manier pour vous. Un autre que vous mépriserez pour sa servilité, ou
pour le moins que vous regarderez avec condescendance, afin de lui faire payer
votre propre lâcheté.
Pourquoi, à votre avis, paye-t-on toujours sa femme de
ménage au noir ? Et sans aucun scrupule, de surcroît. Parce qu'on ne peut pas
envisager sérieusement que de faire le ménage chez les autres soit un
véritable métier. Encore moins un travail méritant salaire et ouvrant à des
droits sociaux. Alors on cherche un alibi. On se dit que si on n'avait pas
mieux à faire, sûr qu'on s'y collerait soi-même, à laver les carreaux de la
salle à manger et à briquer la lunette des toilettes. Que si on préfère
laisser ça à une tierce personne, ce n'est pas par fainéantise, au
contraire. C'est par dévouement. Presque par abnégation! Pour ne pas léser
le reste de l'humanité des nombreux bienfaits qu'on ne pourrait pas lui
apporter si on était obligé de faire le ménage à la place. Vous voyez où
je voulais en venir quand je parlais d'humilité...
D'accord, on ne peut pas
aller contre la nature, non plus. Il est évident qu'un homme, normalement
constitué, n'est pas génétiquement équipé pour manier le fer à repasser
à vapeur. Mais bon... C'est bien pour ça que la société a inventé le
mariage. Se répartir les tâches ménagères, oui. Mais que chacun conserve sa
dignité. Alors, dans cette noble servitude domestique partagée, le couple
pourra redevenir ce qu'il n'aurait jamais dû cesser d'être : un ménage.
Voltaire n'a-t-il pas dit qu'il fallait cultiver son jardin ? Il n'a pas cru
bon d'ajouter qu'il fallait aussi éplucher ses légumes, se servir la soupe,
et nettoyer les bols après, mais c'était sous- entendu. En vérité je vous
le dis, la femme de ménage n'est pas du tout l'avenir de l'homme. Et quand les
grands de ce monde seront contraints par la constitution à faire eux-mêmes
leurs petites lessives, c'est l'humanité toute entière qui sentira bon la
lavande... JPM
L'art ménager français. Paris, Flammarion,
1952. Cartonnage éditeur fort in-4 ( 27,5 / 19 cm ) pleine percaline bleue,
titre doré sur dos et 1er plat, gardes colorées, tranches bleutées. Sous
jaquette illustrée. 1304 pages. Publié sous la dicrection de Paul Breton. Collaborateurs
: Chauvin, Cordillot, Dedeban, Delaveau, Febvre-Desportes, Lechaud, Lemonnier,
Mereau, Chavance, Déribée, Faucher, Fressinet, etc. Nombreuses illustrations en
noir et en couleurs. Manifeste de l'art ménager. S'abriter. Se loger.
S'éclairer. Se chauffer. Se laver. Préparer les aliments. Consommer les repas. Nettoyer
l'habitation. Entretenir le linge. S'habiller. Elever les enfants. Se protéger.
Diriger la maison… Très bel état. 65 € + port
1 commentaire:
Merci d'avoir fait profiter les lecteurs de notre expérience commune, Jean-Pierre !
Pierre ;-))
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