Si vous essayez de placer une sentence de type : " Toute vérité est une route tracée à travers la réalité… " dans une conversation au comptoir du Café du commerce, il est vraisemblable que vous allez mettre les rieurs de votre côté. Si vous insistez en ajoutant (je cite) : " Le rire châtie certains défauts à peu près comme la maladie châtie certains excès ", ces mêmes rieurs vous vireront de l'estaminet dans les cinq minutes qui suivent et vous ne l'aurez pas volé !
C'est le risque que vous encourez de citer Henri Bergson (1859-1941)
en société en croyant que son essai sur le rire est un truc marrant. C'est même
tout le contraire ! N'est pas prix Nobel de littérature qui veut… Ouvrage sur
la signification du comique, paru en 1900, c'est sa présentation dans une
écriture d’une simplicité extrême qui en fit un chef d’œuvre unique.
Henri Bergson part de trois observations pour expliquer le
phénomène comique. Il appelle d’abord l’attention sur le fait, je cite : " qu’il n’y
a pas de comique en dehors de ce qui est proprement humain ". Un paysage
pourra être beau, gracieux, sublime, insignifiant ou laid, il ne sera jamais
risible. On rira d’un animal, mais parce qu’on aura surpris chez lui une
attitude d’homme, ou une expression humaine.
L’homme n’est donc pas seulement un animal qui rit, mais un
animal dont on rit ! Bergson signale ensuite que rire suppose une certaine
forme d’insensibilité, c’est-à-dire que le rire peut survenir dans le cadre
d’une atmosphère tendue, ce qui explique que Charlie Chaplin, le visage impassible,
puisse inciter à rire alors que sa vie de clochard est pénible.
La dernière assertion du philosophe repose sur le fait que
le rire ne peut éclater que dans le cadre d’une conscience commune, et je cite encore : " Notre
rire est toujours le rire d’un groupe ". On ne rit pas tout seul (en tout
cas, pas lui, c'est sûr…) ! Le rire est donc une activité sociale tout autant que
culturelle. Donc, logiquement, nombre d’effets comiques sont intraduisibles
d’une langue à l’autre, parce qu’ils sont relatifs aux mœurs et aux idées d’une
société.
Ces considérations posées, Bergson établit sa thèse selon
laquelle la vie est un mouvement permanent, fluide et continu : Et là, on commence à décrocher... Un homme qui marche est banal, mais s’il trébuche et tombe, sa
maladresse donne à son mouvement une raideur mécanique et produit le rire. En
cela, " le rire est du mécanique plaqué sur du vivant ", c’est-à-dire
qu’il provient d’une rupture dans la fluidité du mouvement (sic).
Comme je vois que certains s'endorment derrière leur écran,
je vous propose de lire vous-même cet essai à tête reposée. L'édition que je
vous propose est illustrée par Louis Jou. En 1947, il vit aux Baux de Provence
après avoir fuit Paris en 1939.
Le masque qui orne la première lettrine du Rire de Bergson
illustré par Jou offre une similitude frappante avec certaines figures
grimaçantes des tableaux de Jérôme Bosch. N'était-ce pas lui, d'ailleurs, qui
disait " Plus on est de Nefs des fous, plus on rit " ? Pierre
Le Rire. Paris, Les Bibliophiles Du
Palais, 1947. Un volume grand In 4. Couverture rempliée illustrée, en feuilles
sous chemise et étui d'éditeur, ornements dessinés et gravés sur bois par Louis
Jou. Tirage limité à 200 exemplaires numérotés, celui-ci N° 129 imprimé pour M.
Paul Wendling. Parfait état. 270 € + port
3 commentaires:
Quel pince-sans-rire ce Bergson !
On ne le lit plus, je ne sais pas pourquoi. L'Evolution Créatrice, les Deux Sources de la Morale et de la Religion, j'ai tous ces ouvrages-là dans la bibliothèque. Il faudra que je les ouvre un jour ...
Textor
Pas facile de lire Bergson. J'ai cependant réussi à terminer ESSAI SUR LES DONNÉES IMMÉDIATES DE LA CONSCIENCE, l'auteur tente, entre autres choses, d'expliquer "le temps".
Il m'arrive de rire tout seul - ma grand mère prétendait que c'était le privilège des fous ; certaines scènes avec Tournesol et le Capitaine Haddoque ont ce pouvoir, notamment celle où il est aspiré dans la machine à brosser les vêtements !
René
Vous me rassurez, René ! Il m'arrive de rire de mes bêtises en les écrivant (je ne vais pas jusqu'à me taper dans le dos, je vous rassure). Par contre, la lecture de certains penseurs du XXeme siècle peut me déprimer quand je trouve leur raisonnement tordu...
Cet ouvrage vaut pour sa référence incontournable mais surtout par les lettrines imaginées par Louis Jou qui était tout, sauf un triste ;-))
Pierre
Enregistrer un commentaire