mercredi 14 août 2013

L'argot par Devaux, Boudard, Etienne et ses poteaus...


La définition courante de l'argot est une définition historique : l'argot y est caractérisé comme la langue des malfaiteurs et des mendiants utilisée comme un langage codé. Il est clair que, si elle s'applique bien aux origines de l'argot, cette définition ne recouvre pas la multiplicité des formes que celui-ci a pu prendre au cours des siècles.


On constate, en effet, que ces formes se développent dans toutes les communautés qui, en se forgeant un langage personnel, utile ou amusant, cherchent à affirmer la solidarité de leurs membres ou, plus exactement, la connivence des initiés, qu'il s'agisse de corporations professionnelles (maçons, merciers, forains, comédiens...) ou de groupements temporaires (étudiants, soldats...). Mieux vaut donc parler d'argots que d'argot !


Encore faut-il ajouter qu'à  notre époque contemporaine, il tend à se créer ce qu'on peut appeler un " argot commun " qui puise ses sources dans la diffusion à l'infini d'un langage véhiculé par Internet. Notons que tout cela n'est pas sans compliquer le problème de l'authenticité en argot. Qu'est donc devenu l'argot marseillais au pied des cités marseillaises ? Quels que soient leurs caractères sociologiques, tous les argots se définissent, linguistiquement, par la création d'un lexique qui s'intègre partiellement mais parfaitement dans le vocabulaire commun et, par ailleurs, sans le perturber phonétiquement.


En argot, les créations de termes sont très rares. On recourt plutôt à des déformations de mots, notamment par ajout, substitution ou suppression de suffixes (parigot, boutanche, occase), par ellipse d'une partie de mot (feu pour arme à feu), ou encore par l'utilisation de codes (loucherbem par exemple). On pratique aussi des glissements de sens (portugaises pour oreilles, flûtes pour jambes) dont l'origine est anatomique mais, le plus souvent, les emprunts proviennent de langues étrangères ou de dialectes…Tout cela aboutit à l'argot !


Les argots ne sauraient donc être confondus avec une seule langue populaire, mais il faut souligner qu'ils vivent en perpétuelle osmose avec elle, ce qui a pu favoriser la confusion, puisque la langue commune sert de référence constante aux substitutions argotiques qui doublent le vocabulaire courant. L'argot donne donc vie à une prolifération de synonymes qui enchantent l'oreille. En voici un exemple célèbre avec un extrait d'une fable de La Fontaine revue par Desnos :

La fourmi n`est pas prêteuse:
C`est là son moindre défaut.
« Que fassiez-vous au temps chaud ?
Dit-elle  à cette emprunteuse.
Nuit et jour à tout venant
Je chantais, ne vous déplaise.
Vous chantiez ? J`en suis fort aise !
Eh bien, dansez maintenant. »

La fourmi chanstique du coup
Vu qu`elle est arquinche comme tout :
" T`es follinque, qu`elle lui répond.
T`f`frais mieux d`aller au charbon.
… Et c`été, qu`est qu`t`as fichu ?
Ben, j`goulais la chansonnette.
Tu goulais, eh ben, p`tite tête,
Maintenant tu peux gambiller
L`soir à l`Armée du Salut.
A la r`voyure, eh, locdu ! "


DEVAUX (Pierre). Le livre des darons sacrés. (La bible en argot). Editions L'Humour des Temps, Paris. 1960. Cartonnage éditeur. 13.5x22 cm. 271 pages. Préface de Jean Cocteau. Dessins de Pierre Devaux. Avec un Glossaire de l'argot. Bon état. 28 € + port

BOUDARD (Alphonse) & ETIENNE (Luc). L'argot sans peine. La méthode à Mimile. Pour parler en peu de temps un argot coulant et naturel… La jeune Parque, 1970. Un volume in-12 de 307 pages. 13 € + port

4 commentaires:

pascalmarty a dit…

C'est assez étonnant de constater combien il a été écrit de bouquins sur l'argot à la Audiard ou à la San Antonio, dont on pourrait presque se demander s'il a jamais vraiment été parlé par qui que ce soit, alors qu'il existe si peu d'ouvrages sur le français tel qu'il est réellement pratiqué par les Français.
Pour compléter l'offre de Pierre, je ne saurais trop recommander aux lecteurs curieux de jeter un œil sur Approches de la langue parlée en français de Claire Blanche-Benveniste ou sur le remarquable Que sais-je ? Le français populaire, grâce auquel on sera bien forcé de reconnaître l'existence quotidienne de formes aussi insoupçonnées que cèrèksaapa (c'est vrai que ça va pas) ou Pierre son vélo le guidon c'est le chrome qui est parti.

Pierre a dit…

L'argot de Audiard et de Frédéric Dard avait un charme fou mais était celui du cinéma, c'est probable. Peut-on considérer le vocabulaire propre au Rap et aux jeunes qui s'y référent comme de l'argot ? Pierre

calamar a dit…

on peut aussi relire Bâtons, chiffres et lettres, de Queneau.

Anonyme a dit…

L'argot est intéressant à étudier, me semble-t-il, à cause de sa rapidité de création et d'évolution, en faisant comme un modèle in vitro du langage qui, étudié in vivo, ne conduirait qu'à des hypothèses. Le temps géologique s'accélère à nous étourdir. On peut ici introduire artificiellement dans le mélange une goutte de quelque chose, c'est-à-dire un mot ou une expression, et observer ce qu'il devient comme un chimiste le ferait penché sur sa cornue.
On ne sait rien ou presque du langage, sinon que c'est un phénomène naturel, incoercible et l'argot nous aide à la compréhension ainsi qu'une souris de laboratoire.

Jean-Michel