Je n'ai pu être présent au salon du livre ancien de Tarascon organisé par Pierre ce dimanche, retenu à Paris par des mondanités auxquelles je me plie de bonne grâce, vous le savez… Exténué par cette entreprise qui dépasse parfois ses compétences, il me demande de consacrer un peu de mon illustre temps lundical pour faire un éloge appuyé des confrères qui ont accepté, par amitié, de participer à cette manifestation sans oublier tous ceux qui auraient aimé venir mais qui n'ont pas pu. Alors complimentons ! Certains vont encore dire que j'exagère… Que penserait-on d'un homme que l'horreur entière du mensonge obligerait à dire toujours la vérité ? D'un homme d'esprit qui ne saurait complimentir ? Il tournerait à la misanthropie la plus hypocondre en peu de temps si les petits défauts les plus utiles et les plus nécessaires que nous possédons ne finissaient pas par faire de nous des gens tout à fait présentables ! Voici donc un point de vue tout à fait réjouissant du rôle du libraire dans la société. Vous trouverez à loisir, de la mauvaise foi, une mansuétude coupable pour les membres de cette profession, une grande amabilité pour ses représentants les plus influents et un portrait à peine caricatural des vertus qu'il faut posséder pour la pratiquer.
" Malgré les sombres prévisions économiques, les bibliophiles
n'ont pas renoncé à l'idée de s'offrir de beaux ouvrages, du moins si l'on en
juge par l'affluence de ce dimanche au salon du Livre ancien de Tarascon. Et
c'est tant mieux. Un cadeau pour soi même, c'est un signe d'amour tangible.
Malgré Internet et les sites d'achat en ligne, le chaland a encore répondu présent aux
exposants qui s'étaient déplacés pour présenter leur luxueux matériel. Encore
une fois, tant mieux !
Outre qu'il répond à des goûts personnels, l'achat de
livres anciens a une utilité sociale : il permet à des libraires de vivre, à
tout le moins de survivre, et il préserve un très grand nombre d'emplois dans
nos cités. En ces temps incertains, pousser la porte de leur boutique ou
acheter dans les salons qu'ils organisent c'est participer modestement à la
relance de l'économie nationale.
La vie précaire à laquelle s'astreignent ces bons apôtres de
la culture pour le plaisir des bibliophiles est un exemple à suivre. Quand ils
ne sont pas en représentation devant de lumineuses
vitrines où brillent leurs luxueux ouvrages, la plupart vivent chichement, lavant
leur linge à l'eau froide et se levant à l'aube pour faire leur pain. Cette
simplicité volontaire, favorisée de la crise financière, est cependant dans
leur nature et s'ils se soumettent aux lois du commerce, c'est par respect de la tradition.
Car le commerce n'a pas été inventé par de vilains capitalistes
étasuniens. Il existe depuis la nuit des temps. Le commerce, loin d'être une
activité déshonorante, a même été à la source de la plus belle invention de
l'Homme : l'écriture. Les tout premiers manuscrits trouvés en Mésopotamie, qui
datent d'environ quatre millénaires avant notre ère, n'étaient pas des poèmes.
C'étaient des contrats et des bilans comptables dressés par des commerçants ! De ces signes tracés sur des boules de glaise naquit
l'écriture cunéiforme qui allait donner quelques siècles plus tard naissance à
l'imprimerie et aux magnifiques ouvrages conservés par des générations et des
générations de libraires… Car l'activité de libraire d'ouvrages anciens, si
elle parait être une activité comme les autres, cache la plus belle entreprise
que l'homme ait jamais enclenchée : la conservation du patrimoine intellectuel
et artistique du monde entier.
On l'aura compris, j'ai de la sympathie pour ces petits
libraires qui font le charme et le caractère des villes mais qui sont les
éternels laissés-pour-compte de la société parce que leur dévouement est
discret, parce que leurs plaintes sont muettes et que leur travail ne sert que
le bien de la communauté. Quand la grêle détruit les récoltes ou qu'une épidémie
attaque le bétail, les gouvernements s'empressent d'éponger les dettes des
agriculteurs. Mais quand le pavé glissant de l'hiver fait fuir le chaland,
quand une grève des transports fige nos centres-villes qui donc a jamais
dédommagé ces petits libraires qui viennent à pied ouvrir leur boutique ?
Personne, évidemment.
Ce n'est pas prôner le commerce de luxe que de faire l'éloge
de ces professionnels méritants. Les achats des bibliophiles sont rarement
extravagants. Entièrement dominés par le souci de l'autre, par le désir de
rendre leurs proches heureux, ils poussent la porte de ces modestes échoppes
pour s'offrir quelque beau livre illustré, quelque rare édition sur papier
japon dont on sait qu'ils sont le meilleur placement qu'un père puisse faire
pour sa famille. Que sont ces heures passées chez les libraires d'ouvrages
anciens, sinon des expéditions amoureuses destinées à faire le bonheur de leurs
enfants ?
Des rabats-joie vous diront qu'un enfant n'a pas besoin de rayonnages
alourdis par de magnifiques maroquins aux Armes... C'est vrai, en principe.
Mais alors, selon le même principe monastique, on n'a pas non plus besoin de
bijoux, de parfums ou de vins fins… S'il fallait ne s'en tenir qu'aux objets de
première nécessité, nous cheminerions dans la vie comme des robots, sans
plaisir, sans émotion, sans s'offrir à l'occasion ces petits bouts de
patrimoine qui s'inscrivent dans le désir très humain de marquer notre éphémère
passage sur la terre. Les libraires d'ouvrages anciens, modestes relais de ces
plaisirs fugaces peuvent donc être, à juste titre, considérés comme des
bienfaiteurs de l'humanité. On n'est pas obligé de leur vouer une vénération
sans borne mais on peut les saluer en passant devant leur boutique…"
Leur serviteur. Philippe Gandillet
2 commentaires:
Libraires d'anciens, je vous salue !
P.S. Entre Auxerre et Tarascon, ce 15 septembre, avais-je le choix ?...La prochaine fois, je serai Tarasconnais.
Merci, Jean-Paul, pour ce gentil témoignage de soutien !
Les journées du patrimoine démontrent que c'est toute la France qui est attachée à son patrimoine. Quel succès ! Par contre, on ne peut se diviser pour faire plaisir à tous ses amis ;-))
C'est partie remise. Pierre
Enregistrer un commentaire