Il m'arrive parfois de me demander si le culte attaché à ma personne est bien raisonnable… Je sais que des lecteurs campent devant ma villégiature estivale avec le secret espoir de me voir apparaître au balcon de ma bibliothèque. J'ai même été obligé, l'année dernière, de faire un procès à un célèbre hebdomadaire "people" qui avait publié des clichés de moi, à la librairie de Pierre, sans mon autorisation. J'ouvre donc la porte de ma maison et lève, aujourd'hui, un voile sur mon intimité pour répondre à l'attente de quelques curieux et curieuses. Ils et elles verront que j'habite un endroit tout simple comme je le suis… C'est mon ami Anatole F** qui vous précédera dans cette visite improvisée et vous servira de guide…
« J'imagine que tous les lettrés seront heureux de
découvrir les images fidèles et délicates de cette riche demeure qui accueille,
pendant les vacances, le plus grand de nos illustres académiciens.
Là, chaque objet signifie une pensée de son possesseur.
Philippe Gandillet a composé sa maison comme un de ses livres. Il s'y est
appliqué avec un soin minutieux, une patience méticuleuse et cette grâce
subtile qui est le mystère de son talent. Son caractère s'y décèle à chaque
instant et le choix d'un bronze de Maillol ou d'un petit tableau d'Auguste
Chabaud nous y précise la nuance de son âme et la logique qui transparaît dans
ses œuvres.
Vous céderez comme moi au charme indicible de l'atmosphère.
Il résulte de cet aménagement une manifestation artistique délicieuse, et faite
pour plaire aux poètes. On surprend en traversant les pièces, des coïncidences
mystérieuses entre les choses choisies et leur propriétaire : la
confession muette des années se fait entendre… Nous pouvons alors deviner que
telle expression ironique ou lyrique apparue dans un nouveau livre de Philippe
Gandillet est due à son amour pour tel bibelot ou tel objet chiné qu’il expose
avec délicatesse au gré des pièces et des longs couloirs.
Nous découvrons aussi l’histoire d’une âme là où ses
lecteurs ne perçoivent que l’évolution de son goût. Chez un homme du rang
intellectuel de Philippe Gandillet, c’est-à-dire un prince des lettres, ce goût
s’élève au firmament des sens et accompagne sa musique intérieure. Ainsi
l’extrême variété des objets présentés se transforme en désir d’harmonie :
La cherté, la rareté n’importent plus…
Il est évident qu’un intérieur comme celui-ci est celui d’un
artiste. Il l’a peuplé de ses témoignages et de ses idées : il y laisse
paraitre ses aveux, ses préférences, ses confidences et ses singularités. C’est
cette disparité savante qui rend très difficile ma tâche de guide. Vous
comprendrez qu’on ne rentre pas chez Philippe Gandillet sans être un ami, un
fidèle lecteur ou un fervent laudateur.
(à voix basse) Vous pénétrez maintenant dans le saint des
saints, sa bibliothèque, le lieu où s’est ingéniée l’imagination érudite de
notre grand auteur et où trône son chat Hamilcar. Sur ces imposants rayonnages acajou
sont réunis les plus beaux livres dont peuvent rêver les amateurs. On se
promène, là, dans la pénombre et dans l’oubli, extrêmement loin de la vie
moderne… Voyez ici une édition originale des fleurs du mal que vient de lui
envoyer un ami lyonnais, voyez ici des tirages de tête, des ouvrages
superbement illustrés, des maroquins signés en queue et des reliures ciselées que
vous posséderez peut-être un jour !
Car il faut dire que Philippe Gandillet se résigne d’avance à la
dispersion de ses livres et des autographes prestigieux qui préfacent les
ouvrages qui lui sont envoyés. Tout ce qui vous a émus, conquis, étonnés
confondus dans la littérature est réuni là, dans des écrins luxueux comme les affectionnent
les bibliophiles de son rang. On dit même que notre Académicien ferait partie d’une
prestigieuse Société des amateurs de livres anciens
qui possèdent un jeton d'une société bibliophile
ancienne (la fameuse S.A.L.A.P.J.S.B.A) : quelle consécration !
En été, cette demeure est un musée où éclate l'amour des
couleurs chaudes et somptueuses de la méditerranée. Etranges et captivantes
pièces, toujours sombres où, dans la symphonie des obscurités fauves, le soleil
brille de mille feux… C’est à peine si l’on y devine, à travers le
scintillement des éclats de lumière qui traversent les persiennes, l'or des
dorures et le velouté des cuirs qui remplissent la bibliothèque ! (attention à la marche en sortant...) Cette visite valait bien un petit billet. N’est-ce
pas ? »
La tradition veut que l'on glisse également dans la main du
guide, un petit billet. Notre Anatole est trop fier pour accepter une telle rétribution mais
vous pouvez dépenser cet argent en achetant le petit ouvrage que Pierre propose
aujourd’hui à la vente. Il s'agit d'une étude faite par Charles Maurras
sur mon honorable confrère… Votre dévoué. Philippe Gandillet
MAURRAS (Charles). Anatole France. Politique et poète (A
propos d'un jubilé). Paris Plon, 1924. Une plaquette in-12 de 54 pages. Broché
à couverture rempliée. Ex libris. Bel état. 10 € avec le port en France.
9 commentaires:
Prose toujours aussi talentueuse, et aussi lumineuse que la propriété !
Le portail, rempli de nostalgie et de rires enfuis, est judicieusement trouvé : on s'attend à ce qu'il protège l'entrée du château d'Yvonne de Galais ; On s'y prend pour Serge Mouret s'apprêtant à pénétrer dans le Paradou.
Jean-Michel
En effet, Le Paradou n'est pas loin d'être le paradis, Jean-Michel. J'y vis en solitaire pour que cela le reste... Ph Gandillet
Jeton demandé!
Hugues
La Bibliothèque ne vaut que par son écrin d'architecture et de jardins, demandez donc au Duc d'Aumale...
Textor
" Une édition des fleurs du mal envoyée par un ami lyonnais ". C'est vous Hugues ?
Pierre ;-))
et moi qui croyait que le duc d'Aumale avait des beaux livres... il n'avait qu'un beau château. Du coup je n'envie plus sa bibliothèque : chez moi ça ne rendrait rien.
Pierre, tu as un vrai talent d'écriture. Je me sens comme un coq en pâte dans ton jardin caché.
Joli compliment que je transmettrai à qui de droit...
Je le retourne en vous félicitant pour vos excellentes notices sur les cartonnages romantiques à plaque et en particulier sur celle des fleurs animées de Grandville dont je me suis servie aujourd'hui pour un exemplaire éditeur en deux volumes illustrés de 1847 !
Bientôt présenté sur le blog... Pierre
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