On peut légitimement s'intéresser aux illustrateurs de la fin du 19eme siècle et du début du 20eme siècle qui ont fait rentrer un grand nombre d'auteurs de cette époque dans le giron bibliophile mais d'autres bienfaiteurs du livre existent qui sont moins honorés. Je vous propose aujourd'hui de donner un coup de projecteur sur un éditeur dont nous sommes redevables. Henri Jules Piazza (1861-1929) était un précurseur de l'édition de livres de luxe illustrés à tirage limité, Les Editions d’Art Henri Piazza, et à cet égard, ses ouvrages font quelquefois partie des belles bibliothèques que nous rencontrons chez nos amis bibliophiles.
Pourquoi ces créations sont-elles souvent, à tort, perçues par les néophytes comme des productions luxueuses et donc élitistes, voire snob? Piazza semble avoir été un homme généreux et altruiste comme en témoigne cette initiative utopiste : En 1922, il crée une nouvelle société, le Livre français: “Société d’édition de chefs-d’œuvre français du conte et du roman en édition de luxe accessibles au grand public“. Le comité de patronage était composé d’écrivains célèbres et le secrétariat général littéraire confié à Edmond Pilon. Les ouvrages conçus et édités par Henri Piazza étaient réalisés en tirage limité, souvent datés et signés par l’auteur et/ou l’illustrateur. Le choix des matériaux pour la couverture, le papier et enfin, le mode de production des illustrations en faisaient des ouvrages de luxe.
Les images étaient placées en hors-texte et étaient reproduites par chromolithographie. Inutile de vous dire que ces merveilles coûtaient une coquette somme et que le commun des français ne pouvait pas s’en offrir en sortant de l’usine, le tout, en pleine crise de l’entre-deux-guerres. Des versions bon marché de ces mêmes ouvrages étaient publiées, mais restaient encore trop inaccessibles pour la tranche populaire des lecteurs. Ainsi, seuls les bourgeois pouvaient posséder et offrir ces ouvrages, à moins qu’ils ne soient l’objet de récompenses scolaires.
Peu à peu, Piazza publie des ouvrages où le texte et l’illustration cherchent à se mêler mais il ne se convertit pas tout à fait à ce nouveau support qui révolutionne le rapport texte image dans la page, contrairement à Paul Faucher, le créateur des Albums du Père Castor chez Flammarion. Henri Piazza, lui, continue de réaliser des ouvrages de luxe où les illustrations hors texte de belle qualité rendent merveilleusement justice au texte choisi. Il continue dans cette voie jusqu’à sa mort en 1929 où la maison d’édition est reprise par son bras droit, Robert Hostater. Depuis, les éditions d’Art Henri Piazza ont été rachetées par les Heures Claires, Édition de livres d’art et de bibliophilie.
On peut donc s’interroger sur cette contradiction récurrente du domaine de l’édition à la belle époque : Comment allier beauté et art populaire accessible ? Assez bizarrement, il aura fallu attendre la fin du 20eme siècle et un désamour certain des lecteurs pour ces ouvrages de luxe, pour que leur côte baisse... et qu'ils répondent enfin à ces deux critères opposés ! Les éditions d'art Henri Piazza ont publié, entre autres, des œuvres de : Franz Toussaint (1879-1955) - Pierre Louÿs - Edgar Allan Poe - René de Segonzac - Charles Guyot - Camille Mauclair - Pierre Benoit - Pierre Loti - Maurice Maeterlinck…
Dans le choix des illustrateurs, Henri Piazza a fait également preuve de goûts artistiques affirmés en sollicitant : Edmund Dulac (1882-1953) - Arthur Rackham (1867-1939) - Kay Nielsen (1886-1957) - Léon Carré (1878-1942) - Georges Barbier (1882–1932) - Carlos Schwabe (1866-1926) - Mario Labocetta - Étienne Dinet (1861-1928)… Voici un petit florilège de six ouvrages, in-12, très élégants et superbement illustrés par ces derniers dans une collection à l'orientalisme art-déco très raffiné. Pierre
LE GOFFIC Charles. La Rose Des Sables. L' Édition d' Art h. Piazza, Paris 1932 - 231 pages en format petit -12. Collection " ex oriente lux ", frontispice en aquarelle inédite en couleurs de Etienne Dinet, ornements décoratifs de Courtois.
HEROLD. A Ferdinand. La guirlande d'Aphrodite. Recueil d'épigrammes amoureuses. L' Édition d' Art h. Piazza, Paris 1923 - 159 pages en format petit -12. Collection " ex oriente lux ", frontispice en aquarelle inédite en couleurs de Paul Regnard, ornements décoratifs. Dédicace de l'auteur.
SOULIE DE MORANT. G. Trois contes chinois du XVIIeme siècle. L' Édition d' Art h. Piazza, Paris 1926 - 140 pages en format petit -12. Collection " ex oriente lux ", frontispice en aquarelle inédite en couleurs de P. De Pidoll, ornements décoratifs.
DEVILLERS Charles. Les ghazels de Hafiz traduits du persan. L' Édition d' Art h. Piazza, Paris 1922 - 166 pages en format petit -12. Collection " ex oriente lux ", frontispice en aquarelle, ornements décoratifs.
GARCIN DE TASSY. La rose de Bakawali. L' Édition d' Art h. Piazza, Paris 1924 - 146 pages en format petit -12. Collection " ex oriente lux ", frontispice en aquarelle inédite en couleurs de zworkine, ornements décoratifs.
MARTINIE Jean. Contes pahlis. L' Édition d' Art h. Piazza, Paris 1926 - 140 pages en format petit -12. Collection " ex oriente lux ", frontispice en aquarelle inédite en couleurs de P. De Pidoll, ornements décoratifs. Le lot vendu
14 commentaires:
J’aime ! (comme on dit sur facebook, sans autre forme de procédure). Ici pour développer un peu, je dirais que ces éditions, vu sur les photos que vous présentez, paraissent soignées, et qu’on aurait envie de toucher le papier pour mieux juger.
C’est tout de même plus sympa de proposer à la clientèle ce genre d’ouvrages plutôt que des Tours Eiffel en plastique, non ? (Surtout à Tarascon ! ;)
J'avoue que l'idée de vendre des Tours Eiffel n'a pas encore germé dans mon cerveau tourmenté par l'incertitude du lendemain... Je dois reconnaitre, par contre, qu'un fournisseur de globes terrestres, en cuivre, en laiton ou en toute autre matière flatteuse qui me ferait des propositions alléchantes aurait droit à un rayonnage de présentation !
L'un des intérêts des éditions H. Piazza a toujours été de proposer des papiers de très belle qualité. Ces ouvrages n'échappent pas à la règle. Ce billet aura éventuellement permis de faire redécouvrir l'éditeur. Quant au thème orientaliste, très Art-Déco, je pense qu'il faudra, au moins, encore une génération avant qu'il ne revienne en faveur auprès des lecteurs ;-)) Pierre
C'est une autre époque...
De nos jours, pour attirer le chaland - ou du moins ne pas le rebuter - certains éditeurs se croient tenus d'adjoindre la mention :
" Pour l'éditeur, le principe est d'utiliser des papiers composés de fibres naturelles, renouvelables, recyclables et fabriquées à partir de bois issus de forêts qui adoptent un système d'aménagement durable. En outre l'éditeur attend de ses fournisseurs de papier qu'ils s'inscrivent dans une démarche de certification environnementale reconnue. "
Tant qu'ils ne demandent pas aux auteurs d'écrire avec leur sang pour économiser l'encre...
Je me demandais à l'instant si quelqu'un avait déjà pensé à commercialiser des livres bio ?
Autre réflexion (pertinente) qui me vient à l'esprit. J'écris à la mine plomb. Est-ce une démarche éco-citoyenne quand on connait les méfaits engendrés par le saturnisme ?
On demande un spécialiste !
Les mines de plomb n'ont, et depuis longtemps, plus de plomb que le souvenir de leurs ancêtres leur ayant laissé leur nom.
Depuis que le graphite est connu il l'a heureusement remplacé dans tous les crayons à dessiner ou à écrire. Même le khôl n'en contient plus.
La qualité du carbone n'est plus ce qu'elle était. Dernièrement, le papetier m'a refourgué une mine de diamant pour écrire mes billets...
Heureusement, il me restait des crayons de nitrate d'argent ;-))
Elles sont bien, ces "petites" maisons d'édition, un peu délaissées... Mornay, Cyral, dans le même genre, mais il y a tout de même des amateurs, et certains titres sont quasi introuvables, non ?
J'avais fait un petit billet sur les éditions du Panthéon qui associaient aussi beau papier, illustrateurs talentueux et texte remarquable. H.Piazza éditeur est d'un niveau supérieur, il faut le reconnaitre. En faisant des recherches sur son catalogue, j'ai pu constater que certains ouvrages illustrés par Dinet avaient une côte très élevée.
Un domaine de l'édition à redécouvrir ?
Piazza a fait dans une gamme très très large, avec des éditions comme celles présentées aujourd'hui, jusqu'à la monumentale édition des mille et une nuits en 1926... pas grand chose de commun !
Si ce n'est l'orientalisme très en vogue à l'époque... Arghhhh ! Je viens de regarder la cote... En effet !!! ;-))
j'ai sous les yeux un exemplaire de cette collection : "Le Jardin des Roses", de Saadi. Si ce livre correspond à la description faite dans cet article, il en diffère par un point non négligeable ; après le faux-titre figure la mention "il a été tiré 300 exemplaires sur papier orient numérotés de 1 à 300". Mon exemplaire est non numéroté, sur papier assez fin certes, mais pas de luxe. C'est le tirage courant, non limité... ce qui est clairement indiqué à la quatrième de couverture : "32e édition". L'achevé d'imprimer est du 16 avril 1951, soit sans doute bien des années après les 300 fameux exemplaires à rechercher.
J'imagine que vos exemplaires sont plus présentables !
Les exemplaires que j'ai présentés proviennent d'une collection non numérotée mais sont imprimés, pour certains, sur de très beaux papiers. C'est pourquoi, ils sont proposés à des prix raisonnables. Les "Piazzas" numérotés, par exemple "Le roi Pausole" illustré par Touchet sont légitimement plus chers à l'acquisition.
Si cela n'est pas indiscret, pourriez m'envoyer sur mon adresse personnelle quelques photos d'ouvrages de Mornay pour illustrer un billet ? Pierre
bouteille à la mer: je cherche des éléments de biographie pour Charles Guyot, auteur aux éditions Piazza ??
mes coordonnées: magninfrederic@orange.fr
merci d'avance
C'est noté. Je viens de rentrer quelques Piazza orientalistes... Je les présenterai en fin de semaine. Pierre
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